Mission Aigle : dans l’œil du cyclone

Direction : Terre / Publié le : 04 mai 2022

Suite à l’invasion russe en Ukraine, l’armée de Terre s’inscrit dans le renforcement de la posture défensive et dissuasive de l’Otan. Au début du mois de mars, elle a envoyé 500 militaires et de nombreux véhicules de combat en Roumanie. Ce déploiement consolide la protection du flanc est de l’Europe. Intégrant des unités belges, le détachement s’est constitué en “bataillon fer de lance” de 800 hommes prêts à toute éventualité.

Un soldat belge et un soldat français échangent. © Armée de Terre/CCH Julien H.

La piste d’atterrissage est gelée. Cette nuit, les températures descendent bien en-dessous de -5°C. Au-dessus de l’aéroport militaire roumain Mihail Kogalniceanu, à deux pas de la mer Noire, un avion de transport tactique français apparaît. Taillé pour apporter une réponse rapide à l’activité opérationnelle exceptionnelle, le C-130J Super Hercules de l’armée de l’Air et de l’Espace est adapté à la situation. À son bord, des militaires français, prêts à remplir leur mission : mettre en place le Spearhead  Battalion (bataillon fer de lance) de la force de réaction rapide de l’Otan en Roumanie, à seulement une centaine de kilo- mètres de la frontière ukrainienne. Parmi eux, le capitaine Benoît du 27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA), officier responsable de la conduite des opérations : « Nous vivons un moment important de l’histoire européenne avec cette mission inédite. Notre premier défi est le déclenchement sur court préavis. On ne sait pas à quoi s’attendre, mais nous devons être à la hauteur quelle que soit la mission ». Dans l’avion, les soldats sont concentrés. Une fois au sol, la tranche arrière de l’aéronef s’ouvre sous de gros flocons qui volent à l’horizontale. Quelques sourires apparaissent sur les visages : « Ça, on connaît ! ». Majoritairement composé de soldats de la 27e brigade d’infanterie de montagne (27e BIM), le détachement ne se laisse pas surprendre par les conditions météorologiques.  Chacun débarque avec son matériel et son armement. Un bus vient les récupérer pour les conduire à l’intérieur de la base de l’Otan, dans laquelle militaires roumains et américains cohabitent. Il y a également une compagnie de parachutistes néerlandais en exercice. Un important détachement    belge doit rejoindre la base. Cette mission a un très fort accent de fraternité interalliée.

Le 28 février, un C-130 J décolle d’Istres pour Constanta en Roumanie. © Armée de Terre/CCH Julien H.

« Défendre nos alliés »

Quelques jours plus tôt, le 24 février, la Russie a décidé d’envahir l’Ukraine, au mépris du droit international. Alors que la France assure le rôle de nation-cadre dans la constitution de la force à très haut niveau de réactivité de l’Otan, le président de la République prend la décision de déclencher son déploiement pour venir renforcer les positions de l’Alliance sur le flanc est de l’Europe. La mission Aigle débute immédiatement direction la Roumanie. Ce pays de l’Otan membre de l’Union européenne est frontalier avec l’Ukraine. Tous les soldats français et alliés présents sur la base entendent la ministre des Armées, Florence Parly, rappeler l’importance capitale de ce déploiement lors de sa visite, le 6 mars : « Notre unité est sans faille quand il s’agit de défendre nos alliés ». Composé d’unités du 27e BCA, du 126e régiment d’infanterie, du 4e régiment de chasseurs (4e RCH), du 93e régiment d’artillerie de montagne et de plusieurs éléments de soutien, le bataillon Fer de lance intègre également sous commandement français une compagnie du 1er/3e régiment de lanciers belges, et est soutenu par une compagnie de logistique et une unité médicale. 

« Les 800 hommes et femmes qui arrivent sont enthousiastes, curieux et impatients de remplir leur mission. » le colonel Vincent Minguet, chef de corps du 27e BCA et commandant du Spearhead Battalion, a une confiance totale dans la détermination des soldats placés sous son commandement. Il est aussi lucide sur la tâche qui l’attend. « Nous sommes ici pour assurer une posture défensive et dissuasive de l’Otan sur le flanc est de l’Europe. Dans une démarche de désescalade vis-à-vis de la guerre en Ukraine, cela implique une grande responsabilité. Nous devons être prêts au plus vite. »

Une colonne d’AMX 10 RC en déplacement. © Armée de Terre/CCH Julien H.

En un temps record

Dans ce   contexte international tendu, l’urgence requiert le meilleur effort de chacun. Les précurseurs ont été déclenchés en moins de quarante-huit heures. Il a donc fallu acheminer un grand nombre de matériels en un temps record. Sur cinq jours, les arrivées d’hommes, d’engins et de colis s’enchaînent via le pont aérien créé entre la France et la Roumanie. Le brigadier Jérôme, pilote sur AMX 10 RC, n’a pas ménagé ses efforts : « Je ne réalise pas encore l’ampleur de la tâche que nous venons d’accomplir, ni ce qui nous attend exactement, mais je suis heureux d’être déployé et surtout très motivé ». Pour lui, les événements se sont vite succédé. Basé à Gap, garnison du 4e RCH, il a juste attrapé ses sacs, perçu son armement, puis a acheminé les engins de combat à Istres avec son unité, embarqué dans l’avion de transport qui les a emmenés en Roumanie après quatre heures de vol. « Je ne sais pas encore où je vais dormir mais la nuit sera bonne ! » Il n’y a pas une journée sans que de nouveaux véhicules de combat sortent des Antonov ukrainiens affrétés pour l’occasion. Il y a parfois cinq débarquements par jour. Les éléments du 1er régiment du train parachutiste se relayent pour réceptionner les hommes, les véhicules et le fret. Au résultat, se mêlent treillis de couleur centre-Europe, blanche “zone enneigée”, et “woodland”…

Des éléments français et belges débarquent le 3 mars 2022 à Constanta, en Roumanie. © Armée de Terre

Chacun sait où se placer

Le commandant Stéphane, chef du centre des opérations (CO), coordonne le travail de tous les éléments du Spearhead Battalion.  « Nous n’avions aucun doute sur la capacité du bataillon à intégrer les militaires belges. » Rassemblés sous un même commandement, Français et Belges nouent rapidement des liens au CO comme en manœuvre. « Certains termes employés sont différents mais nous savons dialoguer et agir de concert. » Les premières simulations de combat révèlent le caractère intégrateur de l’armée de Terre. Chacun sait où se placer et se parler. S’il n’y avait la couleur du treillis et les variantes de matériels, il serait difficile à première vue de distinguer les deux alliés dans la manœuvre. Après l’acheminement de tous les matériels, la complète intégration des unités belges clôture la première phase de la mission : l’atteinte de la pleine capacité opérationnelle.

Le déploiement rapide de ces soldats en Roumanie, complété par les renforts apportés en Estonie et en mer Méditerranée, a permis à la France, dès le lendemain du déclenchement de la guerre aux portes de l’Europe, d’affirmer son rôle de nation-cadre dans la force de réaction rapide de l’Otan.

Exercice de synchronisation tactique franco-belge. © Armée de Terre/CNE Loic-Alexandre S.

Le tigre, un symbole commun

Un même symbole issu des deux grandes guerres : le tigre. Le 27e BCA a choisi le tigre en mémoire de Georges Clemenceau que l’on surnommait ainsi (il est l’initiateur des célèbres brigades du tigre). Alors qu’il était président du conseil, le 12 novembre 1918, il est venu remettre au bataillon la fourragère aux couleurs de la Légion d’honneur. La légende veut que, comme il ne parvenait pas à fixer son insigne comme épingle à nourrice. Depuis lors, les chasseurs du 27 portent ce symbole sur la fourragère. De son côté, le 1er/3e régiment de lanciers belge a choisi la tête de tigre, gueule ouverte et crocs menaçants, comme “totem”. Il date de la mobilisation du régiment en 1938 et est le symbole de la combativité de ses soldats.

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