Napoléon Ier, commissaire en chef de ses armées
Dans le contexte de la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon, le commissaire général Jean-Michel MANTIN, directeur du CIMCI, propose un article mettant en lumière la préoccupation de l’Empereur envers le soutien de ses armées.
#NotreDéfense
Le 5 mai 1821, Napoléon mourait à Sainte-Hélène, âgé seulement de 51 ans. Depuis cette date, tout ou presque a été dit ou écrit sur ce météore de l’Histoire universelle et nationale. Pourtant, s’agissant d’une personnalité aussi riche, l’exégèse de son action et de ses conceptions peut se poursuivre indéfiniment. Les relations de Napoléon avec l’administration militaire – dont le but est de « pourvoir à l’entretien de l’armée » selon l’excellente et concise définition du baron Vauchelle*– méritent bien de s’y attarder, tant l’organisation et la pratique perfectionnées par Napoléon peuvent, encore, inspirer le temps présent et l’avenir du Commissariat des armées.
Affirmons-le sans ambages, Napoléon s’est toujours préoccupé de l’entretien de l’armée – et de la Marine, mais c’est un autre sujet… – dans sa double déclinaison administrative et logistique.
Cela tient d’abord à sa formation. A l’Ecole militaire, assoiffé de lecture pour parfaire ses connaissances de jeune officier pauvre, il ne manque pas de lire l’essai général de tactique, publié en 1772 par de Guibert. Ce livre se termine par un mémoire sur le « rapport de la science des subsistances avec la guerre » qui débute par cet exorde parfaitement assimilé par le futur Empereur: « c’est une branche importante de la vaste science de la guerre, que l’art de pourvoir à la subsistance des armées […] Mais pour remettre ainsi l’administration des vivres entre les mains des militaires, il faut que les militaires s’instruisent. Les détails des subsistances ne peuvent pas être maniés par des personnes qui n’en aient ni la théorie, ni l’habitude ».
Ensuite, et cela a été insuffisamment relevé quant aux conséquences que cela entraîne sur le sujet que nous évoquons, il est officier d’artillerie, arme qui, à cette époque, nécessite une administration et une logistique particulière pour la fabrication, le stockage et la mise à disposition des munitions, mais aussi pour le transport des pièces d’artillerie jusqu’aux champs de bataille, confié à des entreprises de charrois puis au train d’artillerie. Il était donc naturellement prédisposé à saisir l’importance de l’administration et de la logistique qu’il intégrait ab initio dans sa manœuvre globale, en excellent officier d’artillerie.
Enfin, l’expérience précoce de la guerre en Italie où lui est confiée une armée de gueux – qui lui inspira une de ses plus célèbres proclamations – puis celle de l’expédition d’Egypte, en milieu géographique hostile rapidement isolée de toute possibilité de soutien depuis la France - lui firent très tôt considérer l’importance de l’administration et du ravitaillement. A trop insister sur la mobilité des armées de Napoléon et son génie manœuvrier, on aurait tendance à oublier les conditions que jamais il ne négligea et qui lui permettaient de disposer d’armées et de places fortes bien administrées et correctement soutenues.
Les préoccupations de Napoléon pour le soutien se manifestent tout au long de l’épopée, qu’il s’agisse de la mise en condition, au Camp de Boulogne, de l’armée qui sera celle d’Austerlitz, de l’éblouissante campagne de Prusse de 1806, de la guerre d’Espagne avec la nécessaire sauvegarde de lignes de ravitaillement sans cesse menacées ou de la gigantesque préparation méticuleuse de la campagne de Russie de 1812…
Jusqu’au seuil de la mort, dans l’ennui et le désœuvrement de son cottage subtropical, Napoléon esquisse des plans d’organisation de l’administration militaire. Un manuscrit intitulé « des agents de l’administration militaire », constitué de 10 grands feuillets rédigés nerveusement au crayon et presque illisibles, actuellement conservé à l’école des commissaires des armées, en témoigne. Napoléon y jette sur le papier une organisation extrêmement précise de l’administration divisionnaire et régimentaire d’une armée de 120 000 hommes et le moins que l’on puisse constater, c’est qu’il ne lésine pas sur les effectifs de commissaires des guerres, inspecteurs aux revues, majors, adjudants de camps, capitaines fourriers, quartiers-maîtres (trésoriers de l’époque), sergents et caporaux fourriers, nécessaires au soutien…
Même si ce document, simples notes préparatoires du chapitre 7 d’un Projet de nouvelle organisation de l’armée qu’il n’achèvera jamais, est loin d’être ordonné et achevé, il prouve l’intérêt que portait – jusque dans les détails les plus prosaïques – l’Empereur pour l’administration de l’armée.
Las Cases et le général Bertrand, dans leurs mémoires, rapportent même que, toujours à Sainte-Hélène et pour s’occuper, il établissait des prescriptions sur la composition et le grammage des rations, biscuits, riz, farine, etc… et réfléchissait aux moyens d’améliorer le service des vivres, qu’il jugeait essentiel, par ce que l’on appelle aujourd’hui du matériel de restauration collective.
Dans un autre domaine, celui des finances et des marchés, il est patent que son souci d’économie, pour ne pas dire une certaine ladrerie dont il a toujours fait montre dans l’emploi des crédits publics, faisait de lui le tout premier contrôleur financier et administratif de son armée !
Résumons brièvement le legs considérable de Napoléon à l’histoire et au développement du Commissariat des armées.
Organisation rationnelle
Les moyens dédiés à l’administration des armées ont été considérablement perfectionnés par Napoléon. Si la Révolution avait multiplié les effectifs des commissaires des guerres jusqu’à 1 200, la régularité du service assuré par des commissaires recrutés un peu rapidement – dont le propre oncle de Napoléon, futur cardinal Fesch, et son frère Joseph, futur Roi de Naples puis d’Espagne – laissait à désirer. Le cadre réglementaire, fixé par la loi du 28 pluviôse an III, fut précisé par un arrêté consulaire du 9 pluviôse an VIII qui créait notamment un corps d’inspecteurs aux revues tiré du corps des commissaires des guerres qu’il complétait, avec pour l’essentiel des attributions administratives de contrôle des effectifs, de la solde ; les commissaires conservant le reste de l’administration et notamment toute la logistique[1]. L’intendance militaire, créée en 1817, résultera du retour d’expérience de la réglementation et des pratiques de l’Empire.
Nécessité faisant loi, il institue un ministère de l’administration de la guerre – préfiguration de notre direction centrale mais à une échelle ministérielle et avec de plus vastes compétences – pour assurer le back office d’une organisation principalement tournée vers l’avant du fait des opérations conduites hors du territoire national jusqu’en 1814 et la campagne de France.
Militarité
Napoléon a créé, en complément du personnel civil qui gravitait autour des commissaires des guerres, les premières troupes militaires qui leur furent subordonnées : celles du train des équipages, créé en 1807 à Osterode, après la défaillance de la compagnie civile Breidt, et celles du bataillon des ouvriers d’administration de la garde impériale, créé en 1810 en regroupant cinq compagnies constituées en 1806. L’administration des hôpitaux et ambulances fut également militarisée.

Symbiose avec le commandement
A rebours de ce qui se produira ultérieurement dans le courant du XIXe siècle et sera vivement critiqué après la défaite de 1870 (pour aboutir à la loi de 1882 sur l’administration de l’armée), l’administration militaire napoléonienne est pleinement intégrée à la manœuvre au sein du grand état-major dirigé par le maréchal Berthier. Des intendants généraux d’armée, dont les plus célèbres sont Petiet, Daru et Daure, concevaient et exécutaient, en étroite liaison avec l’Empereur et son chef d’état-major, la manœuvre logistique, certes plus réduite qu’aujourd’hui mais qui, sauf pour l’artillerie et les équipages de ponts, était essentiellement dédiée au soutien de l’homme et dévolue aux commissaires des guerres. Constamment sur la brèche pour rassembler des ressources, ceux-ci organisaient également l’administration et l’exploitation des territoires conquis ou soumis, comme Stendhal, dans un obscur canton de Saxe, auquel il empruntera son pseudonyme littéraire…
Considération et reconnaissance pour l’administration militaire
Napoléon appréciait ses commissaires et ses intendants d’armées ; il les honorait par des décorations, des titres nobiliaires et des dotations financières. Daru qui fut ministre de l’administration de la guerre et membre de l’Institut était comte, grand-croix des ordres réunis de la Légion d’Honneur et de l’Aigle blanc de Pologne… Pour ne donner qu’un seul autre exemple de sa haute estime – ultime en l’occurrence –, en 1806, à la mort du baron Petiet, l’organisateur de la Grande Armée de 1805, il décide de son inhumation au Panthéon. Il demeure ainsi, pour le moment et sans doute encore un temps certain, le seul commissaire qui a bénéficié de cet honneur…
Plus largement, il faut rappeler combien Napoléon aimait ses soldats. Il a souvent exprimé cet amour dans sa correspondance et ses bulletins de la Grande Armée, qui ne sont pas que de pure propagande et il l’a manifesté avec émotion lors des adieux de Fontainebleau où tout le monde pleurait, y compris les soldats… Une belle formule lapidaire et intemporelle, dont Napoléon avait le secret, raccroche cet amour aux nécessités d’une saine administration militaire garante de la qualité du service rendu et nous servira de conclusion : « le mépris de l’administration conduit au mépris de l'homme ».
*Baron Vauchelle, cours d’administration militaire, Paris, J. Dumaine, libraire-éditeur de l’Empereur, 1861, page 3.
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