Première guerre mondiale - L’épopée des pionniers de l’aéronautique navale

Quand pleuvent sur le sol français les premiers obus de la Grande Guerre, l’Aviation maritime ne peut compter que sur une trentaine de pilotes et moins de quinze hydravions de marques et de conceptions différentes. Après l’armistice, dont on commémore cette année le 105e anniversaire, le parc d’aéronefs de la Marine dispose de plus de 1600 appareils, dont 700 hydravions.

Hydravion © ARDHAN

Hydravion

Une montée en puissance portée à la fois par les incessants progrès techniques et la nécessité absolue de lutter efficacement contre la « guerre sous-marine à outrance » décidée par l’Allemagne.

Tout commence par un dilemme. Dans les années qui précèdent le premier conflit mondial, la Marine nationale, comme les autres forces navales de son époque, est confrontée à un choix stratégique majeur : l’avenir appartient-il aux aéroplanes ou aux ballons dirigeables? Dans l’esprit de nombreux marins, l’avion, dont le rayon d’action et les capacités d’emport d’armes et de munitions sont encore assez faibles, s’apparente un peu au rôle des canonnières de la classe Surprise (1895-99) et semble surtout destiné à des fonctions de reconnaissance côtière. Les dirigeables, sur lesquels mise très fortement la Marine impériale allemande, en revanche, semblent beaucoup plus adaptés dans le domaine du bombardement à longue distance. Mais tout change le 25 juillet 1909 quand l’avionneur français Louis Blériot réussit, dans des conditions météorologiques extrêmement favorables, à traverser la Manche.

Suivies par le premier décollage d’un hydravion sur l’étang de Berre par l’ingénieur Henri Fabre, puis par le premier envol d’un biplan depuis le pont d’un navire aux États-Unis, en 1910, ces avancées techniques majeures apparaissent très vite comme des « game changers » déterminants. Enthousiaste, le vice-amiral Boué de Lapeyrère, ministre de la Marine, constitue alors dans la foulée une commission formée par le contre-amiral Le Pord, l’ingénieur en chef du Génie maritime Radiguer, le lieutenant de vaisseau Glorieux et les enseignes de vaisseau Cayla et Conneau.

A l’issue de leurs travaux, la primauté de l’aviation sur l’aérostation apparaît comme une évidence et, très vite, la Marine sélectionne sept officiers pour prendre des cours de pilotage et passer le brevet de pilote d’aéroplane délivré par l’Aéroclub de France (AéCF).

PREMIER PORTE-HYDRAVIONS

En 1912, par décret, est créé le Service de l’aviation maritime qui regroupe sous ses ailes le centre d’aviation de Fréjus –  Saint-Raphaël et la Foudre, un ex-ravitailleur de torpilleurs nouvellement transformé en porte-hydravions. Après une campagne d’essais, l’aviation embarquée voit le jour. Sur la Foudre, un premier hydravion, en l’occurrence un hydroplane « canard » Voisin, mis à l’eau et remonté sur le pont à l’aide d’un mât de charge spécifique est expérimenté. En mai 1914, grâce à la mise en place d’une plate-forme provisoire sur le pont, le constructeur René Caudron effectuera depuis la Foudre un premier décollage à bord d’un avion à roues. A Saint-Raphaël, les pilotes se qualifient les uns après les autres sur Voisin et Farman en 1912, puis sur Nieuport et Breguet en 1913. Mais la formation comme l’emploi des aéronefs reste assez empirique et la nécessité de « professionnaliser » les effectifs devient urgente. Par décret du 10 juillet 1914 portant organisation de l’Aéronautique maritime, Saint-Raphaël est désormais chargé de transformer en pilotes d’hydravion « professionnels » les élèves nouvellement sortis des écoles militaires. Mais quand tonnent les premiers coups de canons de la Grande Guerre, l’Aviation maritime ne peut compter que sur 38 pilotes, dont cinq réservistes, et 14 hydravion

MISSIONS EN MER ROUGE

En 1914, deux escadrilles sont basées à Bonifacio et à Nice, puis une escadrille de Nieuport est envoyée à Port-Saïd où elle mène des missions le long des côtes de Palestine et en mer Rouge, pour lutter contre les forces turques qui menacent le canal de Suez. En janvier 1915, à Dunkerque, deux nouvelles escadrilles sont créées et combattent sur le front de Flandres aux côtés des pilotes de l’Aviation militaire. Enfin, pour appuyer l’Italie dont les côtes sont sans cesse harcelées par les navires et les sous-marins de la Marine impériale autrichienne, une escadrille d’hydravions est déployée à Venise de juin 1915 à avril 1917. L’Aérostation maritime reçoit quant à elle ses premiers dirigeables en décembre 1915. À partir d’avril 1917, les premiers ballons captifs chargés du repérage de mines en zone côtière sont déployés. Munis d’une nacelle d’observation, ces derniers sont remorqués par de petits bâtiments.

GUERRE TOTALE

« Il faut attendre 1917 pour que l’Aéronautique maritime monte véritablement en puissance dans la lutte anti-sous-marine, raconte Remy Longetti, collectionneur, spécialiste de l’histoire de l’aviation et ancien élève pilote de l’Aéronavale (BAN Saint-Raphaël, BA d’Aulnat et de Cognac). Pour la France et ses alliés, les sous-marins allemands constituent en effet une menace de plus en plus grande tant sur les navires de surface que sur les transports de troupes et les navires de commerce. » Lancés dans une guerre sous-marine « totale », sans aucune distinction de la nationalité du navire, et sans faire de différence entre navires civils et militaires, les U-Boot sont un véritable fléau. Et, dans le but de mieux coordonner la stratégie de l’état-major et de renforcer la surveillance aérienne maritime, le ministre de la Marine décide de créer, en juin 1917, une Direction générale de la guerre sous-marine à laquelle sont rattachés l’ensemble des moyens navals et aériens. Assez rapidement, de nombreuses bases d’hydravions, de dirigeables et de ballons captifs voient le jour le long des côtes métropolitaines mais aussi en Afrique du Nord, en Grèce, au Portugal et au Sénégal (Afrique-Occidentale française).

Portée par les incessants progrès technologiques et ses besoins stratégiques, l’aviation navale utilise à la fois le dirigeable, l’hydravion et l’avion basé à terre. En plus de la Foudre, la Marine fait transformer quatre cargos, le Rouen, le Pas-de-Calais, le Campinas et le Nord en transports d’hydravions. Dans le même temps, à terre, au centre d’aviation maritime de Camaret, décollent les premiers hydravions de surveillance maritime, des Donnet-Denhaut. Cependant, la capacité en armement de la plupart des appareils reste assez faible et ce n’est qu’à la fin de la guerre que le Tellier, un hydravion équipé d’un canon de 47 mm et de bombes de 35 kg, se révèle capable de couler un sous-marin. Mis en service dans les centres d’aviation maritime de Bayonne, Boulogne-sur-Mer, Brest-Camaret, Cherbourg, Dunkerque, Guernesey, La Pallice, La Penzé, Saint-Raphaël, Toulon et Tréguier, les Tellier ouvrent la voie à des actions d’éclat. « Même si le bilan des missions demeure relativement faible en termes de sous-marins ennemis détruits, la pression et la veille exercées par les équipages de la Marine sur les U-Boot ont très certainement contribué à renforcer durablement la sûreté des approches maritimes, tout en permettant aux Alliés d’avancer vers la victoire finale », assure Remy Longetti.

HÉROS OUBLIÉS

En quatre ans de guerre, le parc d’aéronefs de la Marine est ainsi passé d’une dizaine à près de 1300 hydravions ou avions. À elle seule, l’Aviation maritime dispose de près de 700 hydravions des types FBA, DonnetDenhaut, Tellier, Georges Lévy, Hanriot, sans compter plusieurs centaines en réserve. L’Aérostation maritime possède quant à elle plus de 200 ballons captifs et 37 dirigeables. Au total, l’ensemble des centres de l’Aéronautique maritime emploie 11000 marins, soit 7% des effectifs de la Marine. En 1918, le personnel volant comprend 630 pilotes d’avion et 693 observateurs d’avion et d’hydravion ; 104 pilotes et 175 hommes d’équipage de dirigeable ; 239 observateurs de ballon captif. Moins connus que les célèbres as de l’aviation Georges Guynemer, René Fonck ou Charles Nungesser, ces premiers « marins du ciel » ont pourtant marqué l’Histoire, comme par exemple Henri de l’Escaille ou Hervé Grall. Douzième marin breveté pilote d’aéroplane le 9 mars 1912 à Buc par l’Aéroclub de France (AéCF), puis breveté pilote militaire le 22 juillet 1912 à Pau, le premier commande l’escadrille d’hydravions de Nice en août 1914. Il combat ensuite en Egypte avec son escadrille de Nieuport et effectue des vols de reconnaissance sur les troupes ottomanes, faisant échouer leur attaque sur le canal de Suez en février 1915. En avril 1916, il quitte son escadrille pour aller commander le centre de Corfou jusqu’en juin 1917 avant de terminer la guerre comme adjoint du directeur de la Guerre sous-marine à l’état-major général à Paris. Hervé Grall s’engage dans la Marine en 1905 à 15 ans. Breveté matelot arrimeur en 1908 après l’Ecole des Mousses à Brest, il rejoint l’escadre de Méditerranée, puis se porte volontaire pour l’Aviation maritime. Affecté sur la Foudre en novembre 1913, il est breveté pilote par l’AéCF le 10 juillet 1914 à Villacoublay. Qualifié sur hydravion, le jeune homme est envoyé à l’escadrille Nieuport de Port-Said en Egypte, où, après une panne de moteur, il réussit à échapper aux troupes ottomanes. Une action d’éclat qui fait de lui l’un des premiers pilotes de l’Aviation maritime à être décoré de la Médaille militaire. En 1915, il reçoit ensuite la Distinguished Service Medal des mains du commandement britannique et la croix de guerre. Après avoir mené de nombreuses patrouilles contre les sous-marins, il est nommé en 1918 chef de section, un poste normalement réservé à des officiers alors qu’il n’est encore que Maître… Des parcours hors du commun, encore trop souvent oubliés.

EV1 (R) JEAN-PIERRE DECOUR

HYDRAVION © ARDHAN

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