NARCOTRAFIC, lutte en haute mer

Cannabis, cocaïne, héroïne, amphétamines, les trafiquants usent de toutes les stratégies pour faire transiter de la drogue des zones de production vers les réseaux de distribution. En Méditerranée ou aux Antilles, dans les océans Indien et Atlantique, ils recourent largement aux voies maritimes pour acheminer leur marchandise. Quels sont les moyens de lutte mis en place par la Marine ?

Dossier réalisé par l'EV2 Margaux Bronnec, l'Asp Maxence Liddiard et Philippe Brichaut

NARCOTRAFIC, lutte en haute mer © Marine nationale

AU COEUR D’UNE OPERATION NARCOPS

Le Ventôse en action

La Marine engage ses moyens hauturiers dans la lutte contre les trafics de stupéfiants. Déployés depuis les ports de métropole ou d’outre-mer, eux seuls permettent les inter­ceptions en haute mer. Embarquez à bord de la frégate de surveillance (FS) Ventôse lors de l’intervention conduite le 10 février 2023 dans la mer des Caraïbes sur un caboteur grenadien.

UNE EMBARCATION SUSPECTE ?

Tout part d’une information transmise par un service de renseignement français. Ce 9 février 2023, un navire suspecté de trafic de drogue vient de quitter l’île de Grenade. Il se dirige vers Saint-Martin. « Nous sommes d’autant plus attentifs car nous sommes là pour proté­ger nos territoires des flux illicites », souligne le capitaine de frégate Côme, chef de la division opération du centre opérationnel des forces françaises aux Antilles (Centops FAA) qui planifie et coordonne l’activité de l’ensemble des moyens de la Marine dans la zone. Dans le cadre de cette mission particulière d’action de l’État en mer (AEM) qu’est la lutte contre le trafic de stupéfiants par voie maritime, la Marine opère aux côtés de nombreux autres acteurs : Police, Gendarmerie, Douanes et Justice. Lorsqu’elle est déployée dans le cadre de l’opération Carib Royal, la FS Ventôse est le meilleur moyen pour intervenir, car elle béné­ficie d’une grande capacité à durer sur zone et dispose d’un détachement commando à bord. Pour cette opération, un Falcon 50 est égale­ment envoyé en renfort à Fort-de-France Il permet de relocaliser l’embarcation suspecte en toute discrétion : « La présence des moyens maritimes et aériens permet à la France d’in­tervenir sur l’ensemble des Antilles, aux côtés des alliés de la région », assure le commissaire de première classe Maxime, membre de la division AEM. L’embarcation suspecte, le voi­lier Minerva, est repéré au sud des îles Vierges américaines.

Dans le même temps, une réunion interser­vices regroupe les membres de la division AEM et du Centops des FAA, l’office antistupéfiants (OFAST) et les services de renseignements, afin de définir un mode opératoire et d’ini­tier les demandes nécessaires pour monter à bord du Minerva. L’opération est dirigée par le commandant de la zone maritime (CZM) en tant qu’adjoint du délégué du gouvernement pour l’action de l’État en mer (DDGAEM) de la zone maritime Antilles. L’embarcation bat­tant pavillon grenadien, la France peut selon l’article 17 de la convention des Nations unies contre les trafics illicites de 1988, communé­ment appelée convention de Vienne, demander l’autorisation à l’État du pavillon de prendre des mesures appropriées à l’égard de ce navire (monter à bord, le visiter ou encore initier une procédure judiciaire si un trafic illicite est découvert). « Nous participons à la lutte contre les trafics de stupéfiants pour limiter la dissé­mination de grandes quantités de drogues qui pourraient arriver chez nous (Ndlr : en Marti­nique) pour ensuite transiter vers l’Europe. C’est ce que nous appelons la “stratégie du bouclier” » explique le membre de la division AEM.

DÉFINIR LA TACTIQUE D’INTERVENTION

Dès le lendemain, les autorisations sont obtenues avec l’abandon de la compétence juridictionnelle de l’État du pavillon : l’État de Grenade autorise la France à aborder l’embarcation et à mener les éventuelles poursuites judiciaires. En fin de journée, le capitaine de frégate Matthieu Ruf, comman­dant du Ventôse, reçoit l’ordre de localiser le navire Minerva. Ce caboteur à voile avance à une allure de 10 nœuds. L’objectif est de le sur­prendre pour éviter que ses membres d’équi­page ne jettent la drogue à la mer. C’est alors au tour de la frégate d’entrer en jeu : « Ces interventions nécessitent d’avoir une vision tactique sur place pour pouvoir prendre les rela­tive du commandant du navire », explique le commandant. Une fois l’idée de manœuvre tactique élaborée, puis validée par le Cen­tops FAA, le Falcon 50 est déployé pour relo­caliser le caboteur. Moins d’une heure après, les commandos, à bord de l’embarcation de transport rapide de commandos (Etraco) se dirigent depuis le Ventôse vers le navire sus­pect. Évoluant de nuit et par mer formée, ils sont guidés par l’hélicoptère Panther de la fré­gate. Le dispositif est prêt à intervenir. Le feu vert est donné par le CZM.

Durant toute l’intervention, le commandant du Ventôse reste en contact avec le Centops FAA pour rendre compte de tout imprévu : « Je dois fournir à l’autorité décisionnelle le plus d’informations possible. » Des comptes rendus de situation sont alors transmis en perma­nence par le commandant adjoint opérations. (COMOPS) qui assiste le commandant dans la conduite des opérations.

Un marin inséré à l’OFAST

Parole de… Lieutenant de vaisseau Romaric Officier de liaison à l’OFAST

Au sein de l’antenne Caraïbe de l’office antistupéfiants (OFAST) basée à Fort-de-France en Martinique, j’occupe plusieurs fonctions. D’abord celle d’officier de liaison qui permet de faire le lien entre les interventions NARCOPS en mer et la procédure judiciaire à terre. Je suis également membre de la division action de l’État en mer (AEM) pour laquelle je traite le renseignement inter administrations et interalliés sur la thématique du narcotrafic (direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières [DNRED], Gendarmerie, Joint InterAgency Task Force-South*, centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants…). Je participe enfin à assurer la coordination inter administrations en mer des moyens maritimes et aériens de la fonction garde-côtes aux Antilles. Ma zone d’intervention est celle du commandant de zone maritime des Antilles qui couvre l’ensemble de la mer des Caraïbes ainsi qu’une partie de l’océan Atlantique. L’antenne Caraïbe occupe un positionnement stratégique dans cette région au regard du rôle de transit joué par la plaque antillaise en termes de trafic international de cocaïne. La Marine nationale met à disposition ses bâtiments de surface et ses aéronefs pour intercepter les navires suspectés de trafics illicites, principalement en haute-mer. Ainsi, aux côtés de la Douane et la Gendarmerie nationale, la Marine nationale participe à la stratégie du bouclier en luttant contre le trafic inter-îles en Caraïbe.

En quelques minutes, les commandos montent à bord de l’embarcation. L’effet de surprise est complet pour les quatre membres d’équipage du petit voilier Minerva, pourtant prêts à lar­guer leur cargaison grâce à un système de sacs lestés par du sable et des pierres, reliés par du bout (cordages) et disposés sur les passes du voilier. Une enquête de pavillon approfondie est effectuée par le chef de l’équipe de visite et le commissaire du Ventôse. Ce dernier procède ensuite à un contrôle de la documentation du bord (liste d’équipage, manifeste, etc.). Dix-neuf ballots sont trouvés sur les ponts exté­rieurs du navire. Ils contiennent de la poudre blanche. Ces derniers sont testés positifs à la cocaïne, l’infraction est donc constatée. On passe alors d’une phase administrative, où des moyens sont déployés suite à un renseigne­ment, à une phase pré-judiciaire, en attendant la remise aux autorités judiciaires à quai et le placement de l’équipage en garde à vue.

RETOUR À QUAI

La décision est prise de dérouter le Minerva vers Fort-de-France pour remettre le navire, la cargaison et les membres d’équipage aux autorités judiciaires françaises. Les condi­tions de mer se dégradant progressivement, le transfert s’effectuera le lendemain. Les quatre membres d’équipage ainsi que leur cargai­son rejoignent le Ventôse mais le Minerva, endommagé par une voie d’eau, chavire au sud-ouest de la Guadeloupe. Une fois à terre, les présumés narcotrafiquants sont remis au parquet de Fort-de-France et placés sous le régime de la garde à vue. Au total, 445 kilo­grammes de cocaïne ont été saisis par les marins du Ventôse.

3 QUESTIONS À… CLARISSE TARON PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE FORT-DE-FRANCE

Quel est votre rôle en tant que procureur de la République dans la lutte contre les trafics de stupéfiants ?

Le rôle d’un procureur, c’est à la fois de diriger des enquêtes, d’exercer des poursuites, de soutenir ou non l’accusation et d’exécuter la peine. En matière de trafic de stupéfiants, les enquêtes peuvent être lourdes, complexes. Nous sommes aussi garants de la procédure. Je le dis souvent à l’amiral (Ndlr : le contre-amiral, commandant supérieur des forces armées aux Antilles), il ne sert à rien de faire une très grosse saisie si nous sommes amenés à avoir une procédure irrégulière.

Quelle est la plus-value des moyens de la Marine dans ces opérations d’action de l’État en mer ?

Dans la lutte contre les trafics de stupéfiants, la coopération interministérielle est essentielle, notamment dans l’identification des cibles. Au moment de l’interpellation nous disposons des moyens de la Marine, des hélicoptères, des tireurs d’élite, des Etraco pour appréhender les trafiquants. Nous travaillons également régulièrement avec les commissaires de la Marine, garants de la procédure, notamment lors de l’enquête de pavillon, et suivons en direct les opérations grâce à des boucles d’échanges internes.

En quoi la présence militaire française est nécessaire dans cette zone maritime contre le trafic de stupéfiants ?

La mer des Caraïbes est une zone où transitent des quantités de drogues importantes ; nous avons donc un rôle de bouclier pour la métropole et l’Europe. On essaie d’avoir les actions les plus adaptées possible mais quand nous interceptons une tonne de cocaïne, des quantités aussi importantes continuent de transiter. Je reste persuadée que nous devons continuer notre action car c’est un coup financier porté aux trafiquants.

Le voilier Minerva est repéré de nuit © Marine nationale

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Paroles de marins

Opérer pour lutter contre les trafics de stupéfiants aux Antilles

Les opérations de lutte contre les narcotrafics impliquent tous les membres de l’équipage d’un navire. Du cuisinier au commandant adjoint opérations, en passant par l’opérateur SIC, ou encore le commissaire, les marins du Ventôse témoignent de leur expérience au cœur d’une mission risquée.

LV Thibault, chef du détachement hélicoptère

Lors d’une intervention, l’héli­coptère Panther permet de relo­caliser le bateau cible, et lorsque l’embarcation rapide est engagée, de la guider pour qu’elle puisse évo­luer de nuit, sans moyens lumineux afin de ne pas être repérée. Ma mission est alors d’étudier en lien avec le comman­dant adjoint opérations (Comops) et le com­mandant du Ventôse une idée de manœuvre pour conduire la mission. On va réfléchir au bon positionnement de la frégate, définir la quantité de carburant à mettre dans l’appa­reil, la zone dans laquelle chercher, les heures optimales pour faire les vols. Un mot d’ordre : s’adapter. Chaque intervention est différente. En janvier dernier, lors d’une intervention, l’embarcation suspecte, une tapouille, effec­tuait des manœuvres d’évitement dangereuses avec l’embarcation d’assaut. Nous avons dû réagir vite avec l’hélicoptère, un Panther, pour contraindre la route du bateau.

SM Julien, pilote d’embarcation rapide

Quand je pars pour une inter­vention, je suis déjà équipé (casque lourd, gilet pare-balles). Une fois l’embarca­tion à l’eau, je reviens sur le Ventôse, j’embarque l’équipe de visite avec moi et je suis aux ordres du chef de mission. Souvent les deux embarcations de la frégate de surveillance sont mobilisées. On va alors jusqu’à la cible désignée puis mon but est d’amener les membres de l’équipage sur celle-ci et de les ramener en un seul morceau. Lors de la dernière saisie début juillet, nous sommes intervenus, sans le détachement com­mando, à bord d’un voilier. C’était beaucoup d’adrénaline car j’ai la responsabilité du per­sonnel qui est avec moi. Quand on est venu sur le voilier, la route n’était pas adaptée. On a dû se reconfigurer. Ça a duré cinq secondes mais ce sont ces quelques secondes où il faut prendre rapidement une décision.

EV1 Matthieu, officier chef du quart

Il existe deux cas de figure. Lorsque nous sommes déclenchés suite à un ren­seignement, nous avons le temps d’établir une idée de manœuvre tactique avec le commandant et le commandant adjoint opérations. Dans le cas d’une embarcation sus­pecte repérée sur le plan d’eau, nous n’avons pas de préavis. Nous mettons alors à l’eau les embarcations le plus rapidement possible pour aller l’intercepter. Je me souviens d’un soir où j’étais de quart pendant le « zérac » (quart de minuit à quatre heures du matin). Vingt minutes après le début du quart, nous avons détecté au radar une embarcation à la dérive. Nous avons rapidement mis les embarcations à l’eau pour effectuer une visite. Résultat : 1 500 kg de marijuana et une dizaine de nar­cotrafiquants remis aux autorités judiciaires. C’était une situation stressante car le premier compte rendu de l’équipe de visite était : « Il y a des ballots partout, j’ai deux blessés et le bateau commence à couler. » Dans ces moments il faut savoir prioriser.

CR2 Corentin, commissaire et membre de l’équipe de visite

Tout le monde à bord est concentré sur le succès tactique de l’intervention. Mon attention se porte plus particulièrement sur l’après, avec la préservation de la légalité de notre action jusqu’à sa fin. Tout l’enjeu est de faciliter le travail du Parquet en se montrant irrépro­chables, car dans un cas de flagrant délit, les seuls levers accessibles à l’avocat de la défense seront le vice de procédure ou de forme et le respect des droits du prévenu. Au central opé­rations, je conseille le commandant pour la partie juridique et j’oriente à distance l’action du chef de l’équipe de visite. Mais quand l’en­quête de pavillon s’annonce compliquée, je fais partie de l’équipe de visite pour délester son chef de l’examen des documents, des échanges avec le capitaine et des tests sur les produits découverts.

En décembre, j’ai connu ma première opéra­tion fructueuse après plus d’un an à bord. En approchant, depuis notre embarcation rapide, j’ai vu des ballots tractés par l’arrière de la tapouille. Cette fois-ci c’était la bonne !

QM2 Edouard, opérateur SIC et membre de l’équipe de visite

Je suis chargé de gérer les échanges et le transfert d’infor­mations entre le bateau (le cen­tral opérations ou la passerelle), l’équipe de visite et l’hélicoptère. En tant qu’opérateur SIC je trans­porte beaucoup de matériel dans mon sac à dos : radios, téléphone satellitaire, transfert de fichiers via des réseaux sécurisés, moyens cryptés ou non… Il faut donc être très concen­tré car si je perds le contact par l’un des moyens de communication, je dois rapidement me reconfigurer et en utiliser un autre.

Je ne suis pas uniquement opérateur SIC mais aussi membre de la brigade de protection. Au même titre que les autres membres de l’équipe de visite, je peux être amené à procéder à des palpations de sécurité et des investigations. Je suis donc formé et entraîné avec les autres membres du groupe.

SM Jade, opérateur au Central opérations

À bord, je rédige « l’Ėventrep » « event report ». C’est une main courante qui recoupe les infor­mations provenant de la pas­serelle, du central opérations, de l’hélicoptère, de l’équipe de visite et du Centops à terre. J’écris tout le déroulé de l’intervention ligne par ligne : le décollage du Panther, la découverte à bord des stupéfiants et lorsqu’ils sont testés positifs. Cela permet de refaire le film a posteriori. On ajoute à ce document des photos du client et des ballots de drogue, mais aussi des carto­graphies avec plusieurs routes. Ce document nous sert notamment de retour d’expérience pour analyser les potentielles erreurs à ne pas reproduire.

Au central opérations, tout le monde est concentré sur le navire suspect, cherche à savoir où il est, où on doit aller. Quand on sait qu’il y a des ballots de drogue, et que l’équipe monte à bord il y a un silence pesant en atten­dant le premier compte rendu de l’équipe de visite. Ce sont des moments intenses, tout le monde retient son souffle, on est suspendu aux éléments du chef de l’équipe de visite.

NARCOTRAFIC : UNE LUTTE PERMANENTE

Océan Indien, golfe de Guinée, mer Méditerranée

Chaque année, plusieurs dizaines de tonnes de stupéfiants sont saisies par la Marine nationale autour du globe (44,7 tonnes saisies en 2022, soit 1,92 milliard d’euros). Selon la zone mari­time, les vecteurs utilisés par les narcotrafi­quants varient tout comme les moyens déployés par la Marine nationale et les partenaires avec lesquels elle mène la lutte contre le trafic de stupéfiants. Depuis le début de l’année 2023, à la date de rédaction de ce dossier, treize sai­sies ont été effectuées par la Marine nationale dont huit en océan Indien, quatre aux Antilles et une en Atlantique. Ce sont 16 tonnes de drogue (représentant une valeur marchande de 260 millions d’euros) dont le produit de la vente ne financera pas les réseaux criminels et terroristes. Si les Antilles constituent une région particulièrement concernée par ce tra­fic, d’autres régions du globe sont touchées par ce phénomène. Parmi elles, l’océan Indien, le golfe de Guinée ou encore la mer Méditerra­née. Des voies maritimes denses, accaparées par le commerce mondial, au sein desquelles tentent de se glisser les narcotrafiquants. Grâce à ses moyens prépositionnés ou déployés depuis la métropole, la Marine y mène d’im­portantes campagnes de lutte contre le trafic de stupéfiants.

NATION DE L’OCÉAN INDIEN : AUX CÔTÉS DES ALLIÉS

Grâce à l’opération européenne Atalanta, initiée en 2008, les actes de piraterie au nord-ouest de l’océan Indien ont largement diminués. À tel point que, depuis le 1er jan­vier 2023, l’Organisation maritime interna­tionale (OMI) ne reconnaît plus la région comme « zone à haut risque ». Fort de ce suc­cès, en 2021, le Conseil de l’Union européenne décide d’élargir l’éventail d’action d’Atalanta à, entre autres, la lutte contre le trafic de drogue. Un spectre de missions plus large auquel parti­cipe la Marine grâce à ses moyens déployés ou stationnés dans la région.

En plus d’Atalanta, les moyens français sont déployés au sein d’une coalition navale inter­nationale, les combined maritime forces (CMF). Créée en 2001 par les États-Unis, cette coali­tion réunit 38 nations et oeuvre pour la sécu­rité maritime au nord de l’océan Indien, de la mer Rouge jusqu’au golfe Arabo-Persique. Depuis Bahreïn, l’état-major coordonne cinq forces opérationnelles, ou combined task forces (CTF). Parmi elles, la CTF150 oeuvre à assurer la sécurité maritime et la lutte contre les trafics illicites en mer d’Arabie et au profit de laquelle la Marine nationale déploie ses moyens.

Sur les huit saisies de stupéfiants effectuées en océan Indien par la Marine nationale depuis début 2023, quatre s’inscrivent dans le cadre de la mission Atalanta et trois dans le cadre de la TF150. Les bâtiments sont engagés dans l’une ou l’autre des opérations selon le besoin. « C’est ce que l’on appelle en anglais le dynamic tasking, précise le lieutenant de vaisseau (LV) Adrien, officier traitant à l’état-major des opé­rations Marine. La Marine nationale échange constamment avec les nations partenaires pour collecter et partager le renseignement. Selon la situation, le commandant de la zone maritime de l’océan Indien (ALINDIEN) décide sur quelle opération nos bâtiments vont être envoyés. » Dernière saisie en date : 2,1 tonnes de résine de cannabis à bord d’un navire de pêche par la frégate de type La Fayette Surcouf fin mai 2023.

DEUX AXES IDENTIFIÉS

Dans cette zone maritime du globe, les nar­cotrafiquants utilisent principalement des « boutres ». Ces navires traditionnels origi­naires de la mer Rouge naviguent lentement, à une dizaine de nœuds, et se ressemblent tous. Plus facile donc pour les narcotrafiquants de se fondre dans la masse. Ces derniers empruntent l’une des deux principales routes maritimes de la drogue dans la région. La « Smack Track » en argot américain « la piste de l’héroïne », connecte le nord de la mer d’Arabie au sud-est de la côte africaine puis éventuellement jusqu’en Europe. Et la « H-highway » pour « l’autoroute du haschich », qui quitte le Pakis­tan, enroule toute la péninsule Arabique pour remonter vers la mer Rouge et rejoindre la Méditerranée.

Pour mener à bien la lutte contre ces trafics illicites, ALINDIEN dispose des moyens des Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) et peut également avoir recours aux moyens prépositionnés auprès des forces armées en zone Sud de l’océan Indien, basées à La Réunion, mais aussi des forces fran­çaises stationnées à Djibouti. Cela comprend deux frégates de surveillance, un patrouilleur et occasionnellement un Atlantique 2 et un Falcon 50 Marine. « Chaque navire militaire français qui transite dans l’océan Indien peut participer à des missions de lutte contre le tra­fic de drogues, précise le LV Adrien. Ce fût notamment le cas lors de la dernière mission Jeanne d’Arc où les deux navires ont intégré Ata­lanta pour quelques jours ». En effet, le 2 mars 2023, le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude et la frégate La Fayette, alors en mis­sion Jeanne d’Arc autour du monde, saisissent plus d’une tonne de stupéfiants en mer d’Ara­bie (573 kg de cannabis, 210 kg de métamphé­tamines et 307 kg d’héroïne et d’opiacés).

Depuis janvier 2023, près de sept tonnes de dro­gues ont été saisies en océan Indien. Systémati­quement dans cette région du globe, lorsque la drogue est saisie, elle est détruite. Cela permet au bâtiment militaire de poursuivre sa mission sans avoir à détourner sa route pour rapatrier la cargaison.

Mars 2023, mer d'Arabie, les marins du groupe Jeanne d'Arc saisissent plus d'une tonne de drogue © C. Dupont / Marine nationale

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GOLFE DE GUINÉE : OPÉRATION CORYMBE

La lutte contre le narcotrafic dans le golfe de Guinée s’ins­crit dans le cadre de l’opération française Corymbe. Mise en place en 1990, cette dernière œuvre pour la sécurité maritime régionale à travers un mandat doté d’un vaste panel de missions, de la lutte contre la piraterie et les trafics illicites (humains, armes, drogues…) à la formation des marines riveraines du golfe. Depuis la mise en place du processus de Yaoundé en 2013 (initiative lancée par les chefs d’État et de gouvernement riverains du golfe de Guinée, du Sénégal à l’Angola, pour accroître la sécurité des espaces maritimes), la Marine coopère avec les États riverains. Ainsi, depuis plus de trente ans, elle déploie de manière quasi permanente un bâti­ment dans la région.

Les navires déployés dans le cadre de l’opéra­tion sont principalement des patrouilleurs de haute-mer (PHM). Des frégates de surveillance (FS) ainsi que des porte-hélicoptères amphi­bies (PHA) peuvent également être présents. Dans les airs, le Falcon 50 positionné à Dakar (Sénégal) est systématiquement déployé pour les missions de lutte contre le narcotrafic. Ces interventions sont bien souvent menées en haute mer sur des navires empruntant la route transatlantique entre l’Amérique du Sud et l’Afrique pour acheminer de la cocaïne qui sera ensuite transférée vers l’Europe par voie terrestre. « La zone que nous surveillons tout particulièrement s’étend au large du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée, jusqu’au sud des îles Canaries », pointe le capitaine de corvette Pauline, adjoint au chef du plateau Afrique à la division des opérations du commandant en chef pour l’Atlantique. Des saisies dans la pro­fondeur qui permettent d’appréhender d’im­portantes quantités de drogue, avant qu’elles ne soient dispersées sur le territoire national.

RENSEIGNER POUR AGIR

De concert avec les alliés du Centre opéra­tionnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N), la Marine nationale identifie les navires suspects avant d’intervenir. Agence internationale de coordi­nation créée en 2007 à l’initiative de la France, le MAOC-N est basé à Lisbonne et est alimenté par des renseignements provenant des diffé­rents pays membres. « La Marine nationale dispose d’un officier de liaison en permanence au MAOC-N. Ce dernier tient les unités fran­çaises informées du renseignement à disposition et permet de maintenir un lien constant avec nos alliés pour mener au mieux nos opérations dans le golfe de Guinée », ajoute le CC Pauline.

Chaque mission de lutte contre le narcotrafic dans le golfe de Guinée est donc soigneuse­ment planifiée à l’avance dans un effort collec­tif. Le CC Pauline précise : « Nous identifions les navires d’intérêt grâce au renseignement français ou allié puis préparons l’action avec la division de l’action de l’État en mer et le pro­cureur de la République de Brest. Nos actions rentrent dans le cadre de la convention sur le droit de la mer et la convention de Vienne. » Des missions menées sur un spectre de clients très vaste. Du simple voilier de pêche à des navires de types supply d’une cinquantaine de mètres, voire des vraquiers d’une centaine de mètres de long, les marins doivent être prêts à toute éventualité.

AVEC NOS PARTENAIRES AFRICAINS

Dans le cadre de la mission Corymbe, la Marine nationale contribue à renforcer les capacités des marines riveraines du golfe de Guinée à lutter contre les trafics illicites. Des missions sont donc menées conjointement avec les partenaires africains. Le CC Pauline note qu’aujourd’hui « le Sénégal et la Côte d’Ivoire se déploient en haute mer, à plus de 150 nautiques (280 kilomètres) de leurs côtes ». La Marine nationale s’entraîne donc réguliè­rement avec ces derniers. Ensemble, ils iden­tifient le navire suspect et l’interceptent. Au fil des années, une confiance s’est établie avec ces pays. Ils sont désormais reconnus et inté­grés par le MAOC-N qui leur partage le ren­seignement nécessaire.

MER MÉDITERRANÉE : UN EXEMPLE MÉTROPOLITAIN

Le narcotrafic n’est pas can­tonné aux espaces maritimes lointains : les mers bordant les côtes métropolitaines sont éga­lement concernées, de la mer du Nord à la Méditerranée en passant par l’Atlantique. Les trafiquants savent toutefois qu’il est vain d’essayer d’aborder les côtes françaises car elles sont surveillées. Elles le sont, par la Marine nationale avec son réseau de sémaphores, ses moyens aériens et navals mais également par la Gendarmerie mari­time, les Douanes ou encore la Gendarmerie territoriale. Si les narcotrafiquants évitent nos côtes ils peuvent toutefois emprun­ter des routes qui passent à portée de nos moyens d’intervention et progressent sen­siblement dans l’acheminement des mar­chandises illicites par conteneurs vers les plateformes portuaires. Zoom sur la Médi­terranée, qui voit transiter chaque année 30 % des navires marchands du monde.

La majorité du trafic de stupéfiant en Méditerra­née concerne la résine de cannabis. Cependant, les trafiquants n’hésitent pas à troquer occa­sionnellement leur cargaison habituelle contre des produits plus exotiques : cocaïne en prove­nance d’Amérique du Sud ou opiacés du Levant. Pour pénétrer le marché européen ils transitent vers la Méditerranée centrale et orientale où les côtes sont moins surveillées et les organi­sations mafieuses très implantées. Si entre le Maroc et l’Espagne les narcotrafiquants filent d’une côte à l’autre sur des go-fast, dans la zone où la Marine opère, ce n’est pas le cas. Dans cet espace situé au large, et en dehors de toute zone économique exclusive, les trafiquants font profil bas. Ils utilisent des slow movers, c’est-à-dire des bateaux de pêche, des voiliers ou de petits car­gos transformés pour transporter de la drogue.

UN VRAI TRAVAIL D’ÉQUIPE

La lutte contre les narcotrafics en Méditerra­née présente plusieurs aspects. L’ensemble des moyens de la Marine contribue, dans le cadre de leurs missions journalières en Méditer­ranée, à la collecte de renseignement. Il peut s’agir de renseignement d’origine électro­magnétique, image, humaine ou acoustique. Parmi ces données, certaines concernent le narcotrafic et sont transmises aux orga­nismes chargés de les analyser, comme le MAOC-N, l’office antistupéfiants (OFAST) ou la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). L’autre aspect de la lutte est l’interception des narco­trafiquants. Il s’effectue selon deux méthodes. La première est opportuniste : l’un des orga­nismes en charge de la lutte contre le trafic de drogue (DNRED, OFAST…) obtient un ren­seignement concernant un navire. Il demande alors au préfet maritime de la Méditerranée si un moyen de l’État est en mesure de mener une enquête en mer. La seconde consiste en une opération planifiée. La Marine et la Douane coopèrent régulièrement. Le patrouilleur hau­turier de la direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) Jean-François Deniau associé à un navire de la Marine mène ce type d’opérations hauturières. Leur planification est décidée sur la base de renseignements ana­lysés. Les navires de surface sont appuyés par des moyens aériens (Marine, Douane...). Une cellule interministérielle à la préfecture mari­time, réunissant les représentants des services participants et le parquet du tribunal judi­ciaire de Toulon, statue sur l’opportunité de visiter le navire suspecté. En suivant l’avis du Parquet, une procédure respectant la conven­tion de Vienne est lancée. Celle-ci vise à solli­citer le pays d’origine du navire suspecté afin d’obtenir l’autorisation de monter à bord. Une fois cette dernière obtenue, l’intervention et le contrôle en mer sont déclenchés. Lorsque de la drogue est découverte à bord, le procureur peut décider soit le déroutement du navire vers Toulon afin de procéder à l’inculpation des trafiquants soit de recourir au concept de la dissociation. « C’est un vrai travail d’équipe, la Douane amène son expérience dans le domaine de la fouille, la Marine ses techniques d’assaut en mer et de visite d’un navire mais surtout sa capacité à coordonner l’opération puisque celle-ci est pilotée par le centre opérationnel du commandement de la zone maritime Médi­terranée (CECMED) » nous précise l’inspec­trice régionale des douanes Virginie, chef du bureau de la coordination de la division de l’action de l’État en mer de la préfecture mari­time de Toulon.

Identification d'un Go Fast par imagerie aérienne © DR

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