Le Fulmar, une présence française en Amérique du Nord

En Amérique du Nord, Saint-Pierre-et-Miquelon est l’unique territoire français permettant à l’État de posséder une zone économique exclusive non négligeable. Depuis 1997, c’est le patrouilleur Fulmar qui affirme dans ces eaux la souveraineté française, en particulier pour ce qui relève de l’action de l’État en mer. Cols bleus a passé 12 heures à bord avec l’équipage.

Le Fulmar, une présence française en Amérique du Nord © ©M.AUDIN/MN

Le Fulmar, une présence française en Amérique du Nord

Il est l’un des plus petits navires de guerre français. Pourtant sa zone d’action, l’océan Atlantique en bordure des Grands Bancs de Terre-Neuve, est immense. Un royaume sur lequel règne le Fulmar, un ancien chalutier construit en 1990, devenu patrouilleur de la gendarmerie maritime en 1996 puis de la Marine nationale en 2009. Avec son équipage limité à 12 marins – dont un seul officier –, son rôle est d’assurer une présence française en mer en Amérique du Nord (patrouille, action de souveraineté, secours en mer, police de la navigation, police des pêches, assistance aux navires en détresse, coopération avec les alliés.

Lorsque le Fulmar appareille en ce mercredi matin, laissant peu à peu les maisons colorées de Saint-Pierre derrière lui, le ciel est gris mais dénué de brumes. L’objectif de la journée est double : faire s’entraîner les membres d’équipage au tir et aller repérer des casiers de pêche pouvant perturber la navigation et présenter un risque environnemental. Si 4 000 kilomètres séparent Saint-Pierre de Brest, cet archipel français d’à peine 242 kilomètres carrés est à seulement 25 kilomètres de Terre-Neuve au Canada. Il regorge d’immenses plateaux sous-marins riches de nombreuses ressources d’hydrocarbures ou halieutiques dont la morue fut une des espèces emblématiques.

En passerelle, le maître principal Sébastien dirige le navire vers la zone de tir dans les eaux froides de l’Atlantique. Chargé d’organiser l’exercice, le premier maître Vincent assure le briefing de l’équipage. Officier chef du quart et plongeur de bord, il officie également en cuisine en tant que commis. Comme lui, les douze marins du bord remplissent plusieurs fonctions en raison du faible effectif.

Sur bâbord, le capitaine de corvette François Mauger, commandant du patrouilleur, les yeux rivés sur l’océan, supervise l’exercice et donne ses ordres. L’exercice terminé et le debriefing effectué, le bâtiment s’apprête à effectuer sa seconde mission.

Un environnement hostile

Dans son bureau, le livre Patrouille au Grand Nord de Patrice Franceschi en main, le commandant rappelle la fonction première du bateau : le sauvetage en mer. L’équipage est d’alerte à 24h durant l’hiver et 6h en été. Si la récupération d’un membre d’équipage tombé à la mer est le lot de tous les bateaux de la Marine, le Fulmar rajoute à l’équation un environnement hostile auquel il faut s’adapter : «Les conditions météorologiques ne nous permettent pas toujours de mettre un canot à l’eau, précise le commandant. Nous avons donc imaginé un système permettant au naufragé de s’enrouler à l’aide d’une haussière pour être secouru», poursuit-il.

Le Fulmar s’exerce également au remorquage de navires en mer, en coopération avec les ferries de la collectivité. Ceux-ci acheminent des passagers plusieurs fois par semaine de l’archipel à l’île de Terre-Neuve, au Canada. « Dès que les conditions météo le permettront, nous prévoirons un exercice avec un pêcheur », indique le CC Mauger.

Une coopération locale et internationale

Dans ce territoire français bordé par le Canada, le partage des enjeux maritimes stratégiques génère une forte coopération entre le Fulmar et ses homologues canadiens, américains et danois, le Groenland se trouvant au nord de l’archipel. Chaque année, en juin, le patrouilleur participe à un exercice SAR (Search and rescue) avec la garde côtière et les escadrons d’hélicoptères de l’armée de l’air canadienne. Dans une zone «où les gens connaissent bien la mer et savent naviguer», les interventions sont heureusement rares.

Polyvalent, le Fulmar lutte également contre la pollution maritime. « Une tonne de fioul peut générer huit tonnes de déchets à terre ». Afin de diluer la pollution à la mer, le patrouilleur possède des rampes d’épandage, un filet et un écrémeur.

Le Fulmar coopère aussi étroitement avec les Affaires maritimes, notamment dans le cadre de la police des pêches. «Nous vérifions que les bateaux donnent et relèvent leur position à l’aide des systèmes AIS et VMS, explique le commandant. Et vérifions qu’ils disposent bien d’un droit de pêche», «Le but est de défendre les intérêts des Saint-Pierrais en s’assurant que les pêcheurs canadiens respectent les droits de pêche dans notre ZEE. »

Dans les prochains mois, le commandant et son équipage travailleront de concert avec les acteurs de la biodiversité locale. Une convention devrait être signée afin d’aider au comptage des phoques sur l’île de Miquelon. Par ailleurs, le bâtiment ira surveiller des filières d’aquaculture abandonnées. Les plongeurs de bord du patrouilleur iront les recenser afin de qualifier le risque qu’elles présentent pour la navigation, avant de passer la main au service public des phares et balises.

Suivre les saisons

Le programme 2025 du bâtiment suivra les saisons afin de s’adapter aux contraintes climatiques. L’hiver, les entraînements se feront en journée avec des missions relevant de l’AEM. Au printemps, le bâtiment se dirigera vers le Sud, dans la région des Grands Lacs pour bénéficier de meilleures conditions météorologiques et coopérer avec les gardes-côtes américains et canadiens. Au retour, l’équipage formera au quart des élèves de la mission Jeanne d’Arc. Enfin, en été, le Fulmar pilotera un exercice SAR et assurera la sécurité d’événements nautiques. Avant son arrêt technique annuel à l’automne le Fulmar entreprendra en août une traversée vers le passage du Nord-Ouest, si la situation des glaces le permet. L’objectif étant de mieux appréhender cette zone dans un contexte de changement climatique et d’améliorer nos capacités de coopération avec les canadiens et les danois.

«Aucune présence de casiers dans la zone où nous patrouillons, commandant», rend compte un membre d’équipage. Ordre est donné de rentrer au port. Quelques minutes plus tard, alors que l’équipage se partage entre la passerelle et les plages pour préparer la manœuvre d’accostage, un phoque apparaît sur bâbord. Rires de l’équipage. Être marin à bord du Fulmar, c’est vivre une aventure atypique, à l’image de son territoire.

Dans le sillage de…

Patrice Franceschi

Auteur de Patrouille au Grand Nord (Points), récit de son embarquement à bord du patrouilleur Fulmar, à l’invitation de son commandant, qui fut autrefois son second sur le trois-mâts La Boudeuse en Amazonie et en océan Indien.

Cols bleus : Vous êtes un écrivain aventurier. Littérature et aventure vont- elles de pair ?

Patrice Franceschi : Le lien entre écriture et aventure est consubstantiel. C’est la genèse du retour à l’idée de l’homme complet, de l’homme d’action et de la réflexion. Dans la philosophie antique, la formation des êtres humains ne pouvait pas être seulement l’un ou l’autre. Associer en permanence l’action et la réflexion à travers l’aventure, le terrain, l’engagement et la littérature est mon choix de vie !

C. B. : C’est l’histoire de votre vie…

P. F. : Oui j’ai commencé à 18 ans et ça finira ainsi ! Les écrivains que j’admire le plus sont ceux qui faisaient de la vie un matériau pour l’écriture. Dans le domaine de l’aviation, Antoine de Saint- Exupéry, Romain Gary, et quelques autres. Dans le domaine de la mer, Conrad, Melville… J’admire aussi Dino Buzzati chez les Italiens, Hemingway chez les Américains. Ce sont eux que j’emmène en voyage dans ma poche. Ce n’est pas par hasard si je dirige la collection de poche Points Aventure au Seuil. Chaque livre coûte 8 euros. Le prix n’est pas un frein à la lecture.

C. B. : Deux ans après votre patrouille au Grand Nord à bord du Fulmar, quel est votre souvenir le plus épique ?

P. F. : Les tempêtes que l’on a eues au large de Terre Neuve, quand la mer ne ressemble plus à ce qu’elle était la veille et qu’elle est en colère. Ça tabassait bien à bord. Et les deux fois où l’on a tapé des icebergs, Il a fallu envoyer des plongeurs effectuer une visite de coque pour voir s’il n’y avait pas une brèche. Personnellement, cela me plaisait bien. J’ai connu pire, dans le golfe de Gascogne l’hiver.

C. B. : Que représente le Grand Nord pour vous ?

P. F. : C’est un des endroits où le dérèglement climatique (avec la fonte des glaces) se voit le plus. Mon livre est un livre d’aventure qui aborde aussi des questions géostratégiques. Il y a de grands enjeux politiques et économiques. Des pays comme le Canada sont incapables de protéger leur territoire face à la Chine et la Russie qui sont très armés. Les enjeux géopolitiques vont être extrêmement vifs et nous ne sommes pas armés pour cela.

Patrice Franceschi © © Valérie Labadie

Patrice Franceschi

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