Le SCA et les PME : entretien avec Jacques ROUARD / PDG de la SNL Charlemagne

Direction : Commissariat / Publié le : 04 mars 2021

Dans le cadre de la LPM 2019-2025, environ 40 milliards d’euros seront dépensés auprès des PME et ETI. Le thème de la place de la Défense dans les territoires revêt actuellement une importante toute particulière, en réponse aux conséquences de la pandémie de la Covid-19. Avec près de 500 M€ de paiements effectués annuellement, le SCA est le premier « financeur » des PME au sein du ministère des Armées. Rencontre avec M. Jacques Rouard, PDG de la PME « Charlemagne », mandataire du GMES défense bureau, qui collabore avec le Service du commissariat des armées.

#TerritoiresDéfense

Jacques ROUARD / PDG de la SNL Charlemagne © sca

Jacques ROUARD / PDG de la SNL Charlemagne

Jacques ROUARD (au premier plan) et son neveu, Olivier, sont les troisièmes et quatrièmes générations de la famille à diriger l’entreprise © Patrick Blanchard

 

Est-ce une fierté de travailler avec le ministère des Armées [2] ?

Au-delà d’être une fierté, c’est un honneur que le ministère des Armées ait choisi notre groupement. C’est une marque de confiance importante et un crédit accordé. À travers ce groupement de quinze PME maillant le territoire, nous faisons la démonstration que nous sommes tout à fait en mesure d’apporter à la fois les prix et les niveaux de service attendus par l’ensemble des formations du ministère

 

Parlez-nous de votre PME et de la genèse de votre relation avec le Commissariat des armées...

Charlemagne, qui est le mandataire du GMES [1], est une entreprise varoise créée en 1927 implantée à Toulon. Elle existe depuis quatre générations et entretient, depuis son origine, des relations avec la Marine nationale. Nous avons toujours eu des relations et des marchés avec les AF [3], dont nous étions un des fournisseurs. Puis, il y a eu la création du Sermacom [4]. À partir de là, nous avons commencé à proposer des prestations plus adaptées aux besoins des formations de la Marine, notamment les livraisons le long du bord incluant toutes les spécificités et les attentes particulières des bâtiments à la mer, qui n’ont évidemment pas les mêmes besoins qu’un service à terre.

SNL Charlemagne © sca

SNL Charlemagne

SNL Charlemagne

À partir de 2009, le mouvement de massification des achats de l’État a été lancé, suivi de la transformation des armées et de la création du Service du commissariat des armées en 2010. Nous avions un marché historique avec la base de défense de Toulon et, à l’époque, en relation avec la « mission achats » du ministère, nous avons essayé de faire la démonstration que des PME pouvaient être à la hauteur. Ce n’était pas évident dans l’esprit des grands donneurs d’ordre car cela impliquait un important travail de centralisation et un fonctionnement unique pour l’ensemble des armées. Il fallait que nous, PME, nous nous adaptions aux besoins des formations et à ce besoin de centralisation et d’organisation centrale. C’est en cela que le GMES Défense Bureau a tout son sens car il apporte à la fois le côté centralisé avec une plateforme unique, un catalogue unique, un centre de paiement unique et la capacité à livrer partout en France, grâce à des PME implantées sur tout le territoire. On a connu le SCA par notre implantation et notre connaissance des milieux militaires.

 

Pouvez-vous partagez avec nous les contraintes et les spécificités imposées par un client tel que le ministère des Armées ?

Les armées sont très diverses. Comme mentionné précédemment, les attentes d’un bâtiment à la mer n’ont rien à voir avec les attentes des régiments dans l’Est, dans le Sud-Ouest ou en Bretagne. Si le fonctionnement des formations est différent, leurs besoins aussi. Nous nous devons donc d’abord de bien comprendre et de bien connaître le milieu militaire et ses différentes attentes. C’est la raison pour laquelle nous avons depuis longtemps noué des liens avec Défense Mobilité. Plusieurs de nos collaborateurs nous ont rejoints après être passés dans les rangs militaires. Cela nous permet de bien appréhender ce milieu et de mieux comprendre son langage, ses attentes, son niveau de rigueur et de proposer des prestations adaptées aux besoins. Par exemple, nous nous sommes toujours engagés à être opérationnels 24/7. C’est exceptionnel, mais ça arrive. Quand la présidence de la République prend une décision, que des opérations sont lancées et que les forces sont mobilisées extrêmement rapidement, pour nous non plus il n’y a pas de week-end, de matin ou de soir. On ne compte pas nos heures. Nous voulons être au soutien des armées, comme les GSBdD, en tant que partenaires des bases de défense et des armées au sens large.

SNL Charlemagne © sca

SNL Charlemagne

SNL Charlemagne

C’est notre rôle, y compris dans la définition du besoin et des produits. Le catalogue dédié aux armées est un catalogue spécifique, qui propose une gamme de produits sélectionnés par les armées, qui ne sont pas disponibles dans d’autres catalogues de fournitures de bureau car ils correspondent à une attente particulière. Par exemple, un compas avec deux pointes sèches.

 

Quel est l’esprit global qui anime les actions quotidiennes des différentes PME membres du GMES mobilisées dans cette mission de soutien aux forces ?

C’est notre vocation. Nous avons toujours travaillé en essayant de bien comprendre le fonctionnement des armées et en étant extrêmement opérationnels. C’est l’avantage des PME : le circuit de décision est très court. Concernant mes cotraitants, je contractualise directement avec les chefs d’entreprise. Je les ai en direct et je leur demande de s’engager eux-mêmes. Dans le cadre de ce partenariat, et dans le contrat qui nous lie avec les armées, ce sont quinze chefs d’entreprises qui s’engagent, ce qui permet de décider et de s’adapter très rapidement. D’ailleurs, les armées nous le rendent bien à travers les enquêtes de satisfaction et nous recevons des messages de formations nous disant qu’ils sont satisfaits du service apporté par notre groupement.

Notre objectif, c’est que la délivrance des fournitures se fasse le plus facilement et le plus souplement possible, afin de simplifier le travail des services. Concernant le service après-vente, s’il y a un problème, on nous contacte et on règle cela dans les plus brefs délais. Les formations le reconnaissent et nous remercient souvent pour cela.

Pour qu’un groupement de PME fonctionne, il faut de la complémentarité. Dans notre groupement, nous sommes des confrères, répartis géographiquement. C’est en cela que nous sommes complémentaires car nos PME sont locales ou régionales. Par exemple, un de nos confrères est uniquement basé dans le département de la Manche alors que nous, Charlemagne, sommes présents dans une partie du Sud de la France, au niveau régional. Un autre de nos confrères s’occupe de la région Île-de-France.

SNL Charlemagne © sca

SNL Charlemagne

SNL Charlemagne

Comment êtes-vous parvenus à rester opérationnels lorsque la crise sanitaire s’est déclenchée ?

« Les périodes de crise sont des accélérateurs de changement et d’innovation. Cette période a prouvé notre capacité d’adaptation. Les PME sont bien armées pour accompagner les transformations. »

Dans tous les cas, même au plus fort de la crise en mars-avril, nous voulions conserver une activité car les armées restaient mobilisées et devaient être opérationnelles. Nous avions donc le devoir de rester ouverts pour assurer leur soutien, notamment celui du Service de santé des armées qui fait partie de nos clients et qui a été extrêmement sollicité. Afin de rester opérationnels, nous avons donc immédiatement mis en place des mesures sanitaires très strictes et nous avons été très exigeants concernant les gestes barrières. Lorsque les masques n’étaient pas encore obligatoires, nous en avions déjà (stock de masques restant des précédentes campagnes) et tous nos livreurs partaient équipés. Nous nous sommes aussi adaptés aux besoins car il fallait proposer de nouveaux produits. Nous avons par exemple développé une gamme d’écrans plexi pour les bureaux à la demande des gendarmes maritimes. Nous avons organisé, avec des PME locales, la fabrication de ces écrans et de visières ainsi que leur délivrance partout où c’était nécessaire et le produit est entré dans le marché.

Comment qualifieriez-vous les relations entre le GMES et le SCA (et en particulier la PFC Sud) ?

Nos relations avec le SCA et la PFC Sud sont excellentes, exigeantes et professionnelles. Il y a une vraie connaissance des métiers, du fonctionnement et une très grande rigueur est attendue, ce qui est légitime. Cela nous permet également d’être exigeants vis-à-vis de nos fournisseurs, des fabricants avec qui nous travaillons et de la communication faite auprès de nos cocontractants. C’est une relation constructive qui nous permet de nous former et de nous améliorer.

 

Vous avez intégré la clause du militaire blessé à votre fonctionnement, pourquoi ?

L’acte d’achat a du sens, il a un rôle sociétal, et cela nous mène notamment à la clause sociale du militaire blessé. Au début, on voulait le moins cher puis, rapidement, on s’est rendu compte qu’il fallait du mieux-disant c’est-à-dire qu’il fallait non seulement acheter moins cher mais aussi que l’ensemble du coût complet de l’achat soit pris en compte (toute la partie délivrance de la marchandise : gestion de la commande, du budget, de la livraison par site directement auprès des utilisateurs, par service, au bon endroit au bon moment…). Désormais, nous arrivons à une troisième étape : il faut être à bas coût, à coût complet et faire un achat responsable. Grâce à la Mission Achats et au Commissariat des armées, nous sommes signataires de la charte « Relations Fournisseurs Responsables » et nous allons vers le label « Relations Fournisseurs et Achats Responsables ». Avec nos cotraitants, nous nous engageons, au-delà de la prestation, à accompagner le ministère vers son besoin social qui est la reconversion des militaires blessés. À travers le marché qui nous lie, nous mettons en place toute une série de stages qui se déclinent dans les différents métiers que nous proposons. 37 propositions de stages issues de tous les cotraitants ont été mises au point et adressées à la Mission Achats afin de pouvoir aider à la réinsertion de ces militaires meurtris dans le cadre de leur engagement à servir la Nation.

Je crois qu’aujourd’hui les entreprises ont un rôle extrêmement important. Nous avons longtemps parlé du lien Armées-Nation, il se traduit bien à travers le GMES Défense Bureau et les liens que peuvent avoir nos PME avec les armées. Comment pourrait-on imaginer qu’on ne réponde pas à l’appel des armées sur le point de la clause du militaire blessé ? C’est un rôle citoyen et nous sommes au soutien, là aussi, de Défense Mobilité et de l’ensemble des militaires qui ont souffert dans leur chair d’avoir défendu la Patrie. C’est notre contribution à l’effort de la Nation.

 

En quoi l’implication de l’État auprès des PME est-elle bénéfique ?

[RAPPEL] Le « Pacte Défense PME » a été initié par Jean-Yves LE DRIAN et poursuivi par Madame la ministre Florence PARLY à travers le « Plan Action PME ».

Le marché que nous avons avec le ministère des Armées a un effet levier sur notre activité. Quand l’État s’implique auprès des PME, il soutient leur croissance. C’est extrêmement important car les PME maillent le territoire et permettent que l’ensemble du territoire national soit irrigué par l’économie. On a besoin de cela, d’abord pour la création d’emplois qui fait tant défaut... Ce sont bien les PME qui sont à l’initiative en grande partie de la création d’emplois dans notre pays. Les PME membres de notre GMES n’échappent pas à la règle puisque, dans les quatre ans écoulés, une centaine d’emplois a été créée par notre groupement. La croissance des effectifs est régulière. À cette croissance des effectifs s’ajoutent les clauses sociales, bien entendu au niveau du ministère mais aussi auprès de l’ensemble de la société. Les PME ont la capacité de pouvoir accueillir les publics en difficulté, de favoriser l’insertion des jeunes, d’aider à la connaissance des métiers et à l’ouverture vers le monde professionnel. L’État, et particulièrement le ministère des Armées, est un formidable soutien pour aider les entreprises à exister, à se développer et à croître.

 

Comment avez-vous eu l’idée de postuler au marché mis en place par le SCA ?

Nous avions un marché sur la base de défense de Toulon, qui ne devait pas être reconduit, la politique de la Mission Achats » visant la centralisation des achats. Il n’y avait donc plus de place pour des PME locales. Dans un premier temps, nous avons donc essayé de comprendre les besoins spécifiques de ces clients particuliers. Puis, nous avons pris part à une réunion avec toutes les parties prenantes pour montrer ce que les PME pouvaient apporter aux armées. Comme il n’était pas possible d’allotir régionalement, j’ai accepté de relever le défi du regroupement, d’autant que nous faisions déjà partie d’une coopérative. Nous avons donc sélectionné les entreprises de cette coopérative qui avaient les moyens d’apporter le service attendu par les armées. Au départ, nous étions 18 PME pour assurer le service partout (localement). Dans un second temps, les entreprises retenues devaient accepter les conditions de prix imposées ainsi que les conditions de service sur lesquelles nous nous étions engagés à partir d’un cahier des charges très strict. Nous sommes allés sur place pour les rencontrer et s’assurer qu’ils avaient bien tous les moyens pour assurer le service. Puis, on a fait des réunions de travail régulières avec eux pour pouvoir formuler l’offre la plus pertinente possible. C’est ainsi qu’est né le GMES Défense Bureau en 2016-2017.

 

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées dans vos démarches ?

Nous avons élaboré un catalogue commun et développé nous-mêmes une plateforme de commande en ligne spécifique, adaptée aux besoins des forces. Il a aussi fallu apprendre à l’ensemble des cotraitants à utiliser la carte achat, la plupart d’entre eux n’ayant pas cette expérience. Nous, nous avions été pilotes avec le Sermacom, avant même le SCA, du développement de cette carte. La dernière étape, c’était la centralisation des paiements : cela a été un point compliqué à mettre en place, mais une fois que cela a été fait, cela a parfaitement fonctionné durant les quatre années. Tout le monde a parfaitement joué le jeu et fait confiance à Charlemagne et à son expérience pour les accompagner. Aujourd’hui, la satisfaction est présente sur tout le territoire, et pas seulement dans ma région.

 

Que diriez-vous à des patrons de PME qui hésitent à se rapprocher de grandes institutions telles que le ministère des Armées ?

N’ayez pas d’a priori, osez et rencontrez-les ! C’est ainsi que vous allez les comprendre et identifier leurs besoins. Vous allez vous rendre compte que vous avez la possibilité de leur apporter ce que d’autres ne peuvent pas. D’autant plus que je pense que la vision des donneurs d’ordres sur les PME a changé. La PME est synonyme d’innovation, de réactivité, d’adaptation... Et, ce qui est le plus important dans le monde dans lequel nous vivons, c’est l’adaptabilité. En tant que PME, nous devons apporter ça. C’est difficile pour un ministère aussi important que le ministère des Armées de s’adapter. Et pourtant, c’est épatant de voir l’adaptation, l’évolution constante des armées. Nous accompagnons cela, nous le soutenons car nous devons aussi transformer nos entreprises régulièrement. Il faut y aller parce qu’aujourd’hui les donneurs d’ordres sont à l’écoute, en particulier au ministère des Armées, car ils ont depuis longtemps mis en place ce lien avec les PME et ont cette volonté de les intégrer dans leurs marchés.

Bien entendu, il n’est pas question de s’opposer aux grands groupes. Nous avons besoin d’eux dans l’équilibre et de nombreuses PME ont vocation à devenir des ETI puis des grands groupes. C’est une évolution naturelle

Bien entendu, il n’est pas question de s’opposer aux grands groupes. Nous avons besoin d’eux dans l’équilibre et de nombreuses PME ont vocation à devenir des ETI puis des grands groupes. C’est une évolution naturelle.

« Je suis très attaché au modèle PME. On y a le sens de l’équipage. Et on ressent dans les armées ce même esprit de corps. Je dirai même que c’est un esprit de famille. C’est étonnant, dans cet immense ministère, le sens de l’intérêt général. C’est fort et ça nous nourrit. Les PME sont d’abord des groupes humains. Nous sommes des hommes et des femmes qui faisons l’entreprise et qui faisons vivre ce collectif. C’est un collectif qui se doit par nature d’être solidaire. »

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[1] GMES : groupement momentané des entreprises solidaires

Le GMES défense bureau collabore avec toutes les formations du ministère. Il contractualise avec le SCA mais sa contribution est au profit de l’ensemble des forces armées (AAE, AdT, MN, DGA, SSA, DSIA, etc.). Le marché prévoit également la possibilité d’intégrer d’autres établissements relevant du ministère (CNMSS, EdA, musées et écoles des armées, etc.).

 

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