Dans le sillage de...Thierry Gausseron

Comment combiner les mathématiques, la physique, l’ingénierie, la navigation, les beaux-arts et les lettres ? En faisant le grand écart entre une carrière d’officier de Marine et celle d’énarque au service des plus beaux musées de France. Après Orsay et le château de Versailles, Thierry Gausseron, promotion 1989 de l’École navale, a été nommé à la tête du musée national de la Marine le 1er janvier 2024.

Thierry Gausseron © A. Le Dauphin / MN

Thierry Gausseron

Un retour aux sources pour cet ancien lieutenant de vaisseau qui n’a jamais cessé de dessiner à ses heures perdues ou quand ses réunions s’éternisent. 

Conversation à bâtons rompus avec un faux dilettante qui fourmille de projets XXL pour l’écrin rénové de la place du Trocadéro, autour de trois grands axes : une politique muséale ambitieuse, un lieu d’exercice du pouvoir et le renforcement du lien armées-nation.

Comment passe-t-on d’officier de marine à administrateur du musée d’Orsay, du château de Versailles et enfin directeur du musée national de la Marine ?

THIERRY GAUSSERON : On réécrit toujours l’histoire comme elle s’est faite… Ma maîtrise de philosophie à Nanterre en 1995 portait sur le destin, alors j’oserais croire qu’il y là une forme de prédestination ! Ayant commencé comme officier de Marine et ayant travaillé aussi dans des musées, il était presque naturel qu’on me propose d’être à la tête du musée national de la Marine. Je retrouve ainsi mes anciens camarades de promotion, dont le chef d’état-major de la Marine, Nicolas Vaujour. Quand j’étais en classe préparatoire, je voulais une vie qui ne soit pas ordinaire, et l’École navale m’ouvrait des perspectives très larges : travailler dans les commandos marine, les sous-marins ou devenir pilote. Je nourrissais une grande curiosité pour toutes sortes de choses tout en dessinant en parallèle.

Comment avez-vous attrapé la fibre artistique ?

T. G. : Mon père, qui était officier, était aussi aquarelliste. Mon grand-père Jacques Gausseron était poète, et j’ai d’ailleurs découvert en arrivant au musée, une anthologie de Charles Le Goffic sur Les poètes de la mer 1 et l’un de ses poèmes, Le Désir de la mer, en fait partie. Dans la tradition de Jose Maria de Heredia, Leconte de Lisle, le mouvement des Parnassiens, Baudelaire en moins subversif !

À votre arrivée au musée de la Marine, le ministre des Armées vous confie une mission, laquelle ?

T. G. : Dans ses attendus, Sébastien Lecornu évoquait principalement le lien armées-nation. 

Il connaît bien les musées, étant lui-même président du musée des impressionnismes à Giverny. Au-delà du fait que c’est un musée maritime et militaire, on doit montrer et expliquer grâce à l’histoire et à la beauté, des objets qui ont des usages parfois très agressifs (telle la dissuasion nucléaire). Notre rôle est de tout sublimer. De mon côté, j’avais en tête de faire du musée un lieu d’exercice du pouvoir. Nous avons par exemple reçu le 11 mars dernier, 32 chefs d’état-major des armées partenaires de la France, lors du Paris Defence and Strategy Forum, en présence du président de la République.

Historiquement, d’où vient le musée de la Marine ?

T. G. : La création d’un musée de la Marine a été officialisée par Charles X, même si le Louvre possédait déjà des salles navales avant son décret. Nos collections d’œuvres d’art remontent à 1750 et le musée a vécu au Louvre jusqu’en 1937. À cette date, les collections déménagent, et en 1943, le musée ouvre ses portes avec les musées de Rochefort, de Brest, de Toulon, et à la citadelle de Port- Louis. Toutes nos réserves sont conservées dans une ancienne base aéronavale au Bourget.

D’un point de vue muséal, quelle est votre ambition d’acquisition ?

T. G. : Récemment, nous avons acquis une toile grand format de Jean-Baptiste Isabey ancienne propriété de l’Impératrice Eugénie, revenue ainsi dans les collections nationales. Désormais, ce tableau est inaliénable. Nous avons aussi trouvé sur eBay un télescope de Passemant, horloger de Louis XV. Pour cette acquisition, nous avons été aidés par l’association des Amis du Musée, présidée par l’amiral Gouraud. Les oeuvres du musée sont en perpétuel mouvement pour continuer à raconter l’histoire de France. Prenez Théodore Etienne Gudin, le premier peintre officiel de la Marine en 1830, dont on possède une immense toile au musée : le roi Louis-Philippe lui avait commandé 90 scènes de batailles navales pour le château de Versailles. On lui doit une magnifique et très précise bataille de la Chesapeake peinte en 1836 2. Gudin avait lu Bougainville, de Grasse, et les compte-rendu des pachas anglais (à ce propos, lisez Les Naufragés de Wager de David Grann, en poche.).

Je prise le concept cher à Eugène Viollet-le-Duc d’œuvre d’art total, qui rassemble toutes les disciplines. Nous avons des maquettes, des peintures, assez peu de mobilier, des objets d’art, et nous allons y adjoindre la littérature, la poésie et la musique. Dernièrement, l’orchestre de chambre de Paris est venu jouer une œuvre du compositeur Jean Cras (amiral et inventeur de la règle Cras que tous les navigateurs connaissent bien).

Quelles sont les prochaines grandes expositions ?

T. G. : À partir du 14 mai, nous exposerons les photographies de l’académicien des Beaux-Arts et peintre officiel de la Marine Jean Gaumy 3. Il est une figure majeure de la photographie contemporaine, membre de l’agence de presse photographique. En marge de nos expositions, nous organisons des conférences, des masterclass (entre autres sur le Vendée Globe, et avec la cavalière du cheval d’argent des Jeux Olympiques), une Nuit de la lecture, etc. Elles attirent un public très divers, qui d’ailleurs, n’est pas le même que celui qui visite le musée.

Nous étudions enfin la possibilité d’offrir à chaque nouveau marin, ils sont entre 4 et 5 000 tous les ans, une carte d’adhérent du musée. 

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