Vivre cachée sous l'Occupation
Hélène grandit cachée dans un appartement à Paris avec sa famille juive originaire de Pologne. La police traque les Juifs, les voisins sont solidaires. Son père obtient des faux papiers. Mais l’enfermement et la crainte d’être dénoncés sont difficiles à vivre.
Mission Libération : Quelle était votre situation lorsque la guerre a été déclenchée ? Quel âge aviez-vous, où habitiez-vous ?
Je suis née à la veille de la Guerre, en 1938, à Paris. Dès l’année suivante, avec mes parents et ma grande sœur - qui a trois ans de plus que moi - nous avons quitté la capitale pour nous réfugier en Bretagne. C’est là que ma petite sœur est née.
De ce séjour je ne me souviens quasiment de rien, j’étais bébé. Peut-être celui de mon père qui me portait sur ses épaules et qui arpentait la pièce en me chantant une berceuse. J’ai aussi le souvenir des religieuses qui vivaient dans un couvent à côté; elles venaient nous apporter des friandises qu’elles portaient dans leurs grandes poches. On nous avait donné une maison là-bas, avec un jardin, dans un petit village près de Nantes qu’on appelle Boussay. C’est là que ma petite sœur est née le 9 février 1940.
Combien de temps êtes-vous restée en Bretagne ?
Nous y sommes restés pendant un an et demi; et puis la Bretagne a été occupée et il a fallu partir vers août ou septembre 1941. Je me souviens bien de la veille du départ. Mon père travaillait au bureau des naturalisations avant la guerre. Les gens le remerciaient, lui faisaient des cadeaux, dont un revolver de collection. On lui avait dit “attention si on vous voit avec un revolver vous allez être fusillé tout de suite”. Alors il est allé dans le jardin pour enterrer le revolver et je le revois à genoux en train de creuser le trou pour enterrer cette arme.
La dernière image que j’ai de Boussay, c’est celle de mon cousin de 19 ans, David Yanichochski qui arrive en vélo de Paris avec un copain pour nous dire qu'à Paris c’est la chasse aux Juifs. Mes parents se sont demandés où nous pourrions aller avec trois enfants dont un nourrisson.
Où allez-vous vivre après la Bretagne?
Nous retournons à Paris dans mon appartement de naissance. C’était un logement pour famille nombreuse, au 3 rue du Telegraphe. Mon père était bien connu dans l’immeuble, il était particulièrement estimé. Il avait perdu la vue suite à un accident grave. Il s’est dit “nous allons retourner dans cet immeuble, les gens savent que nous sommes la seule famille juive, ils sont bien intentionnés à notre égard”. Les locataires de l’immeuble étaient toujours au petit soin de mon père, ils étaient des amis.
Avant son mariage, mon père avait pris à sa charge les enfants de sa sœur, la dernière était un nourrisson d’un mois lorsqu’il les a récupérés. Comme il travaillait au bureau des naturalisations, il s'est occupé de faire naturaliser tout le monde. A l’époque, on a pu avoir un appartement au 3 rue du Télégraphe car nous étions nombreux à loger ensemble. Nous y sommes retournés après notre passage en Bretagne.
Vous avez dit “fait naturaliser”, vous aviez une autre nationalité ?
Je suis née à Paris mais le reste de ma famille était russe. Mon grand-père qui est arrivé en 1914 avait été naturalisé russe parce que la Pologne appartenait à la Russie. C’était un polonais de l’empire russe, il s’identifiait comme polonais en étant de nationalité russe. Juif de pologne, comme on dit en Yiddish.
Quel est l’accueil dans cet immeuble, à votre retour de Bretagne ?
Il existe encore ! C’est un immeuble en trois bâtiments, A, B, C, avec un grand hall d’entrée commun. Quand vous entrez, vous trouvez tout de suite à droite le bâtiment dans lequel nous vivions. Au milieu de cette résidence il y a une cour dont les trois bâtiments font le tour.
Les locataires étaient résistants, beaucoup étaient communistes. Un jour la police est venue toquer chez la gardienne pour lui demander s’il y avait des juifs dans l’immeuble, elle a immédiatement répondu “Non il n’y a pas de Juifs ici”. L’immeuble tout entier nous protégeait.
Que devient votre père, est-ce qu’il reprend son travail dans l’administration ?
Malheureusement, il n’a pas pu reprendre son poste à la préfecture, vous vous doutez bien pourquoi. A la préfecture il s’était arrangé pour récupérer une carte d’identité sur laquelle il n’y avait pas le tampon “Juif”. Il est allé à la préfecture et leur a dit : “J”ai perdu ma carte, il m’en faut une autre”. Il faut savoir que notre nom n’est pas juif - Yanichevski - mais d’origine russe. Mon arrière grand-père était médecin et il avait été appelé auprès du tsar de Russie quand sa fille a attrapé le cancer, il soignait par les plantes. L'arrière grand-père l’a sauvée et pour ça, le tsar a anobli ma famille et Yanichovski est un nom de famille noble. Donc je ne sais pas quel est mon nom juif. Donc, avec ce nom là et le fait qu’il parlait un français impeccable, mon père a eu ses nouveaux papiers.
Avec ses nouveaux papiers est-ce qu’il a repris un travail ?
Non, parce qu’il ne voulait pas prendre de risque. Il avait maintenant une carte de nationalité française, un nom qui n’était pas juif, mais il y avait encore l’étoile jaune. Il ne la portait pas mais ma mère oui. Il y avait une telle ambiance dans le pays, tout le monde était un peu sous une forme d’emprise et ma mère préférait respecter les règles. Mais elle courait des risques. Elle a faillit être raflée.
Que lui est-il arrivé ?
Ma mère tombe enceinte en 1943 à Paris et ma dernière petite sœur naît le 15 janvier 1944, à la maison. Les hivers étaient très rudes, il faisait froid et dans notre appartement nous n’avions que la cuisinière comme système de chauffage. Elle était dans la pièce commune de notre appartement de 49m², seule à être chauffée et où toute la famille se regroupait. Seulement, pour nourrir le feu nous n’avions pas de combustible. Mon père a fini par casser et scier tous nos meubles en bois pour nous réchauffer.
Alors, quand ma petite sœur est née, ma mère a voulu lui trouver un berceau, un Moise comme on appelle ça. Elle est partie de l’appartement toute seule. Et puis, elle prend le métro. On l’attendait pour le midi, pour le repas quoi. Mais elle ne rentrait pas. Elle est arrivée à la nuit tombée, avec son Moise sous le bras, dans un état d'épuisement total. Et elle nous a dit, “j'ai été prise dans une rafle, dans le métro. Ils ont arrêté le métro. Ils ont fait sortir tous les voyageurs.” La police française était sur le quai, elle contrôlait les voyageurs les uns après les autres. Maman était partie avec son étoile jaune sur elle. Et quand ça a été son tour d'être contrôlée, elle me dit, “j'ai serré très fort le Moise contre moi pour essayer de masquer l'étoile jaune, et j'ai tendu ma main avec le papier que j'avais.” On ne lui a rien demandé. Elle est passée comme si elle était invisible. Elle-même était toute stupéfaite de voir qu'elle passait comme ça.
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