La libération de la Corse vue par Géraud Létang

Premier département libéré le 8 octobre 1943, le soulèvement des Corses contre les nazis est à replacer dans les bouleversements de la guerre en Méditerranée.

Auteur : Géraud Létang

 

80 ans de la libération de la Corse : un récit en trois actes © Ministère des Armées

L’Opération Torch, débarquement anglo-américain en Afrique du Nord du 8 novembre 1942, bouleverse la stratégie des forces de l’Axe en Méditerranée occidentale. Trois jours plus tard, des unités allemandes et italiennes envahissent l’Ile de Beauté sur laquelle pèsent jusque-là les restrictions et la répression vichystes : une division entière de la quatrième armée italienne, soit environ 80 000 hommes, débarque à Bonifacio et à Bastia pour parer une offensive navale alliée vers la rive septentrionale. Le quartier général italien est installé à Corte.

« La population est stupéfaite et vit très mal cette occupation militaire [italienne], considérée comme une annexion de fait. Conséquence : la Résistance connaît une phase de développement inconnue jusqu’alors. »

Sylvain GREGORI

  • conservateur du musée de Bastia

Avant-poste du régime mussolinien face aux Alliés (Le Duce réaffirme d’ailleurs l’irrédentisme italien sur la Corse), la Corse passe durant l’été 1943 sous le joug de forces nazies. Le Reich voit en effet à ce moment-là son allié fasciste s’affaiblir alors même que la menace des Alliés sur l’Italie ne cesse de s’accroître. En juin 1943, 14 000 Allemands dont la brigade SS Reichführer sont envoyés renforcer les troupes italiennes et s’installent à Sartène. Le succès du débarquement allié en Sicile (opération Husky en juillet-août 1943) provoque en outre le transfert de la 90e division Panzergrenadier de la Sardaigne vers Bonifacio. Ce sont donc 32 000 hommes supplémentaires, équipés d’artillerie lourde et de chars qui arrivent dans l’île.

Ce renforcement de la présence nazie percute de plein fouet les actions de la Résistance corse. Depuis mars 1941, les émanations locales des mouvements Libération-Sud, Combat, Franc-Tireur et le Front National communiste organisent non sans mal une lutte clandestine tant l’unité est difficile. Unifier les forces de la Résistance devient une nécessité absolue à partir de novembre 1942 tant ses effectifs se renforcent suite à l’arrivée des forces de l’Axe. Missionné par Londres afin de réunir les organisations clandestines locales sous l’autorité du Bureau Central de Renseignements et d’Action (services spéciaux gaullistes) en janvier 1943, le résistant Fred Scamaroni se donne la mort pour ne pas parler sous la torture. Parallèlement, le rival du général de Gaulle en Afrique du Nord, le général Giraud voit en Corse l’occasion de prendre attache avec la Résistance intérieure et ainsi renforcer sa légitimité face à l’Homme du 18 Juin. De décembre 1942 à août 1943, au cours de sept voyages clandestins, le sous-marin Casabianca, sous-marin s’étant échappé de Toulon alors que la flotte se saborde le 27 novembre 1942, achemine agents de renseignement, armes et munitions sur le littoral corse. L’audace dont fait preuve le capitaine de corvette Jean l’Herminier et son équipage au cours de ces missions périlleuses marque durablement Français et Alliés.

« C’est une des unités les plus décorées de la Marine nationale. Le Casabianca est titulaire de six citations à l’ordre de l’armée et d’une citation à l’ordre du corps d’armée. Croix de guerre 1939-1945, il a reçu la médaille de la Résistance française le 3 août 1946 avec rosette de la Légion d’honneur. En hommage aux missions accomplies en 1943-1944, le commandement britannique lui remet le célèbre pavillon de tradition Jolly Roger, orné de la tête de mort et tibia entrecroisés des pirates, orné d’une représentation de la Corse, de 7 dagues pour chacune des missions de liaison effectuées et de barres blanches et rouges pour représenter les navires endommagés ou coulés.P ar la suite plusieurs navires de la Marine nationale ont porté ce nom, en particulier le Sous-marin Nucléaire d’Attaque (SNA) éponyme de classe Rubis qui vient d’être désarmé, et il a été décidé qu’un des SNA-NG classe Suffren reprendra le nom ».

Jean Martinant de Preneuf, chef de la Division Recherche, Etudes et Enseignement au Service Historique de la Défense.

Ces opérations en mer produisent des succès à terre. En avril 1943, le général Giraud charge le commandant Paulin Colonna d’Istria d’unifier militairement les réseaux de la Résistance sur place. Parallèlement, le Front National communiste devient l’instance autour de laquelle l’unification politique s’opère. Le 8 septembre 1943, l’annonce de l’armistice des Italiens avec les Alliés constitue l’opportunité que saisit l’appareil communiste de lancer un appel à l’insurrection par la voix de son leader Maurice Choury. Ajaccio et Bastia passent en quelques heures aux mains des insurgés (qui profitent parfois de l’appui des troupes italiennes qui retournent leurs armes contre les Allemands au nom de la co-belligérance en vigueur depuis la chute de Mussolini).

 

Si des nouveaux pouvoirs issus de la clandestinité investissent rapidement les lieux de pouvoir et restaurent une autorité républicaine, le succès de l’insurrection est tout sauf assurée faute d’appui allié (Britanniques et Américains refusent d’envoyer des unités à une insurrection qui n’a pas été anticipée par eux). Cette fragilité est d’autant plus flagrante que l’ordre d’Hitler d’évacuer la Corse et la Sardaigne représente paradoxalement un grand danger pour la Résistance. Plutôt que de percer vers l’Ouest de l’île en affrontant la guérilla, le général Von Senger und Etterlin replie ses forces sur l’axe Bonifacio-Bastia. Fixant dans cette ville le port par lequel la Kriegsmarine procède à l’évacuation, Bastia est reprise par des SS le 14 septembre au prix de nombreuses pertes dans les rangs de la Résistance et des Italiens. 

Au même moment, le général Giraud lance depuis Alger l’opération Vésuve. Celle-ci se concrétise le 13 septembre d’abord par l’arrivée par surprise des 109 hommes du 1er bataillon de choc, débarqués sur un quai en pleine nuit par le Casabianca. Le 17 septembre, le général Henri Martin prend la tête d’une force venue d’Afrique du Nord composée de 2 sous-marins, 2 croiseurs légers, 3 torpilleurs et de la 4e division marocaine de montagne (composée notamment de 6 000 tirailleurs, spahis et tabors). Britanniques et Américains acceptent toutefois de se charger de l’appui-feu aérien. L’articulation entre les unités françaises d’Afrique du Nord et les forces de la Résistance corse se révèlent particulièrement efficace dans les combats de montagne. L’impossibilité de faire des jonctions perturbe et ralentit considérablement le départ des troupes allemandes. Les pertes en portent témoignage. Au total, les Allemands perdent environ 1 600 hommes, dont 1 000 tués et plus de 400 prisonniers ; les Italiens dénombrent 637 tués et 557 blessés, la Résistance compte 170 tués et environ 300 blessés ; et les troupes régulières françaises enregistrent 75 tués et 239 blessés. Le 4 octobre 1943, Bastia est libérée mais la ville est en ruines du fait des bombardements allemands comme américains et des violents combats d’artillerie dans ses abords.

Au total, les Allemands perdent

Environ

1 600

hommes perdent les Allemands

Dont

1000

tué

Plus de

400

prisonniers

Les Italiens dénombrent

637

tués

et

557

blessés

La Résistance compte

170

tués

et environ

300

blessés

Les troupes régulières françaises enregistrent

75

tués

239

blessés.

Du 8 au 10 octobre 1943, le général de Gaulle se rend en Corse et salue les efforts et les sacrifices consentis par la population.

« La Corse, que l'héroïsme de sa population et la valeur de nos soldats, de nos marins, de nos aviateurs, viennent d'arracher à l'envahisseur au cours de la grande bataille que les Alliés mènent en ce moment, la Corse a la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France. Ce qu'elle fait éclater de ses sentiments et de sa volonté, à la lumière de sa Libération, démontre ce que sont les sentiments et la volonté de la nation tout entière. »

Général de Gaulle, discours à Ajaccio le 8 octobre 1943

 

« La Corse a la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France. »

Général de Gaulle, discours à Ajaccio le 8 octobre 1943

L’île est désormais coupée de la métropole et répond à Alger. 13 000 Corses, volontaires ou mobilisés par un simple avis de presse le 30 novembre, s’engagent dans le combat aux côtés des Alliés. Ils embarquent pour Alger, où certains rejoignent la 1re Division française libre, d’autres la 2e Division blindée. En parallèle, l’île est utilisée en tant que base aéronavale pour le contrôle des liaisons maritimes, comme base d’attaque contre les régions italiennes encore occupées par les Allemands, et en tant que base de lancement pour le débarquement de Provence d’août 1944.

Général de Gaulle, discours à Ajaccio le 8 octobre 1943

« Le présent exige la guerre, car l'ennemi principal n'est pas encore abattu. À cet égard, c'est d'Ajaccio que nous affirmons la volonté de la France de déployer sa force renaissante aux côtés des vaillantes forces de l'Angleterre et des Etats-Unis sur les rivages, sur les flots, dans les ciels de la Méditerranée. C'est d'Ajaccio que nous renouvelons notre serment de combattre jusqu'au terme avec tous les peuples qui, comme nous, luttent et souffrent pour écraser la tyrannie, la victoire approche. Elle sera la victoire de la liberté. Comment voudrait-on qu’elle ne fût pas aussi la victoire de la France ? »

Général de Gaulle, discours à Ajaccio le 8 octobre 1943

« C'est d'Ajaccio que nous renouvelons notre serment de combattre jusqu'au terme avec tous les peuples qui, comme nous, luttent et souffrent pour écraser la tyrannie, la victoire approche. »

Général de Gaulle, discours à Ajaccio le 8 octobre 1943.

La Corse tient une place importante dans l'histoire de la Résistance et de la Libération : il s’agit du premier territoire libéré par ses habitants et par des soldats français, sans intervention des forces anglo-américaines.

Pour en apprendre plus

Si vous souhaitez étancher votre soif de connaissance sur cette période charnière de l'Histoire de France, nous vous invitons à consulter les travaux historiques de la Direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA). 

 

80 ans de la libération de la Corse : un récit en trois actes

Contenus associés