A Caen, les éclats de bombe remplacent les billes 1/3

Jean Claude Moulin avait 5 ans et demi en 1944 et vivait à Caen. Un âge bien jeune pour garder des souvenirs de cette période, et pourtant, ils sont toujours « bien ancrés dans [sa] tête ». M. Moulin a accepté de témoigner pour la Mission Libération, voici la première partie de son récit.

Jean Claude Moulin à l'âge de dix ans © Jean Claude Moulin

Mission Libération : Quels souvenirs vous viennent immédiatement à l’esprit lorsque vous pensez à la période de la guerre ? 

Mes premiers souvenirs, c’est une maison très animée avec beaucoup de monde autour de moi. Nous vivions dans un grand appartement à Caen rue Hamon, au troisième étage, qui donnait sur une cour au-dessus d’un atelier de ressemelage. C’était l’occupation allemande avec les privations, mais nous n’en souffrions pas trop. Ma mère était couturière et disposait d’une clientèle de la campagne qui nous dépannait bien. Mon père travaillait à la Société Normande d’Alimentation (SNA) en tant que chef de service, et nous étions bien nourris si vous voyez ce que je veux dire !

ML : Vous aviez des frères et sœurs ?

Quand mon frère, qui avait 10 ans en 1940, a fait sa rentrée des classes, les Allemands étaient là. Il a vu arriver dans sa classe le directeur de l’école accompagné de deux personnes en manteau de cuir et chapeau de feutre. Le directeur a demandé aux élèves de prendre leurs livres d’histoire, de les ouvrir à la page de la guerre franco-allemande de 1870, d’arracher toutes les pages suivantes et de les remettre aux deux messieurs en manteau de cuir. Pour ces militaires, l’histoire de France devait s’arrêter à la victoire de la Prusse en 1870. Quant aux cartes de géographies, elles devaient être également rectifiées, l’Alsace et la plus grande partie de la Lorraine étaient redevenues allemandes.

ML : Est-ce que vous avez assisté à des scènes marquantes ?

Un jour, la police allemande est venue arrêter une voisine de l’immeuble, Irène, professeure de danse. Motif : elle faisait de la résistance et bien sûr on ne le savait pas. Le soir après son travail, mon père est rentré dans la maison de la danseuse qui était une amie de la famille, en escaladant  les toits pour récupérer son chat qui était resté seul enfermé dans l’appartement. Le lendemain, ça a commencé à jaser dans le quartier, les gens disaient que le chat était un alibi et que mon père voulait détruire ou récupérer des documents compromettants.

Le même jour, à la nuit tombée on a frappé à la porte :

- Police allemande !

Angoissée, ma mère a ouvert et a reconnu une voisine venue faire une farce. Ma mère était furieuse et a éjecté la voisine. Alors qu’avec le couvre feu, les fenêtres devaient être recouvertes de couvertures pour empêcher les avions alliés de repérer Caen, ma mère a ouvert la fenêtre pour jeter des objets que la voisine nous avait prêtés. Je me rappelle des casseroles ou des poêles faisant un bruit d’enfer en arrivant au sol ainsi qu’un mannequin et différentes robes en cours d’ouvrage et les gars de la défense passive en train de siffler au milieu de la cour.

ML : Comment avez-vous vécu les bombardements des alliés ? 

Un jour, une alerte. Tout le monde est évacué vers les abris et mes parents descendent avec les gens du quartier se cacher. Ils pensaient que j’étais avec ma grand-mère, mais j’étais aux toilettes à ce moment et je me suis retrouvé seul enfermé dans la maison. L’abri fermé, mes parents étaient dans l’impossibilité de ressortir pour me récupérer. J’imagine leur angoisse. Moi à la fenêtre avec mon innocence, j’assistais au plus beau feu d’artifice de ma vie. Les avions passaient au-dessus de ma tête encadrés de grands nuages de fumée provenant des batteries anti-aériennes allemandes installées sur les terrasses des Galeries Lafayette proches de la maison.

ML : Quelle était l’ambiance à Caen les mois précédant le 6 juin ?

Le débarquement, c’est curieux, les habitants de Caen le sentaient venir dans notre région. Un point important, les enfants étaient scolarisés d’une manière curieuse. La classe était divisée en trois groupes : un venant le matin, un autre à la mi journée et le troisième en fin d’après midi. C’était une précaution pour qu’en cas de bombardement, une même classe d’âge ne se trouve pas au même endroit et ne soit pas décimée. Nous les enfants on était contents, on avait du temps libre. Notre passion à cette époque, c'était la collection d’éclats d’obus. Quand « ça chauffait », les éclats volaient de partout et il fallait voir mon frère et tous les autres enfants du quartier avec des gants en cuir pour ne pas se brûler, se précipiter comme une volée de moineaux, ramasser les éclats dès que la situation était redevenue calme. Des imprudents les ramassaient même en pleine bataille afin d’avoir les plus beaux. Je me rappelle même, avoir vu mon frère monter sur le toit pour en récupérer avec une épuisette.

 

« Quand « ça chauffait », les éclats volaient de partout et il fallait voir mon frère et tous les autres enfants du quartier avec des gants en cuir pour ne pas se brûler, se précipiter comme une volée de moineaux, ramasser les éclats [...] »

ML : Et le jour J ? 

Le jour du débarquement, la ville a été bombardée par les alliés. Les parents comme beaucoup de Caennais ont abandonné leur maison pour aller se réfugier dans l’église Saint-Étienne, ensuite au château d’Étavaux et enfin à Barbery où ils m’ont retrouvé.

Mon père est revenu plusieurs fois à l’appartement qui semblait intact mais passant le seuil il a constaté qu’il était pillé petit à petit. Des ballots étaient même prêts, les voleurs n’ayant pas assez de bras pour tout emporter à la première visite. Alors, la mort dans l’âme, mais que faire ! il ramenait ce qui restait et ce qu’il pouvait.

Au retour de l’exode, quand la région a été libérée, nous sommes retournés à Caen pour constater que la seule maison détruite de la rue Hamon était la nôtre. Nous étions classés  « sinistrés total ». Mon père a pu seulement récupérer sur un tas de gravas quelques fers à repasser qui avaient résisté aux bombardements.

 

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