Espace exo-atmosphérique : La mer vue d'en haut
« La Marine nationale a souvent le regard et les capteurs tournés vers le ciel et l’espace. Les satellites lui permettent de conduire ses opérations de surveillance et de lutte contre les trafics, de communiquer à tous les endroits du globe et de recueillir des données scientifiques », rappelait sur twitter, le 7 septembre 2021, l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine.
OPÉRER DANS ET GRACE A L'ESPACE
La Marine est historiquement utilisatrice de l’espace, et en particulier des corps célestes qui y évoluent, pour la navigation astronomique. La conquête de l’espace dans les années 1950 et la mise sur orbite des premiers satellites artificiels lui ont donné de nouveaux outils de navigation, communication et renseignement. L’ère satellitaire marque un changement de paradigme : avec les satellites, la haute mer menace de ne plus être un espace de dilution pour les bâtiments de surface.
Avec l’avènement de l’ère nucléaire et le développement des missiles intercontinentaux, en particulier des missiles balistiques stratégiques mer-sol lancés depuis des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, l’espace exo-atmosphérique est devenu un espace d’opérations pour la Marine. Entre la phase de propulsion initiale et la phase finale de rentrée dans l’atmosphère, les missiles balistiques évoluent au-dessus de la couche atmosphérique ; leur trajectoire ne dépend alors plus que de leur vitesse initiale et de l’attraction terrestre.
Pour maintenir cette capacité à son meilleur niveau, la Marine effectue régulièrement des tirs d’acceptation. Effectués sans charge nucléaire, ils permettent de valider les évolutions technologiques des missiles balistiques et d’améliorer en continu leurs performances.
Aujourd’hui, la Marine est un des premiers utilisateurs de satellites artificiels. Hormis les fonctions bien connues de positionnement, de navigation et de référence temporelle (positioning, navigation and timing, PNT) assurées en partie par ces objets, l’action de l’État en mer, les déploiements opérationnels, la surveillance des espaces marins protégés requièrent également les services satellitaires. L’utilisation de l’espace est aujourd’hui essentielle à la préparation et à la conduite des missions de la Marine. Dans un contexte de crise ou d’engagement militaire de haute intensité, être doté de capacités spatiales d’observation et de communication performantes, souveraines et sécurisées est indispensable.
LA GUERRE DANS LES ETOILES
Les fondements juridiques de l’exploration et de l’utilisation de l’espace exo-atmosphérique par les États ont été posés par le traité international de 1967, alors que Russes et Américains sont engagés dans la conquête de la Lune. Toujours en vigueur, il pose les grands principes du droit spatial. S’il prévoit une libre utilisation de l’espace à des fins pacifiques, il interdit la mise en place d’armes nucléaires ou de toute autre forme d’arme de destruction massive en orbite autour de la Terre, de même que leur installation sur la Lune ou un autre corps céleste. Il laisse, en revanche, la possibilité de faire transiter ces armes à travers l’espace.
Avec la multiplication des objets spatiaux, les risques de saturation de certaines orbites, de collisions et de retombées se sont, depuis, accrus ; les déchets spatiaux se font toujours plus nombreux. La démocratisation de l’accès à l’espace, souvent mal contrôlée, augmente encore ces risques de pollution spatiale et de collision.
L’usage de l’espace s’est militarisé. Les moyens militaires (létaux ou non) permettant d’opérer dans le domaine spatial se sont développés, que ce soit de l’espace vers la Terre (le renseignement, qui fait peser une menace sur nos forces) ; de l’espace vers l’espace (emploi de véhicules malveillants : satellites tueurs de satellites ou « butineurs » d’information) ou de la Terre vers le segment sol des systèmes spatiaux (stations Syracuse et Galileo, par exemple). Les satellites sont en outre vulnérables au brouillage et peuvent être aveuglés par des armes à énergie dirigée (laser, par exemple) mises en œuvre depuis le sol ou l’espace.
DES SATELLITES MILITAIRES SOUVERAINS
Pour ses communications, le recueil de renseignement et la navigation, la Marine utilise des satellites militaires et civils. Elle est notamment cliente de satellites militaires interarmées d’observation (Helios et désormais CSO, qui fournit des images très haute résolution de jour comme de nuit), de communications (Syracuse III, bientôt complété puis remplacé par Syracuse IV) et de renseignement électromagnétique (Ceres).
La Marine participe à la protection des capacités spatiales françaises avec le bâtiment d’essais et de mesures (BEM) Monge. Sa mission principale est de recueillir et d’exploiter les paramètres de tirs de missiles en vol. Mais ses capacités d’observation de l’espace et de suivi de satellites sont également mises à profit pour prévenir de potentiels dommages sur les systèmes spatiaux français.

Nanosatellites à l’affût
Pour assurer la surveillance et la sécurité des quelque 10 millions de km² de l’espace maritime français, la Marine s’est dotée, avec le service Trimaran III, d’une capacité d’exploitation des données issues de 300 satellites. Ces derniers assureront une couverture quasiment en temps réel de l’ensemble de la zone économique exclusive française. Le système de surveillance déployé dans le cadre de Trimaran III reposera sur des données fournies par les nanosatellites de la startup Unseenlabs, qui observent la Terre dans le spectre électromagnétique non visible. Il permettra notamment de localiser et suivre les navires pour lutter contre les activités illicites en mer : pêche illégale, pollution, piraterie...
Syracuse IV
Constellation de satellites géostationnaires couplée à une nouvelle génération de stations sol, compactes et mobiles, le système Syracuse IV fournira aux armées les liaisons sécurisées très haut débit nécessaires à la conduite de leurs opérations. Conçu pour faire face aux brouillages et aux attaques cyber, il remplacera l’actuel système de radiocommunication sécurisée Syracuse III. Le premier satellite a été lancé le 24 octobre 2021 ; un second le sera en 2022. D’ici 2030, un dernier satellite viendra compléter le dispositif.
En parallèle, les 400 stations associées (hubs de théâtre, stations tactiques déployables, stations individuelles, stations navales…) seront progressivement livrées aux forces pour équiper des fantassins, des véhicules, des aéronefs, des bâtiments de surface et des sous-marins. Dans la Marine, le déploiement de ces antennes a déjà débuté sur les patrouilleurs de haute mer (PHM) et les frégates de type La Fayette (FLF) en 2021. Les frégates multi-missions (FREMM), les frégates de défense et d’intervention (FDI), les sous-marins de type Suffren et les porte-hélicoptères amphibies (PHA) en seront équipés d’ici 2023.
INTERVIEW
Capitaine de vaisseau Gauthier Dupire Commandant du BEM Monge
Cols bleus : Commandant, quelles sont les missions du Monge ?
CV G. D. : Sa mission principale est d’assurer la crédibilité de la dissuasion, d’aujourd’hui et du futur. Pour cela, le Monge participe au suivi des tirs d’essai de missiles balistiques et aux expérimentations des missiles de demain. Concrètement, le BEM se place à proximité du point de chute du missile pour mesurer les différents paramètres lors de sa rentrée dans l’atmosphère, jusqu’à son point d’impact. Nous sommes également sollicités par le Commandement de l’espace (CDE) pour faire du suivi d’objets spatiaux.
C. B. : Pour réaliser ces mesures, vous utilisez les paraboles qui équipent le bâtiment ?
CV G. D. : Oui. Ce sont des radars de mesure. Ils se focalisent sur un objet pour recueillir toutes ses caractéristiques physiques. Pour calibrer nos radars, nous faisons également du suivi de satellites ou même dernièrement de la deuxième maison de Thomas Pesquet, l’ISS. On peut vérifier leur trajectoire, leur comportement et même surveiller l’approche de débris spatiaux. Le Monge possède également un lidar (laser imaging detection and ranging), qui permet de faire un scan de la composition de l’atmosphère et une tourelle avec des équipements optroniques de haute précision.
C. B. : En quoi le rôle du BEM Monge est-il singulier ?
CV G. D. : Le Monge est un trait d’union entre deux espaces communs, entre la mer et l’espace. Contrairement à un observatoire et à une station de mesure terrestres qui n’ont accès qu’à une zone donnée de l’espace, avec ce bâtiment, on peut choisir sa zone d’observation depuis différents endroits du globe. Ce bâtiment est l’unique centre d’essais mobile en Europe.
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