"L'Homme ne sait pas se transformer : or c'est le défi qui s'impose désormais à nous"

S’il reste peu de territoires vierges à découvrir pour les explorateurs, Christian Clot repousse d’autres frontières : celles de notre connaissance de la physiologie humaine en situations extrêmes. En 2017, il affronte en solitaire les quatre milieux les plus hostiles de la planète – en Iran, Patagonie, Amazonie, Sibérie – pour étudier la capacité humaine d’adaptation. En mars 2021, tout juste sorti de confinement, l’explorateur choisi l’exil troglodyte à 400 mètres sous terre, sans montre ni lumière naturelle, pendant 40 jours. Objectif : étudier les mécanismes du cerveau humain de 15 volontaires soumis à une perte de repères spatio-temporels et observer comment un groupe coupé du monde et du temps s’organise. Des travaux qui pourraient trouver des applications en situation de survie.

Christian Clot © Bruno Mazodier

COLS BLEUS : Difficile de vous comparer à d’autres aventuriers modernes tels que Sylvain Tesson ou Patrice Franceschi. Peut-on retenir de vous que vous êtes à la fois explorateur, scientifique et engagé ?

CHRISTIAN CLOT : Plutôt que « scientifique », je me définis comme un « chercheur » parce que je considère que mes explorations trouvent une utilité sociale en apportant des éléments de réponse à la question de ce que pourrait être notre existence dans le futur. Engagé oui, je le suis également parce que je regrette que notre société ne regarde ses maux que sous un unique prisme.

Grâce à mes rencontres et à mes expéditions, j’ai développé une vision périphérique qui m’amène à m’interroger sur des problématiques comme l’environnement et les crises à venir. Et vos lecteurs le savent : les changements climatiques seront sans doute à l’origine des prochains conflits.

C. B. : Le froid sibérien par - 60 °C, le désert iranien par + 60 °C ou la réclusion volontaire dans une grotte en Ariège sans aucun repère temporel... d’où vous viennent toutes ces idées insolites ?

C. C. : L’idée de ma dernière expédition sous terre est née après le confinement. Pendant la crise sanitaire, les restrictions liées à la Covid-19 ont provoqué des états de fatigue mentale et une perte de la notion du temps pour certaines personnes soumises à l’isolement, selon l’Organisation mondiale de la santé. Fort de ces observations, ma démarche est toujours la même : comment pousser le curseur de mes expériences le plus loin possible pour comprendre en peu de temps des notions dont l’assimilation prendrait des années autrement ? Sans prétention, je veux participer à la protection de l’Homme et du vivant qui l’entoure. Car l’Homme sait bien réagir mais ne sait pas se transformer ; or c’est le défi qui s’impose désormais à nous.

C. B. : Pour votre dernière expérience sous terre, vous réfutez l’emploi du mot « survie », pourquoi ?

C. C. : L’objectif de la mission baptisée Deep Time (« au-delà du temps ») était d’observer le fonctionnement du cerveau dans un système d’anomie temporelle et de voir comment un groupe soumis à une désorientation spatio-temporelle est capable de s’organiser pour s’adapter à un environnement dégradé, à savoir : 100 % d’humidité et une température permanente de 10 °C.

On a tendance à penser que, dans un milieu extrême, il s’agit de survivre. Mais moi je compare ça à un moteur de voiture : je peux le pousser dans les tours/minute, mais il ne le supportera pas longtemps. Pour l’Homme, c’est pareil : on ne peut se contenter longtemps de survivre en conditions extrêmes. Il faut être capable de vivre, c’est-à-dire établir une certaine stabilité et permettre également de libérer ce que j’appelle du « temps d’imaginaire » pour projeter un futur possible. Parce que c’est en projetant un futur qu’on va le construire. En surrégime, ce temps n’existe pas.

C. B. : Votre cheval de bataille est la recherche scientifique autour de l’adaptation humaine face aux changements. Comment expliquer que la science soit assez démunie dans ce domaine ?

C. C. : Nous autres êtres humains, nous sommes toujours victimes de notre prétention de savoir. L’arrivée de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) dans les années 1970 n’a pas permis de découvrir toute la complexité du cerveau. Et de fait, l’isolement que nous avons vécu le temps du confinement n’est pas un sujet d’étude de laboratoire. Mes travaux visent à une meilleure compréhension de la physiologie et de la cognition humaine face à des situations nouvelles. Ce qui nécessite des protocoles expérimentaux hors laboratoires, avec des méthodologies novatrices et éprouvées.

Pour Deep Time, nous avons croisé des mesures objectives – imageries médicales, notamment – avec des données perceptives, tests cognitifs par exemple. Ces mises en situation en milieu réel permettent des analyses plus précises, notamment des paramètres sensoriels et émotifs qui influencent nos décisions tout en garantissant l’absence de repères temporels. L’originalité de notre étude scientifique, c’est que nous menons avec des novices des expériences qui étaient auparavant réalisées par des professionnels uniquement.

C. B. : Quel sera votre prochain défi ?

C. C. : Actuellement, je rassemble des fonds pour monter une nouvelle expédition qui s’appellera Deep Climat. Nous proposerons à 20 volontaires, hommes et femmes en nombre égal, une immersion de quatre fois 40 jours dans des milieux climatiques différents – chaud et froid, humide et sec –, pour observer les mécanismes d’adaptation de l’Homme dans de nouvelles conditions climatiques. En effet, la communauté scientifique prévoit que la température de notre planète augmentera de un à plusieurs degrés dans les décennies à venir, sans savoir quel sera l’impact de ce réchauffement climatique inéluctable sur l’être humain. Crise climatique et migrations sont donc inévitables. Ce que nous ne pourrons éviter, il faut s’y préparer sans le seul secours de la technologie. 

 

Propos recueillis par LV (R) Grégoire Chaumeil

Deep Time - 40 jours sous terre, Éditions Robert Laffont.


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