Le design : enjeux stratégiques pour le ministère des Armées.

Direction : AID / Publié le : 26 septembre 2024

Prestations fonctionnelles, fiabilité et durabilité, coûts et bon timing sont un socle incontournable mais ne suffisent pas pour faire un « bon produit ». Il faut aussi y ajouter des dimensions subjectives telles que l’attractivité et la qualité perçue pour une expérience utilisateur réussie. C’est là, que le design entre en jeu. L’Agence de l’innovation de défense a organisé, le jeudi 26 septembre à l’innovation défense lab, une journée dédiée aux enjeux du design pour le ministère des Armées.

Le design enjeux stratégique

Au-delà de la prise en compte de l’expérience utilisateur, le design contribue à la performance. Un matériel bien pensé est plus efficace et le design, en permettant aux utilisateurs de visualiser et d’expérimenter rapidement les idées, apporte de l’ingéniosité dans l’ingénierie. Sur le terrain, le premier impact psychologique d’un matériel est le plus souvent visuel. Ainsi, travailler le style, c’est renforcer cet impact. Le design est également au service de la qualité. Un « bel objet » sera toujours mieux entretenu qu’un objet ordinaire, ce qui est un gage de durabilité et de coût d’usage moindre à terme. Le style et l’innovation contribuent à l’image de modernité des armées, ce qui facilite aussi le recrutement. Disposer de matériels bien conçus et valorisants suscite de la fierté et est un argument pour fidéliser les utilisateurs. Enfin à l’export, nos matériels sont en concurrence avec ceux d’autres pays. Un beau design constitue un véritable avantage concurrentiel supplémentaire pour remporter des marchés.

Cette journée a ainsi été l’occasion de faire un tour d’horizon de raisons qui poussent les industriels civils et militaires à investir dans le design et de décrire les apports du design sur le matériel militaire au travers de témoignages et d’études de cas.

 

Quatre questions au capitaine Mickaël, chargé de veille au Battle Lab Terre

  • Quelle est l'importance du design pour les forces ?

Le design joue un rôle fondamental en ce sens qu’il est le premier contact (visuel) qu’ont ses futurs utilisateurs avec un matériel. Lors d’une rencontre, l’on dit souvent que la première impression est la bonne. A titre personnel, le gamin normand que j’ai été dans les années 90 a eu le coup de foudre pour le char Leclerc en ouvrant un exemplaire de Terre Information Magazine dans le CDI de son collège. Je suis plus tard entré dans l’armée, non pas pour devenir militaire (ce qui se fera avec le temps), mais bien pour servir un engin qui me fascinait depuis des années et que je voyais sur nombre de ronds-points chez moi : le char de bataille ! Tout engin doit être designé de sorte à ce que l’on puisse s’incarner en lui. Il doit pour cela dégager avec l’intensité voulue les qualités les plus hautes pour lesquelles il a été conçu et qui pour un engin de combat sont la force (motrice), la vitesse (lignes sportives), la puissance (feu), la robustesse (protection et fiabilité) et enfin la persuasion (caractère de modernité et prise d’ascendant moral). Le design doit intégrer cela dans un matériel et le sublimer.

  • Qu'est-ce que l’intégration du design apporte de plus par rapport aux méthodes actuelles ?

Le design doit dépasser le simple fait de « joindre l’utile à l’agréable ». Sur le plan militaire, si le caractère pratique qui vise à améliorer l’efficacité technico-opérationnelle d’un matériel reste une priorité, le design militaire doit aller bien au-delà : il doit servir à faire passer des messages par l’emploi de codes, de références implicites ou explicites de sorte à agir sur les perceptions. Il doit y avoir une sémiotique visuelle. Au regard du rôle qui est le sien et du sort qui l’attend, il est impensable qu’un engin de combat dégage quelque chose de parfaitement neutre. Il doit au contraire générer un fort pouvoir d’évocation. Cela doit avoir des répercussions tant externes (fascination des masses, recrutement, ventes) qu’internes (fidélisation, sentiment d’identification et d’appartenance très forts, confiance). N’ayons pas peur de dire les choses : plus fort est l’effet que dégage l’engin sur lequel on sert, plus forte est notre acceptation du sacrifice ultime ! En effet, si chacun de nous pouvait choisir sa belle mort, il préfèrerait disparaître au volant d’une BMW M3 plutôt que d’une Twingo. Il en va ainsi au combat. Et tout au long de l’Histoire, des Romains jusqu’à nous, de nombreuses troupes ont transcendé cet aspect et développé une esthétique de l’affrontement. Le char allemand Tigre de la Seconde guerre mondiale offrait à ses équipages une prise d’ascendant immédiate par rapport à ceux de ces pauvres alliés qui servaient sur M3 Stuart ou M4 Sherman. Ces derniers étaient terrifiés à l’idée d’affronter de tels monstres, impressionnants et quasi-mythologiques. Le design est donc aussi psychologie. Il génère des émotions qui sont de nature à produire certains effets. Et sur le champ de bataille, mieux vaut avoir les atours d’un prédateur que ceux d’une proie. Aussi subtil que cela puisse paraître, par le sentiment de crainte qu’il inspire chez l’Autre, il contribue à la protection générale. Plus l’engin en question sera exposé à un haut degré de violence, plus son caractère agressif et ses lignes de forces devront être mises en évidence. Au premier coup d’œil, on doit identifier à quel niveau de la chaîne alimentaire un matériel ou une arme se situe.

  • Comment pourrait-on intégrer le design dans les processus d’innovation ?  Comment voyez-vous le rôle des forces dans cette intégration ?

Le design doit être pris en compte dès le début d’un projet et tout au long de son développement, tant dans la forme que dans le fond de celui-ci. Nous aurions tort de croire qu’il ne concerne que les lignes d’un objet : il doit œuvrer à ce que le nom de l’engin, celui de sa famille, du programme auquel il se rattache forme un tout cohérent qui donnera sa force de caractère à l’ensemble. L’approche conceptuelle doit être « globale ».  Il convient donc d’établir dès la phase initiale, le cadre de l’objet : essence (sources mythologiques, historiques, animales, essentiellement techniques, etc.) et expression (puissance, majesté, sportivité, agressivité, neutralité, etc.). Pour « rester dans le thème », il convient alors d’agir de concert avec des opérationnels qui ont une fine connaissance de l’Histoire et du fait militaire. Ils sont incontournables pour en comprendre les codes et leur portée mais également pour rester parfaitement « dans le thème » recherché. Tout l’art du design militaire réside dans le fait d’éliminer le superflux tout en sublimant ce qui est strictement nécessaire afin d’en accroître l’efficacité générale.  Un des exemples les plus significatifs à mes yeux est le gladius hispaniensis qu’utilisaient les légionnaires romains pour tailler en pièces leurs adversaires. Il était une lame à double tranchant à la fois remarquablement épurée, équilibrée et redoutable, aussi efficace pour porter des coups d’estoc que de taille. Les militaires sont des individus très épris d’esthétique. Ils en témoignent au travers de leur uniforme, de leurs chants, de leurs traditions, de leur recherche permanente de perfection. Nous pourrions dire qu’à leurs yeux, beauté et force ne forment qu’un seul mot, une seule et même chose.

  • Est-il pertinent de s’appuyer sur les compétences civiles en matière de design et si oui comment faire ?

Oui. Les militaires savent mieux que quiconque ce dont ils ont besoin et ce que les matériels qu’ils servent doivent exprimer. Pour les aider dans cette quête, qui mêle à la fois l’Art et la Science, en plus des ingénieurs et des techniciens de l’armement, ils doivent impérativement s’appuyer sur des experts chevronnés : designers, psychologues, ergonomes.

 


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