La Marine et l'Ordre de Malte

« Les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée. » C’est par ces mots que le cardinal de Richelieu affirme l’importance des océans pour la puissance d’un pays. En 1626, il décide de faire du royaume de France une nation maritime et la doter d’une marine de guerre en accord avec ses ambitions.

Le VAE Cluzel a été élevé au rang de commandeur de l'Ordre de Malte © Marine nationale

Le VAE Cluzel a été élevé au rang de commandeur de l'Ordre de Malte

Au XVIIe siècle, il n’existe pas de corps des officiers de Marine, ni d’écoles pour les former. S’il est possible de recruter les équipages parmi les gens de mer, le vivier est plus restreint pour les commandants de bâtiment et chefs du quart. Homme d’Église, le cardinal n’est pas sans savoir que l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte a obtenu une autorisation pontificale lui permettant d’armer sa propre flotte et de faire la course aux navires ottomans. Le cardinal de Richelieu en est d’autant plus conscient que son oncle, Amador de La Porte, est prieur de France au sein de l’Ordre. Initialement, cet ordre religieux a pour vocation de protéger les pèlerins chrétiens le long des chemins terrestres et maritimes vers Jérusalem. Au fil du temps, il évolue et acquiert une réelle puissance économique et militaire, notamment sur mer. Sa flotte bénéficie d’une grande réputation en raison de « son extrême discipline, son réel professionnalisme, et à la très grande qualité de la formation navale de ses officiers »1. Les novices souhaitant être reçus chevaliers sont formés pendant quatre périodes de six mois d’instruction navale à bord des galères de l’Ordre, les « caravanes ». « Les jeunes caravanistes dormaient tout habillés, prêts au combat, sur les coursives latérales ou sur la coursive centrale, juste au-dessus de la chiourme, rivée à ses bancs par des chaînes. Ils apprenaient les manœuvres et l’art de l’abordage lors de croisières qui les menaient principalement au large des côtes de Barbarie et d’Espagne, ou de celles des Pouilles, de Grèce et de Crète. »2

Buste de l'amiral de Grasse © Musée national de la Marine / P. Dantec

Buste de l'amiral de Grasse (1722-1788), Cyril de la Pattelière -1950)

Buste de l'amiral de Grasse (1722-1788), Cyril de la Pattelière -1950)

Convaincu de la valeur de ces hommes, Richelieu plaça à la tête de son escadre de bâtiments de combat des chevaliers de l’Ordre de Malte. Parmi les premiers membres à servir, Philippe des Gouttes et Jean de Forbin, qui commandent une escadre légère dans la flotte royale et apportent plus généralement leur expertise pour poser les bases de la future marine. D’autres chevaliers les rejoignent progressivement. Alors que l’Ordre est habituellement réservé aux enfants d’ascendance noble, le chevalier Paul, d’origine modeste, parvient par sa volonté et ses mérites à accéder à l’Ordre, sous le règne de Louis XIV. En 1638, il commande le vaisseau de 48 canons Neptune puis la Licorne avec laquelle il prend part à la bataille de Getaria face aux Espagnols. Le 24 août 1665, il s’illustre lors de la bataille de Cherchell et dans les combats contre les pirates barbaresques. Ceux-ci s’attaquent aux bâtiments chrétiens naviguant en Méditerranée et mènent des razzias et raids sur les villes côtières du sud de l’Europe, Jean-Baptiste de Valbelle, surnommé « le tigre » sert aussi la couronne et se distingue quant à lui lors de la guerre de Hollande entre 1671 et 1673, où il commande le vaisseau de 64 canons Le Glorieux. Malgré ses nombreux faits de guerre, son caractère irascible explique peut-être pourquoi son nom est moins connu que celui de ses contemporains.

Amiral Pierre-andré de Suffren de Saint Tropez © Musée national de la Marine / A. Fux

Amiral Pierre-André de Suffren de Saint Tropez, bailli de Suffren (1729-1788) Pompeo Batoni (1708-1787)

Amiral Pierre-André de Suffren de Saint Tropez, bailli de Suffren (1729-1788) Pompeo Batoni (1708-1787)

En 1699, l’Ordre de Malte est à la tête de 18 des 32 galères de Louis XIV. Plusieurs chevaliers accèdent à de très hautes responsabilités au sein de la marine royale, tel Anne-Hilarion de Costentin de Tourville qui, après ses victoires de Béveziers et de Lagos, est fait maréchal de France. Parmi les plus célèbres, Suffren, « l’amiral Satan » selon les Anglais qu’il combat dans l’océan Indien ou encore de Grasse qui obtient l’éclatante victoire de la Chesapeake le 5 septembre 1781.

La Révolution puis l’Empire affaiblissent progressivement le poids de l’Ordre au sein de la Marine.

Aujourd’hui, si les chevaliers ne sont plus à la barre, les liens historiques entre la Marine et l’Ordre de Malte perdurent. Cinq unités portent le nom d’illustres chevaliers ayant servi la couronne de France aux XVIIe et XVIIIe siècles : les frégates de défense aérienne Chevalier Paul et Forbin, les sous-marins nucléaire d’attaque Suffren, Tourville et De Grasse. Plus qu’un nom, ce sont surtout les valeurs incarnées par ces grands marins et le souvenir de leurs actions qui doit être conservé en mémoire.

Alors que le combat naval est une réalité prégnante en ce début de XXIe siècle, il est indispensable que les mots de Suffren conservent un écho dans nos coursives : « On ne se rend pas, messieurs !
On se bat ! ». l

1. La puissance navale de l’Ordre de Malte : un mythe pieux. Alain Blondy. Revue d’histoire maritime, 2013.

2. Ibid

Portrait de Tourville © Musée national de la Marine

Portrait de Tourville

Portrait de Tourville

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