Les drones armés
Depuis le début de l’année, la France effectue des frappes ciblées avec des drones Reaper dans sa guerre contre le terrorisme djihadiste au Sahel tandis qu’un amendement sur les systèmes d’armement automatisés, les systèmes d’armes létales autonomes ou les armes dotées d’IA devrait prochainement compléter la convention des Nations unies sur certaines armes classiques signée en 1980.
Les divergences terminologiques et les images frappantes associées aux drones armés laissent entrevoir d’énormes enjeux techniques, géopolitiques, stratégiques, économiques, juridiques, éthiques et de souveraineté que des publications récentes aident à mieux comprendre.
DEFINITION, TYPOLOGIE ET EMPLOI
CAZIN, Philippe. « Drones », in Encyclopaedia universalis [consulté le 24 mars 2020]
Haut conseiller de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), membre de l’Académie de l’air et de l’espace, l’auteur définit le drone comme un véhicule aérien sans pilote à bord, télécommandé ou autonome. Dénommé UAV (Unmanned aerial vehicle) ou RPAS (Remotely piloted air system) par les Anglo-Saxons, le drone nécessite une ou plusieurs stations au sol, des systèmes de liaison de données entre l’air et le sol, éventuellement via des satellites, et des moyens de lancement et de récupération. Véritable système, le drone contient une charge utile et un équipement de transmission.Les systèmes de drones militaires sont de plusieurs sortes : des drones miniatures, intéressants notamment en zone urbaine ; des drones tactiques, d’une endurance de quelques heures pour le renseignement, la surveillance et la reconnaissance (ISR) ; des drones moyenne altitude longue endurance (MALE), autonomes 36 heures à des milliers de km de la station au sol et qui peuvent être armés ; des drones haute altitude longue endurance (HALE), de la taille d’un avion civil et pouvant voler à 20 000 mètres pour des missions ISR.
Tous les drones militaires se distinguent par leur capacité à effectuer des missions dangereuses ou de longue durée. Leur endurance pourrait être favorisée à l’avenir par les drones ravitailleurs ou à énergie solaire. L’expérience acquise depuis plusieurs décennies laisse présager que leur rôle va continuer à s’accroître car, en dépit d’un coût plus élevé qu’imaginé, ils complèteront les avions pilotés d’une part et les satellites d’autre part.
GETTINGER, Dan. The drone databook, septembre 2019 (353 p.)
Politiste, fondateur et co-directeur du Centre pour l’étude des drones, une institution interdisciplinaire d’enseignement au Bard College à Washington DC, Dan Gettinger est expert au Forum sur le commerce des armes et co-fondateur du Réseau de recherche sur les drones. Il propose un « catalogue encyclopédique » des drones militaires dont le nombre a augmenté de 58 % en dix ans. Signalés dans 95 pays par la première édition, ils le sont dans 102 pays dans la mise à jour de mars 2020. Son recueil offre des données très précises pour chaque type de drones, puisées à différentes sources ouvertes, officielles, journalistiques ou académiques (service, unité, base, type, équipement, date activation), aborde la formation et l’entraînement, récapitule les opérations extérieures et les exportations et signale les pays, les modèles, les fabricants, la classe et le statut actif ou inactif, avec un degré de certitude modulé selon les pays. Il exclut en revanche explicitement les entités non militaires et implicitement les acteurs non étatiques, les drones antérieurs à 1980 ainsi que les véhicules inhabités terrestres ou maritimes.
dronecenter.bard.edu/files/2019/10/CSD-Drone-Databook-Web.pdf (consulté le 3 avril 2020)
ENTRAYGUES, Olivier (dir.). L’âge du drone, le Polémarque, 2017 (150 p.)
Dans cet ouvrage collectif, plusieurs chercheurs et praticiens de la guerre abordent les ruptures tactiques, stratégiques, juridiques ou éthiques ouvertes par les drones armés.
Tout en refusant de tomber dans le techno-centrisme et le déterminisme, le lieutenant-colonel Entraygues se réfère à Fuller pour constater que l’âge nucléaire, marqué par la parité et le non emploi, est contourné par la guerre asymétrique et l’emploi de drones. Il juge donc nécessaire d’adapter la loi du facteur tactique constant.
Le commandant Bertrand Coupez se livre à un tour d’horizon des drones (historique, systèmes en service, avantages pour la conduite de la guerre y compris pour l’attaque au sol et le combat, limites) et juge que leurs algorithmes ne leur permettront pas de gérer les dilemmes juridiques et éthiques.
Pour le commandant Pierre-Alain Goujard, le drone civil constitue la vraie menace car sa version semi-professionnelle (6 à 25 kg), non soumise à réglementation en France, est déjà achetée ou assemblée artisanalement par des terroristes à des fins de captation de données et de lancement d’engins explosifs improvisés (IED) et pourra être utilisée à l’avenir dans le cadre de tactiques plus élaborées. La prévention passerait par la législation, la traçabilité et la sensibilisation tandis que la neutralisation serait réalisée par des solutions innovantes.
Le commandant Solenn Seveno soulève la crainte du drone comme perturbateur de l’espace aérien, surtout s’il est doté d’intelligence artificielle, mais elle s’inquiète cependant d’une réglementation trop stricte qui, face à l’essor inéluctable de ces systèmes, empêcherait de répondre à des enjeux économiques et industriels ou à des besoins opérationnels avérés. C’est le dilemme de Collingridge qu’il faut résoudre par une réflexion sur le rôle du pilote, sur l’équipement du drone, sur l’intelligence artificielle et sur la législation afin d’aboutir à une bonne insertion du drone dans la circulation aérienne.
Le lieutenant-colonel John Wheeler, pilote de chasse de l’US Air force, souligne « l’effet d’individuation » induit par les drones auxquels s’ajoutent la numérisation et le cycle de ciblage (trouver, fixer, traquer, cibler). Cette profonde modification de la guerre présente des opportunités (conduite plus vertueuse des pilotes, concept de « télescope bien dirigé ») mais expose le commandant au danger de micro-management. Traditionnellement, le principe faisait suivre le commandement centralisé d’une exécution décentralisée. La solution est le contrôle centralisé et l’exécution décentralisée.
Le philosophe Benoît Olié, breveté du Staff College britannique, se demande enfin si le pilote de drone est bien un combattant. Pour avoir ce statut, il doit participer à une guerre qui peut être asymétrique et agir en conformité avec le courage et l’honneur, l’éloignement ne le rendant pas extérieur à son adversaire dans ce cas. La légitime défense s’étend à l’appui feu et les assassinats ciblés permettent de mieux respecter le droit international humanitaire (DIH). L’évolution technologique actuelle impose au combattant le seul devoir de tuer et non plus de s’exposer au danger. Avec les systèmes d’armes létales autonomes (SALA), c’est la machine qui tue, non plus le combattant dont elle pourrait peut-être même marquer la fin.
BOYLE, Michael ; HOROWITZ, Michael C. ; KREPS, Sarah ; FUHRMANN, Matthew. «Correspondance. Debating drone proliferation », International security, n° 3, hiver 2017/2018
Michael Boyle est professeur de science politique à l’université de La Salle. Il a engagé un débat avec les auteurs d’un article publié à l’automne 20161 qui défendait la thèse selon laquelle les drones ont un potentiel stabilisant. Selon Michael Boyle, le surcroît d’informations qu’ils fournissent diminue les attaques surprises mais seulement s’il ne submerge pas ses bénéficiaires. De plus, l’aspect réaliste peut créer un biais cognitif pour des raisons affectives. Un drone limite le risque d’escalade par rapport à un avion habité sauf s’il en abat un. La question de l’attribution de la responsabilité se pose si un gouvernement fournit un drone par procuration à un agent d’un autre État ou à un acteur non étatique. La dissuasion subit une érosion en cas d’incursions répétées de drones car aucun accord n’existe sur ce que signifie la destruction d’un drone.
Ces critiques amènent Michael Horowitz, Sarah E. Kreps et Matthew Fuhrmann à préciser leurs conclusions. D’après eux, la réduction de la tension concerne les opérations de contre-terrorisme face à des régimes autoritaires car les territoires contestés sont maîtrisés par les drones qui fournissent par ailleurs une information en temps réel, un bien en soi. Les limites des drones actuels les empêchent en revanche d’avoir un effet sur les conflits interétatiques. Une éventuelle surcharge d’information sera gérée par de futurs systèmes de prise de décision. Le risque est plus faible pour la surveillance des frontières que pour les frappes de drones. D’une manière générale, le rapport coût/bénéfice favorise ces armes. L’érosion de la dissuasion crainte par Boyle ne se produira pas car il existe des signes d’émergence d’une norme selon laquelle un acteur préfère voir abattu son drone plutôt que son avion habité, d’où la possibilité de réduire les risques d’escalade.
GROSSMAN, Nicholas. Drones and terrorism. Asymmetric warfare and the threat to global security, I. B. Tauris, 2018 (220 p.)
Nicholas Grossman enseigne les relations internationales à l’université de l’Illinois et dirige le site web Arc Digital. Il analyse l’emploi des drones dans le cas de conflits asymétriques.
La guérilla oppose un État à un adversaire plus faible et pauvre mais moins pressé, plus motivé et disposant d’une forme de supériorité informationnelle grâce à leur connaissance du terrain. L’État dispose quant à lui de plusieurs points forts, dont les drones qui assistent la contre-insurrection mais surtout servent aux frappes ciblées dans le cadre du contre-terrorisme. L’État américain a ainsi augmenté ses dépenses en matière de drones militaires et s’appuie sur le soutien de l’opinion publique. Outre différents robots servant, entre autres, à la reconnaissance, les Américains ont utilisé les drones Predator version M-Q1 télécommandés à 6 000 km de distance puis les Reaper pour effectuer des éliminations ciblées à l’instar des Israéliens et des Britanniques. Ils coûtent moins cher que les avions habités mais leurs capacités de combat air-air sont limitées. Celles-ci seront complètes sur le futur UAV MQ-Mc qui pourrait effectuer également des frappes nucléaires vers 2030. L’essentiel, l’attaque au sol, proviendra des petits drones dits Switchblade acquis par l’armée de terre lancer des explosifs de type grenades et capables d’atterrir ou de revenir à leur base.
Contre le terrorisme, les opérations terrestres fournissent plus d’informations et sont plus précises mais aussi plus risquées. La solution du renforcement de la sécurité intérieure et du démantèlement des complots en cours est primordiale, grâce à un renseignement dopé à la collecte de métadonnées (PRISM) d’une part, à la vigilance renforcée des populations civiles depuis le 11 septembre 2001 d’autre part. Les frappes de drones à l’étranger doivent donc être restreintes aux cibles les plus importantes. La valeur stratégique de la campagne de drones semble toutefois mitigée : d’un côté, les frappes créent des martyrs à la cause desquels se joignent des populations civiles endeuillées par erreur et un dirigeant succède à celui qui a été exécuté ; tandis que, de l’autre côté, l’organisation en réseaux est résiliente mais les nouvelles recrues longues à former. Pratiquer le contre-terrorisme reviendrait à « tondre la pelouse » à faible coût, en évitant les victimes civiles et en se soumettant à la transparence. Les terroristes, pour leur part, disposent de petits drones volant à basse altitude et manœuvrables, efficaces dans les zones civiles. Achetés dans le commerce à faible coût ou fabriqués grâce à des modes d’emploi disponibles sur internet, ils peuvent être transformés en armes pour kamikazes ou servir d’hélicoptères. Depuis 2016, ils transportent et lancent même des explosifs. Difficiles à discerner et à abattre, ils peuvent cependant être guidés de force en vue d’un retour vers leur base.
Pour les Occidentaux, la plus-value des drones est la capacité ISR qui les met à égalité informationnelle avec les terroristes.
LASCONJARIAS, Guillaume ; MAGED, Hassan. « Fear the drones: remotely piloted systems and non-state actors in Syria and Iraq », IRSEM Research paper n° 77, 4 septembre 2019
Guillaume Lasconjarias, chercheur associé au Centre des études de sécurité de l’IFRI et Hassan Maged, président de D&S Consulting s’intéressent aux enjeux de la prolifération de drones aériens et terrestres à partir du théâtre d’opérations en Syrie, en Irak et dans le détroit d’Ormuz où la supériorité technologique des armées conventionnelles pourrait par contrecoup subir une érosion. Les Américains ayant pratiqué une politique stricte d’exportation de ces armes, leurs alliés les ont achetées à la Chine, à Israël ou ont lancé leur production propre, à l’instar des Émirats arabes unis et de la Turquie. Les Iraniens ont vendu des drones Mohajer au Hezbollah pour lui permettre de contourner la défense aérienne d’Israël et, dès 2006, cette organisation a utilisé 3 Abahil comme des missiles de croisière du pauvre sur des cibles de l’État hébreu. Après l’aile militaire du Hamas, les Houthis ont également bénéficié de drones iraniens, leurs Qasaf-1 leur ayant servi contre les systèmes de missiles Patriot de la coalition et contre les infrastructures stratégiques de l’Arabie saoudite. À partir de 2015, Daech a acheté sur le marché civil des Skywalker 8 et des DJI Phantom, pour des reconnaissances avant des assauts terrestres, pour le C3I (commandement, contrôle, communication, intelligence) et des actions de propagande. En 2014, le Hezbollah a frappé Al Nosra avec un drone Abahil-3, probablement lancé d’une nouvelle base dans le nord de la vallée de la Bekaa. En Syrie, elle a eu l’occasion de tester des drones finalement inaptes aux frappes (comme les Orlan10, Forpost) mais intéressants pour l’ISR, le déminage ou le sauvetage.
Les drones d’entités non étatiques constituent une menace sérieuse car ils sont capables de surveiller leur cible pour des attaques-suicides, soutiennent les opérations de guerre psychologique ou de propagande et servent de plateformes pour lancer des engins explosifs improvisés (IED) ou pour frapper directement des adversaires en retraite. Contre ce danger, une préparation intellectuelle et doctrinale est essentielle. Ainsi, l’armée de l’air israélienne a intercepté et abattu des drones Abahil du Hezbollah avant qu’ils n’atteignent leurs cibles grâce à une connaissance préalable des capacités des drones de l’adversaire et à des mesures préemptives comme le déploiement de F-15 et F-16 près de la frontière libanaise. Un document de l’armée de terre américaine, Counter-unmanned aircraft system techniques, d’avril 2017, invite à une réadaptation de la tactique militaire par une série de procédures rapides. Encourager massivement la stratégie R&D anti drones permettrait de viser les essaims et non plus seulement les unités, mais cela appelle du temps et de l’argent tandis que la menace terrestre et navale doit également être prise en compte. Une mutualisation des efforts dans les cadres de l’OTAN et de l’Europe de la défense (Coopération structurée permanente) vers une solution multicouche, comme celle que la Russie a adoptée à Hmeymim avec près de 50 % de succès, irait dans le bon sens aux yeux des auteurs.
COUR DES COMPTES [France]. « Les drones militaires aériens : une rupture stratégique mal conduite », Rapport public annuel 2020, février 2020
Les drones répondent particulièrement bien aux besoins actuels et futurs des armées. Si les États-Unis en possèdent toutes les catégories, la France dispose des drones de théâtre MALE (Reaper), tactiques (Patroller) et de contact ainsi que du démonstrateur Neuron, entièrement européen.
Le rapport regrette une prise en compte du besoin « tardive et hésitante ». Pour les besoins des OPEX, des systèmes intérimaires ont été pérennisés ou des achats ont été effectués en urgence comme, au Mali, celui de la version non exportable du Reaper américain, ce qui explique des contraintes d’emploi énormes. Le retard est « déjà important et difficile à combler » parce que ses causes profondes sont nombreuses : réticences culturelles des pilotes qui perdent leur position centrale, urgence opérationnelle, divergences de besoins opérationnels entre armées, manque de constance et de cohérence des pouvoirs publics, concurrence industrielle intra-européenne, absence de vision stratégique et de planification à moyen terme.
Quatre grands défis sont à surmonter. Il faudrait, pour commencer, élaborer une doctrine d’emploi interarmées : dans le contexte du débat sur les attaques ciblées aux États-Unis, en Israël et en Europe, la France a décidé en 2017 d’armer ses drones pour des « frappes d’opportunité » dans un cadre strict (respect des règles d’engagement, déploiement de militaires près du théâtre pour opérer les drones, limitation des dommages collatéraux). Pour la circulation en vol, les drones militaires s’appuieront sur les règles civiles adoptées en juin 2019 par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA). Les besoins en ressources humaines étant croissants et évolutifs, ils doivent être comblés par l’élaboration de filières. Enfin, le drone MALE européen, qui sera un moyen important de consolider l’Europe de la défense, devra être réalisé dans le cadre de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) afin d’éviter l’échec de celui de Lancaster House et les retards et coûts causés par l’impossibilité de faire coïncider besoins allemands et français.
comptes.fr/system/files/2020-02/20200225-05-TomeI-drones-militaires-aeriens.pdf
(consulté le 20 avril 2020)
ASPECTS JURIDIQUES ET ÉTHIQUES
EDDAZI, Fouad (dir.). Le droit à l’épreuve des drones militaires, LGDJ, 2018
Parmi les nombreuses contributions à ce colloque, celle d’Aude Brocarel, chef de la cellule juridique de la Direction de la sécurité aéronautique d’État (DSAE) de 2012 à 2016 porte sur « l’insertion et la circulation des drones militaires dans les espaces nationaux ». Les aéronefs militaires ne relèvent pas de la convention de Chicago de 1944 pour des raisons de souveraineté et de variété des missions et chaque nation produit une réglementation spécifique dédiée à l’aéronautique d’État. En France, la réglementation de l’aéronautique d’État, militaire y compris, est inspirée de celle de l’aéronautique civile Le « certificat de type » est délivré par une autorité technique dépendant du ministère des Armées ; le certificat de navigabilité est du ressort de la DSAE. Les règles d’exploitation des aéronefs « habités » ont été rendues compatibles et les aéronefs d’État évoluent le plus souvent en circulation aérienne générale (CAG). La réglementation des drones civils doit tenir compte de risques particuliers et n’est pas encore complète, à l’échelle internationale, européenne ou nationale.
Le drone aérien militaire est un aéronef d’État particulier qui évolue dans un espace ségrégué en circulation aérienne militaire (CAM) avec l’interdiction de voler au-dessus de 150 mètres. Difficilement détectable, il doit céder le passage à tous les autres aéronefs habités lorsqu’il circule en vue. Les drones militaires « lourds » bénéficient de la « smart segregation », soit l’activation et la désactivation des segments de couloir aérien en fonction de leur passage et ce à partir de 4 000 mètres. En cas de besoin opérationnel urgent, un maillage de couloirs aériens couvrant la France est créé. L’objectif est d’insérer les drones militaires dans le trafic aérien général. L’État peut moduler sa responsabilité, celle de ses agents risque d’être engagée. Le télépilote applique la règle de l’air fondamentale « voir et éviter ». Les militaires, pénétrés du double souci de leur mission et de la protection des tiers, cherchent la réglementation applicable et, le cas échéant, la font évoluer.
Alain Hetet et Laurent Vidal ont pour leur part étudié « les spécificités juridiques des drones mouillés ». Ils recourent à la classification des drones mouillés en drones sous-marins (UUV) et drones de surface (USV). Les drones sous-marins gagnent à être autonomes du fait de la difficulté de leur milieu à transmettre des données de qualité. Leurs applications sont nombreuses et le drone mouillé peut être assimilé en droit à un navire, du fait de sa flottabilité et de sa capacité à répondre aux autres critères essentiels même en l’absence d’équipage. Le cadre juridique applicable est celui du droit de la mer : si le drone mouillé est qualifié de navire de guerre, il bénéficie du statut d’exception ainsi que d’exemptions et d’immunités juridiques, tandis que les principes de l’action de l’État en mer le régissent en temps de paix et ceux du droit de la guerre ou du droit humanitaire en temps de conflit. Les règles des espaces maritimes ne sont pas les mêmes pour un navire ou un engin accessoire du navire.
La loi française vient de commencer à prendre en compte l’autonomisation croissante des drones mouillés et la convention des Nations unies sur le droit de la mer devrait considérer les drones mouillés comme des navires. L’Organisation maritime internationale (OMI) devrait aussi prendre position.
BENSOUSSAN Alain, GAZAGNE Didier, Droit des systèmes autonomes, véhicules intelligents, drones, seabots, Éditions Bruylant, août 2019
Alain Bensoussan est avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication. Il a fondé le réseau Lexing dont son co-auteur, Didier Gazagne, est directeur du département Industries de défense & sécurité, drones, risques.
Les drones militaires contiennent des briques technologiques semblables à celles du civil. Ils sont cependant plus sécurisés, plus précis et plus autonomes, leurs capteurs sont plus complexes et leur système de navigation est durci. Pour ne pas dépendre du GPS américain, l’Union européenne emploie le système Galileo. La télécommunication utilise des satellites dédiés, des fréquences radioélectriques renforcées ou encore l’étalement de spectre par saut de fréquences qui complique l’interception de tout signal.
Les systèmes autonomes posent la question de la place de l’homme dans la boucle. Pour ceux qui existent et gagnent en importance dans les armées, l’homme est à l’intérieur ou au-dessus. Les systèmes d’armes létales complètement autonomes, c’est-à-dire d’où l’homme est absent, font l’objet de demandes d’interdiction préventive. Ils peuvent être utilisés en cas de conflit armé, même par un tiers qui soutiendrait une des parties, à condition de respecter le droit international humanitaire et ses quatre principes : principe de distinction, précaution, proportionnalité et de nécessité. Toutefois, le régime d’une zone de conflit armé n’est pas le même que celui d’une autre qui en est dépourvue et l’autonomisation des armements, dans la ligne droite de l’autonomisation croissante des objets connectés, perturbe les régimes des responsabilités et pose la question de l’identification du responsable (le fabricant, l’intégrateur, le programmeur, l’opérateur, le commandement opérationnel, le contrôle tactique, l’État enfin ?). Bien que de nombreux problèmes juridiques se posent, la question des drones armés est avant tout éthique. Sur le thème de la déshumanisation de la guerre, les opposants soutiennent l’idée que la distance physique influe sur les opérateurs qui seraient insensibles à la mort ainsi provoquée. La facilité d’usage de drones fait craindre « un abaissement du seuil du recours à la force à un point qui rend inapplicable le critère du dernier recours ». À l’inverse, les défenseurs des systèmes d’armes létales autonomes soutiennent que : « les hommes ont toujours eu à neutraliser l’adversaire en se maintenant hors de portée de ses coups. » Le contact étant un facteur de stress susceptible d’engendrer plus de risque de commettre des erreurs, une mise à distance des opérateurs leur permettrait de garder un sang-froid, une précision et une concentration qu’un environnement hostile pourrait perturber.
LOBRY, Arnaud (Dir). Drones et droit, LEJEP Lextenso, 2018
Dans cet ouvrage, Raphaël Maurel s’intéresse au jus ad bellum à travers « l’utilisation des drones et la légitime défense » en s’appuyant sur un exercice de « droit-fiction » développant l’exercice de la légitime défense en réponse à une agression commise par un drone. Cela le conduit à postuler que du moment qu’un incident est survenu, du fait d’un drone ou non, une riposte est légitime à condition d’être nécessaire et proportionnée et que de légères adaptations du droit international de la légitime défense sont suffisantes pour tenir compte des spécificités de drones, à condition de préciser cette notion de légitime défense.
Arnaud Lobry traite quant à lui le jus in bello dans : « l’utilisation de drones lors de conflits armés : les multiples facettes du drone en droit de la guerre ». Selon lui, les drones conduisent à repenser les concepts et les limites du droit international humanitaire car la distance physique et psychologique déconstruit le théâtre d’opérations. Même s’il n’existe pas de définition consensuelle du mot « arme » et qu’aucune convention internationale n’encadre le drone, il peut cependant être considéré ainsi par nature ou par destination. Il contrevient au principe d’humanité par la distance et par les frappes aériennes, un ennemi invisible répandant, parmi la population une terreur qui est interdite par un protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949. La règle fondamentale de la distinction est inapplicable par l’opérateur du fait d’un éloignement qui fait émerger un risque de « mentalité Playstation ». La cible peut être frappée à un moment où elle ne participe pas directement aux hostilités, ce qui est impérieusement requis par le droit international humanitaire (DIH). Les « signature strikes » visent les personnes du fait, simplement, de leur attitude et les « assassinats ciblés » attaquent des individus préalablement identifiés. Le manuel d’Harvard codifie le droit de la guerre aérienne et mentionne les UAV et UCAV comme soumis au principe de précaution dans l’attaque. Il estime que l’opérateur du drone participe effectivement aux hostilités même s’il ne fait que transmettre des informations en vue d’une attaque. Il appartient à une chaîne de commandement, donc à une chaîne causale. Aux conventions de Genève de 1949 a été adjoint un protocole relatif aux armes nouvelles, daté du 8 juin 1977, exigeant leur conformité au DIH. Le groupe d’experts de la convention de 1980 relative à certaines armes classiques demande que soient examinés à cet égard les futurs systèmes d’armes autonomes létales ou SALA, c’est-à-dire ce que pourront devenir les drones à terme. Le Comité international de la Croix rouge (CICR) précise la marche à suivre dans son Guide de l’examen de la licéité des nouvelles armes et des nouveaux moyens et méthodes de guerre, les maux superflus et l’indistinction devant être évités. Human Rights Watch réclame un « contrôle effectif » des SALA, incapables de compassion, par les humains. D’autres focalisent leurs inquiétudes sur l’autonomie mais aussi sur le risque d’absence de consensus et préconisent un « contrôle significatif », une simple supervision. Ceux qui n’exigent qu’un « jugement humain approprié » placent le curseur sur la vérification du fait que le système a été employé tel qu’il avait été prévu au préalable. Pour l’instant, les drones demeurent soumis à un « contrôle humain significatif », donc le DIH actuel est applicable. Il devra être précisé en ce qui concerne les drones navals qui ne sont pas à proprement parles des « navires de guerre » et les drones employés par les ONG à des fins humanitaires, non assimilables aux drones sanitaires d’un belligérant.
VAILLANT, Alexandre. « Eye in the sky : les drones armés dans la politique d’assassinats ciblés des États-Unis » RDN, n° 814, septembre 2018
Les frappes de drones américaines obéissent à un cadre juridique particulier. Le Congrès en a ouvert l’usage avec l’Authorization for use of military force against terrorists du 18 septembre 2001 et le Département de la justice a ajouté trois conditions à une frappe ciblée : la menace créée par la cible doit être imminente, sa capture impossible et le droit international respecté, bien qu’il n’inclue pas la guerre contre le terrorisme dans les conflits armés. La jurisprudence a donné raison à l’exécutif pour l’assassinat d’un citoyen américain sans procès hors du territoire national mais le débat continue. Hors zone de guerre, les États-Unis doivent pouvoir invoquer la légitime défense ou l’autorisation du Conseil de sécurité, même si l’ancien rapporteur spécial pour les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Philippe Alston, considère que les États-Unis abusent de la légitime défense. Si la frappe est entreprise par la CIA, il s’agit d’une action clandestine mais soumise à un ordre écrit du président avec explication de sa nécessité, au Covert action statute (CAS) qui exige la fourniture d’informations au président et aux Commissions du Congrès enfin. Si le Joint special operations command (JSOC) mène l’action, le CAS s’applique avec des exceptions, la CIA et le JSOC agissant davantage de concert pour bénéficier de cette zone grise.
Les frappes de drones sont passées de 50 sous G. W. Bush (avec 296 combattants et 195 civils décédés) à 506 sous B. Obama (d’où la mort de 3 040 combattants et 391 civils). De nouveaux États disposent de cette technologie et ceux du Moyen-Orient en font grand usage, ce qui provoque des tensions majeures. Le drone armé est soumis au même cadre juridique que les autres armes et son utilisation par les États-Unis ne constitue pas une révolution éthique et juridique tant que l’humain reste au centre.
1 HOROWITZ, Michael.C., kREPS, Sarah. E. et FUHRMANN, Matthiew. « Separating fact from fiction in the debate over drone proliferation », International security, n° 2, automne 2016
A la une
Un nouveau département pour l’Ecole de Guerre : l’Anglophone Track
Depuis la rentrée 2024, l’Ecole de Guerre comprend un nouveau département baptisé Division Internationale Anglophon...
05 mars 2025

Le CJEX, un défi multinational pour les Écoles de guerre
Début mai, les Écoles de guerre d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, du Royaume-Uni et de France ont conduit conjointe...
30 mai 2024

Allocution de la Directrice générale des relations internationales et de la stratégie devant l'École de guerre
La 31e promotion de l'École de guerre a eu l'honneur d'assister à une allocation de la Directric...
23 mai 2024
