L’épopée du Français et du Pourquoi Pas? Jean-Baptiste Charcot, le Polar Gentleman

Fils du célèbre neuropsychiatre, Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) aurait voulu passer le concours de l’école navale, mais son père lui impose de faire médecine. C’est donc comme plaisancier qu’il se fait navigateur, la fortune paternelle lui permettant d’acquérir des voiliers à la mesure de ses ambitions lorsqu’il se découvre une vocation d’explorateur polaire.

Jean-Baptiste Charcot, le Polar Gentleman © Fonds famille Charcot

En 1901, avec la goélette Pourquoi-Pas ?, Charcot monte jusqu’aux Îles Féroé où il enrichit par ses notes les Instructions nautiques publiées par le Service hydrographique de la Marine. L’année suivante, sur une demande du ministère de la Santé, il retourne aux Féroé pour étudier l’apparition du cancer dans l’archipel. Le médecin et skipper en profite pour s’aventurer plus au nord, jusqu’à l’île Jan Mayen, via l’Islande. L’été 1902, Charcot dépasse les 71° de latitude ! 270 milles nautiques au-delà du cercle polaire arctique, le premier contact avec les glaces non seulement le subjugue, mais lui inspire un projet fou : se faire construire un véritable navire d’exploration polaire. Dès janvier 1903, il passe commande au chantier Gautier de Saint-Malo. La forme de la coque et le gréement du nouveau Pourquoi-Pas ? sont ceux des trois-mâts goélettes armés pour pêcher la morue sur les bancs de Terre-Neuve. Mais l’échantillonnage de la charpente et du bordage est renforcé, le navire recevant en plus une machine à vapeur auxiliaire.

La France s’impose dans la recherche polaire

À l’origine, Charcot projette de poursuivre sa découverte de l’océan Glacial Arctique. Mais depuis un congrès de géographie tenu en 1899 à Berlin, plusieurs pays coordonnent leurs moyens pour explorer l’Antarctique. Comme les autorités françaises ne se manifestent pas, Charcot propose de faire flotter le pavillon tricolore dans l’hémisphère austral. Mais un problème apparaît : la construction du Pourquoi-Pas ? a épuisé la fortune personnelle de son propriétaire qui ne dispose plus des moyens financiers suffisants pour monter une expédition scientifique. Le journal Le Matin lance alors une souscription qui déclenche une multitude de petits dons. Ajoutées à un apport du journal, une subvention de la Chambre, l’assistance de la Marine... ces modestes contributions équilibrent le budget. En remerciement, Charcot rebaptise son navire le Français.

Quel sera son programme ? L’Allemand von Drygalski explore le Sud de l’océan Indien ; l’Écossais Bruce et le Suédois Nordenskjöld ont opté pour la mer de Weddell ; tandis que l’Anglais Scott se réserve la mer de Ross afin de lancer un raid vers le pôle Sud. Or on apprend que l’Antarctic d’Otto Nordenskjöld serait en difficulté. Charcot annonce alors que partir à la recherche du Suédois s’impose comme but premier à son expédition, et qu’ensuite, il explorera la péninsule Antarctique, vers la Terre de Graham et la Terre Alexandre-Ier. Il s’y livrera à « des explorations et à des recherches scientifiques portant sur l’océanographie, la géographie, la physique du globe et toutes les branches de l’histoire naturelle ». C’est en apprenant cette démarche chevaleresque que Scott attribue à Charcot le surnom de Polar Gentleman. Sans doute, surtout, l’Anglais est-il soulagé de savoir que le Français lui laisse le terrain libre pour s’attaquer au pôle Sud depuis la barrière de Ross. À Scott la mission prestigieuse et, il n’en doute pas, la gloire, pendant que Charcot s’astreindra à d’obscurs travaux scientifiques et cartographiques.

Du Français au nouveau Pourquoi-Pas ?

Aujourd’hui encore, les chercheurs ne dissimulent pas leur admiration pour l’organisation de la campagne scientifique conduite par le Polar Gentleman en 1903-1905. D’abord, il embarque dix spécialistes couvrant toutes les disciplines et dote le Français de laboratoires sophistiqués. Mieux, le trois-mâts emporte de petits bâtiments préfabriqués qui permettront d’établir une véritable station scientifique à terre lorsque le navire passera l’hiver pris dans la glace. Et pour un coup d’essai, Charcot réussit un coup de maître. Pourtant, entre les vents violents, les avaries de machine et les glaces abondantes, aucune difficulté ne sera épargnée au navire. Et encore, cela n’est rien à côté de l’accident survenu peu après l’hivernage : le Français heurte violemment une roche invisible sous deux mètres d’eau. La voie d’eau est grave ; après une réparation provisoire, le cap est mis sur l’Amérique du Sud. Par chance, la météo n’est pas trop mauvaise au passage du détroit de Drake et les pompes tiennent jusqu’à Buenos Aires où le navire est mis en cale sèche. On découvre alors que seul un miracle lui a permis de s’en sortir. La réparation s’annonce longue et coûteuse, mais le gouvernement argentin propose de racheter le Français.

Le bilan de cette expédition écourtée reste largement positif avec la cartographie d’un millier de kilomètres de côtes inconnues et soixante-quinze caisses d’échantillons, notes et mesures diverses. De retour en France, après un accueil triomphal, Charcot trouve vite le financement pour un nouveau navire. Né de l’expérience du Français, le Pourquoi-Pas ? est plus grand et plus confortable. En 1908, ce beau trois-mâts barque entame sa carrière par une expédition en Antarctique. Ensuite, il devient un habitué des mers arctiques et notamment du Groenland, menant campagne sur campagne pendant près de trente ans, jusqu’au naufrage sur les côtes islandaises, en septembre 1936. Jean-Baptiste Charcot y perd la vie, à l’âge de 69 ans


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