À Mainvilliers sous l’Occupation : le récit inédit d’un enfant entre l’attente, les bombardements et la liberté retrouvée
Michel, témoin direct de l’Occupation et de la Libération, vit dans le village de Mainvilliers, près de Chartres. Il a 8 ans au moment du débarquement en Normandie.
Entre récits de la vie quotidienne sous l’Occupation, peur des bombardements, et attente fébrile de la Libération, Michel décrit une époque faite de peur, de courage et d’espoir.
Comment s’est passée l’Occupation à Mainvilliers ?
L'Occupation à Mainvilliers était marquée par la présence constante des soldats allemands. Ils étaient partout, en uniforme, armés, imposant leur autorité silencieuse mais redoutée. Chaque promenade en ville était une source d'angoisse : un simple regard mal interprété, un geste malencontreux pouvait déclencher la fureur.
Le rationnement rendait la vie quotidienne difficile. On manquait de tout : pain, sucre, beurre, viande. Les tickets d'alimentation étaient devenus notre sésame pour survivre, mais ils étaient étroitement réglementés et jamais suffisants. Ma mère cultivait des pommes de terre, des haricots verts, des carottes dans notre petit jardin. Rien n'était perdu ; les épluchures nourrissaient les poules que nous élevions clandestinement.
Les couvre-feux étaient rigoureux. La moindre lumière aperçue par une patrouille pouvait entraîner une perquisition. Mon père bricolait des "volets" de fortune pour étancher la lumière de nos lampes à huile. Il nous disait souvent : "Dans le noir, on est invisibles."
Aviez-vous connaissance de la Résistance autour de vous ?
Oui, mais tout était fait pour que nous, les enfants, n'en sachions rien. Toutefois, à travers des bribes de conversations, des gestes évasifs, des regards entendus entre adultes, nous comprenions que des choses se tramaient.
Un boulanger du village était connu pour fournir des informations à la Résistance. Il cachait parfois des messages dans des miches de pain destinées à des "clients" spéciaux. Il y avait également des va-et-vient nocturnes près de la gare, des camions qui s'arrêtaient quelques minutes puis repartaient à toute vitesse.
Parfois, des maquisards se cachaient dans les bois autour de Mainvilliers. Mon père, sans jamais le dire clairement, me faisait comprendre qu'aider ces hommes était un acte de courage suprême.
« Un matin, en sortant, nous avons découvert que la maison de nos voisins était réduite à un tas de gravats. »
- Témoin de l'Occupation allemande et des débarquements
Où étiez-vous au moment du Débarquement en juin 1944 ?
J'étais à Mainvilliers, tout près de Chartres, où je vivais avec ma famille. J'avais huit ans à l'époque. La nouvelle du Débarquement est arrivée dans une atmosphère étrange, mêlée d'espoir et d'inquiétude. Les adultes parlaient à voix basse, dans les cuisines, dans les arrière-salles, loin des oreilles indiscrètes. Le mot était passé : "Ils ont débarqué en Normandie." Ce n'était encore qu'une rumeur pour beaucoup, mais une rumeur porteuse d'énormes attentes.
Pour nous, les enfants, tout cela semblait énigmatique. On comprenait que quelque chose d'important se produisait, mais sans en saisir la pleine mesure. Ce que je ressentais surtout, c'était une tension nouvelle dans l'air, une espèce de fébrilité dans les regards des adultes. Ma mère nous demandait de rester sages, de ne pas poser de questions à l'école, de ne surtout rien répéter de ce qu'on entendait à la maison.
Comment avez-vous vécu les bombardements de l'été 1944 ?
Les bombardements étaient effrayants. Le bruit des sirènes, d'abord lointain, grossissait en un hurlement strident. Nous abandonnions tout en un instant pour descendre à la cave, les bras chargés d'un peu d'eau, de couvertures et de quelques biscuits. Dans l'obscurité, nous écoutions les avions vrombir au-dessus de nos têtes.
Quand les bombes tombaient, la terre tremblait sous nos pieds. Les murs de la cave semblaient respirer à chaque souffle des explosions. À chaque accalmie, nous avions peur de remonter. Le silence était aussi effrayant que le bruit, car il était rempli d'incertitudes.
Un matin, en sortant, nous avons découvert que la maison de nos voisins était réduite à un tas de gravats. Ils avaient eu le temps de fuir, heureusement, mais la vision de cette destruction nous a marqués à jamais.
Comment avez-vous appris la nouvelle de la Libération de Mainvilliers et de Chartres ?
Les jours précédant la Libération, la tension était à son comble. Les soldats allemands se faisaient plus rares. Les rumeurs circulaient : "Les Américains approchent." "Les Allemands battent en retraite."
Puis un matin, on a entendu les premiers tirs. Ce n'était pas loin. Les habitants se cachaient, priaient. Les heures passaient dans une attente oppressante. Puis, vers midi, les cloches ont sonné à toute volée : Mainvilliers était libre !
Les gens sont sortis dans les rues, agitant des drapeaux tricolores cachés depuis quatre ans. Les soldats américains, dans leurs uniformes impeccables, distribuaient des chewing-gums, des cigarettes, des bonbons. C'était un moment d'une joie indescriptible.
Complétez ce témoignage grâce aux articles des historiens de la Mission Libération !
👉 Regards d'historiens sur la LibérationQuel souvenir personnel gardez-vous de ce jour ?
Je me rappelle que j'ai reçu un chewing-gum d'un soldat. C'était une chose anodine aujourd'hui, mais pour moi à l'époque, c'était un cadeau merveilleux, un symbole de liberté retrouvée.
Je me souviens aussi du sourire de ma mère. Un sourire que je n'avais plus vu depuis longtemps, un sourire vrai, sans peur. Mon père, pourtant très réservé, était allé embrasser l'un des soldats. Ce geste avait quelque chose de sacré.
Nous avons passé la soirée à danser, à chanter, à écouter la radio qui rediffusait les communiqués de victoire. Je crois que je n'avais jamais ressenti une telle euphorie.
« Je me souviens aussi du sourire de ma mère. Un sourire que je n'avais plus vu depuis longtemps, un sourire vrai, sans peur. »
- Témoin de l'Occupation allemande et des débarquements
Qu’est-ce qui a changé pour vous après la Libération ?
La première chose était la fin de la peur constante. Nous pouvions sortir sans craindre d'être arrêtés, parler sans chuchoter. Les écoles ont rouvert normalement, et les professeurs nous parlaient de liberté, d'égalité, de fraternité.
Les magasins ont recommencé à se remplir, lentement. On voyait des produits qu'on n'avait pas vus depuis des années : du chocolat, des tissus colorés, des bicyclettes. Mais la reconstruction était longue, difficile. Les maisons étaient à rebâtir, les routes à réparer.
Et puis, il y avait les absents. Certains voisins, partis au front ou arrêtés pendant l'Occupation, ne sont jamais revenus. Il y avait des sièges vides à table, des regards absents.
« Ne prenez jamais la liberté pour acquise. Souvenez-vous que des hommes et des femmes se sont battus, sont morts, pour que nous puissions vivre libres »
- Témoin de l'Occupation allemande et des débarquements
Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes générations aujourd’hui ?
Je leur dirais : ne prenez jamais la liberté pour acquise. Chaque droit, chaque liberté que nous avons aujourd'hui a été gagné à un prix terrible. Souvenez-vous que des hommes et des femmes se sont battus, sont morts, pour que nous puissions vivre libres.
Et surtout, cultivez votre esprit critique, votre vigilance. La paix, la démocratie, ne sont jamais définitivement acquises. Elles doivent être protégées chaque jour, par l'éducation, la mémoire, l'engagement citoyen.
Si mon témoignage peut aider ne serait-ce qu'une seule personne à comprendre ça, alors tout ce que nous avons traversé n'aura pas été vain.

Les Enfants de la Libération
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