Dossier ESPT - Témoignages

«  J’ai été blessé dans ma chair. »

«  J’ai vu un camarade être blessé, tué. »

« J’ai assisté à des scènes horribles. »

Qu’est-ce qu’un traumatisme psychique?

Le traumatisme psychique est la confrontation à une réalité insupportable qui atteint profondément l'esprit. Les « psys » appellent cela une blessure psychique.

Comme pour les blessures par balles, tous peuvent être atteints, même les militaires les plus aguerris, quel que soit leur grade. Sauf que la blessure est invisible et que beaucoup refusent d’en parler. Pourtant, plus le dépistage est rapide, plus la guérison sera facilitée.

Écoute Défense © BCISSA

Témoignage d'un militaire blessé

Infirmier militaire, Sylvain Favière a souffert d’ESPT à son retour de mission de six mois en Afghanistan. De cette expérience, il a écrit un livre-témoignage « Ma blessure de guerre invisible », (éditions Esprit com’) pour lever les tabous et briser le silence. Avec son aimable autorisation voici quelques extraits sur l’épreuve qu’il a traversée.  

Excès de colère

« Tout dérapait lorsqu’une habitude, une règle était égratignée. Je partais alors dans une colère noire, mes mots dépassant parfois mes pensées. Mon épouse se trouvait la plupart du temps dans la stupéfaction, ne comprenant pas les raisons de mon emportement exagéré. Toujours forte, elle tentait bien de me calmer, de me raisonner, mais j’étais dans ma bulle. Elle était très diplomate et avait toujours le sens des mots pour arranger les situations. La pression retombait alors. Mais au fond de moi, cela bouillait toujours un peu, quelque part.

Lorsque de la famille proche passait des vacances dans notre maison, j’avais la sensation d’être envahi. Mon espace vital était réduit. La violation de cet espace était pour moi interdite. J’avais durant six mois, lutté contre les tentatives des talibans de pénétrer dans nos campements, ce n’était pas pour subir les assauts de la famille. Je ne supportais pas de succomber aux caprices des enfants. Je refusais de prêter mes affaires. Je possédais, je voulais garder. Là encore, mon épouse devait faire preuve de tact et user de stratagèmes pour ne pas dévoiler mon mal-être. A force d’user ses nerfs, elle allait me tirer une sonnette d’alarme, me demandant de faire quelque chose, de me reprendre. Il fallait impérativement que je corrige ces problèmes d’humeur avant de détruire ma famille. »

Envies de pleurer

« Les envie de pleurer étaient devenues une habitude. Elles faisaient partie de mon quotidien. Au travail, avec l’activité, je n’y étais pas vraiment sujet. Par contre à la maison, c’était chaque jour. Je mettais encore cela sur le compte de la fatigue. Je m’y accommodais comme je le pouvais. Je me cachais tout le temps lorsque les larmes me montaient aux yeux. Je ne voulais pas montrer à mon épouse que je pleurais, ou même que j’en avais envie. En Afghanistan, j’avais été vulnérable une fois, lorsqu’un IED nous avait été destiné mais avait frappé d’autres camarades. Je m’étais demandé ce que je faisais dans ce pays qui n’était pas le mien, loin de mes proches. Et là, je me retrouvais dans mon canapé à éprouver les mêmes émotions. Ce n’était pas normal. »

Cauchemars

« J’étais avec Bull et Sam. Nous étions accrochés par des ennemis dont je distinguais les regards derrière leurs foulards. Nous faisions usage de nos armes. C’était un combat dans les règles, comme si j’en avais l’habitude. Puis une détonation de fusil Kalachnikov se fait plus précise. Le tir m’est destiné. La balle me frappe en plein gilet pare-balles. Quand j’ouvre les yeux, je suis assis dans mon lit, le buste vertical. J’ai le cœur qui bat à en sortir de ma poitrine. J’ai quelques sueurs sur le front. Il fait nuit noire. J’entends le souffle lent de mon épouse qui dort à profondément. C’est un mauvais rêve. » 

Témoignage d'un médecin des forces

Pour dépister au plus vite les troubles psychiques, le service de santé des armées (SSA) s’appuie sur les médecins d’unité, pierres angulaires du plan d’action relatif au soutien psychologique dans les armées, au contact direct avec les militaires. Témoignage de chef du centre médical de Toulouse.

Quel est le rôle du médecin d’unité dans le dépistage du stress post-traumatique ?

Les médecins d’unité sont en contact permanent avec les militaires du régiment. Nous sommes donc naturellement l’une des premières personnes vers qui se tourne le militaire qui souffre d’un stress post-traumatique. L’une de nos missions est d’informer et de tendre la main aux soldats qui peuvent être en souffrance psychologique. Certains se rendent au centre médical pour parler de leurs problèmes. D’autres les évoquent au détour d’un saut, en manœuvre, ou lors d’exercices. Cette proximité, cette simplicité d’accès font notre plus-value. Souvent, ils nous ont vus en opérations extérieures. On s’est mouillé avec eux, on a vécu les mêmes choses. On sait ce qu’ils ont pu traverser. Or il est plus facile de venir se confier à quelqu’un qui a partagé les mêmes expériences.

Comment les encouragez-vous à venir parler de leurs problèmes ?

Notre objectif est de leur faire savoir que nous sommes là pour les aider. Nous les rencontrons lors de la visite systématique annuelle au cours de laquelle nous faisons passer l’information qu’ils mémoriseront : « Si j’ai un problème, mon médecin peut faire quelque chose pour moi. » Il faut leur faire prendre conscience que le SPT peut toucher n’importe qui et que cela n’a rien de honteux. Ensuite, les militaires sont libres de leur choix. Nous ne pouvons pas les forcer à consulter, sauf en cas de danger, notamment lorsqu’il y a un risque de suicide.

Certains militaires essayent-ils de cacher leurs troubles ?

Bien sûr. Pour certains, le stress post-traumatique ne peut pas concerner « les bons soldats». Or, ça peut arriver à tout le monde. Je me sers également de deux séries américaines, Band of Brothers et The Pacific, dans lesquelles les personnages principaux sont atteints de stress post-traumatique. Ils en parlent sans tabou et se font soigner. Lorsqu’on leur explique que le SPT est plus courant qu’une blessure par balle, ils se sentent moins stigmatisés.

D’autre part, on trouve des militaires qui cachent leurs troubles de peur d’être déclarés inaptes et de ne plus pouvoir partir en Opex. Je leur pose alors cette question : « Si votre binôme souffrait d’un SPT, accepteriez-vous de partir avec lui, sachant qu’il existe un risque qu’il décompense au cours d’un combat ? » Le but est de leur faire prendre conscience de leur mal. Les faire repartir immédiatement est dangereux pour eux et pour leurs camarades. S’ils acceptent de se faire suivre, ils pourront les rejoindre lors de la prochaine mission. D’où l’importance qu’ils viennent nous voir le plus tôt possible afin d’établir un diagnostic. Même si cela prend du temps, on guérit du stress post-traumatique. Nous, les médecins, nous ferons tout pour qu’ils récupèrent la totalité de leur aptitude opérationnelle. Notre but n’est pas de les sortir de l’institution, mais de les réinsérer au niveau où ils étaient avant

Témoignage d'un psychiatre militaire

De quand date la prise en charge du stress post traumatique ?

Dans l’armée française, ce syndrome est connu depuis 1915, quand on a mis en place des hôpitaux neuro-psychiatriques au plus près du front. Ce qui a vraiment changé avec l’Afghanistan, c’est le volume d’hommes passé sur le terrain et l’augmentation du nombre de cas rencontrés. Mais le travail des psychiatres a toujours été de prendre en charge les militaires présentant ce type de syndrome.

Quels sont les traumatismes dont peuvent être victimes ces soldats ?

Il y a autant de syndromes psycho-traumatiques qu’il y a de patients. Cela va de l’état d’hyper-vigilance où le combattant n’arrive pas à revenir en mode « paix » et reste toujours sur le qui-vive, à des syndromes beaucoup plus lourds avec des cauchemars itératifs stéréotypés toutes les nuits et plusieurs fois par nuit qui peuvent conduire à une désinsertion sociale et un isolement personnel. C’est ce que le professeur Clervoy appelle le syndrome de Lazare.

Comment l’armée prend-elle en compte des traumatismes ?

Il y a le dispositif habituel, institutionnel, qui a toujours été là dans l’armée française : la visite médicale, une fois par an, qui est l’occasion pour le médecin du régiment d’interroger le soldat, de savoir comment ça va. C’est tout l’intérêt d’avoir des médecins en unités : ils connaissent les hommes et peuvent voir très rapidement ce qu’il se passe. Il y a aussi les interlocuteurs, les cadres de contact, qui peuvent détecter un traumatisme parce qu’eux aussi connaissent bien leurs hommes.

Et puis, depuis quelques années, on a mis en place le sas de décompression, cette interface permettant au soldat de retour d’Afghanistan, pendant 48 à 72h, de reprendre pied dans la réalité quotidienne et de passer du mode combat au mode « métropole » et « monde en paix ». Les combattants disent avoir l’impression que l’on prend en compte leur mission, c’est-à-dire que, quelque part, la France reconnaît qu’ils ont eu une mission difficile et cette reconnaissance prend la forme du sas. On leur offre cet espace pour pouvoir se reposer. Je pense que c’est très important pour un combattant, au-delà de tout ce que l’on pourrait mettre en place comme dispositif, l’impression d’être reconnu par la Nation. 

Le rôle des familles est important aussi au retour. Il y a une sorte de préparation de la famille pour accueillir les soldats, qu’il faut laisser souffler encore quelques jours ?

C’est la grande nouveauté, cette prise en compte beaucoup plus importante des familles, et à tous les niveaux hiérarchiques. C’est le point où l’on péchait un peu, parce que – et c’est aussi culturel - la France avait plutôt l’habitude de séparer le monde du travail et le monde de la famille. Depuis une quinzaine d’année, il y a ce que l’on appelle la « cellule famille » qui est chargée de s’occuper de tous les petits problèmes, de soutenir les familles le plus isolées, de leur apporter des informations. On prend de plus en plus en compte ces familles, aussi pour les préparer, leur expliquer ce que va être le retour et permettre à nos combattants de pouvoir se réadapter plus facilement, plus rapidement, et de ne pas avoir tous ces petits ou grands accros au retour.

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