Chirurgien à bord du Charles de Gaulle, une autre façon de servir

Direction : Santé / Publié le : 12 mars 2025

Rencontre avec le médecin principal Nicolas, chirurgien orthopédiste de l’hôpital national d’instruction des armées Percy, qui embarque pour la première fois à bord du porte-avions Charles de Gaule pendant deux mois, dans le cadre de la mission Clémenceau 25.

Propos recueillis par Emmanuelle Ndoudi

Médecin principal Nicolas, chirurgien orthopédiste à l’hôpital des armées Percy (Clamart)

Dans le cadre de la mission Clémenceau 25, le porte-avions Charles de Gaulle navigue depuis plus de trois mois dans les eaux de la Mer Rouge, des Océans Indien et Pacifique. Sa prochaine escale : Singapour début mars 2025.

À son bord, le médecin principal (MP) Nicolas, chirurgien orthopédiste de l’hôpital national d’instruction des armées Percy (Clamart), vient renforcer l’équipe médicale déjà embarquée. Pendant deux mois, il travaillera avec deux chirurgiens, dont un spécialiste en maxillo-facial et un urologue. Ils assureront le soutien médical de quelques 3 000 marins.

Pour le médecin principal Nicolas, c’est son premier déploiement à l’autre bout du monde. Interview avant son embarquement.

Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser en chirurgie orthopédique ?

Médecin principal Nicolas : La chirurgie orthopédique est une vocation familiale. Mon grand-père et mon oncle étaient, eux-mêmes, chirurgiens orthopédistes. Poussés par ces modèles, j’ai décidé à mon tour de me spécialiser dans ce domaine. L’engagement militaire, choisi à l’âge de 18 ans, est venu parfaire ma vocation initiale car je nourrissais un fort attrait pour la chirurgie des séquelles, du handicap et la traumatologie complexe. D’autre part, il me paraissait important de servir la Nation, à travers mon domaine d’expertise. Le médecin militaire reste avant tout, un médecin et occupe au quotidien un métier technique et engageant.

J’estime, toutefois, que la richesse du médecin militaire de carrière réside dans la connaissance et l’adaptabilité aux environnements divers auxquels il risque d’être confronté. Cette connaissance lui donne ensuite la possibilité de mieux réfléchir au bien-fondé du déploiement d’une équipe chirurgicale, aux moyens et au matériel à déployer. Tous ces aspects continuent d’animer mon engagement envers le Service de santé des armées.

Première mission sur un bâtiment de la Marine nationale : comment vous y préparez-vous ?

Partir à bord du porte-avions Charles de Gaulle est une grande joie. Je pratique, en effet, régulièrement la voile et l’environnement maritime reste un véritable terrain de jeu et d’apprentissage pour moi, malgré les incertitudes climatiques. Même si la houle, les vents et les vagues peuvent perturber la vie à bord d’un petit voilier, ces éléments naturels ont moins d’impact sur les gros bâtiments. À quelques semaines du grand départ, j’ai donc peu d’appréhension concernant l’environnement de travail et les éventuelles perturbations climatiques qui pourraient gêner notre pratique.

En outre, j’ai suivi en 2016-2017 une formation complète : le cours avancé de chirurgie en mission extérieure (CAChirMEx). Composé de six modules enseignés pendant trois jours chacun, le CAChirMEx est un cycle de cours dispensé par l’École du Val-de-Grâce, nécessaire pour tous les chirurgiens militaires projetés. Y sont enseignés les gestes élémentaires de chaque spécialité chirurgicale, comme les opérations de la tête, du cou ou de l’abdomen. J’y ai appris par exemple la réalisation d’une craniectomie d’urgence. L’équipe médicale à laquelle je serai intégré ne disposera, en effet, d’aucun neurochirurgien. Les membres de l’équipe chirurgicale doivent être en mesure d’assumer la première urgence, toutes spécialités confondues.

Cette formation robuste nous donne aussi la possibilité d’assurer les gestes chirurgicaux nécessaires, en milieu dégradé ou en situation isolée. Je suis, moi-même, devenu enseignant du CAChirMEx dans mon domaine de spécialité. Je pars toujours en mission avec les cours et les vidéos de la formation qui sont enregistrés dans un disque dur. Le support CAChirMEx est une garantie en mission, où la sensation d’isolement peut être plus imposante et la prise de décision parfois plus solitaire. En France, les soignants peuvent toujours contacter un ami ou un collègue pour trouver conseil, face à un obstacle. À bord du Charles de Gaulle, nous ne bénéficions pas toujours de moyens de communications suffisants pour joindre un contact ou transférer des images.

Enfin, cette première mission sera l’occasion de découvrir les spécificités propres à la Marine nationale.

« J’estime, toutefois, que la richesse du médecin militaire de carrière réside dans la connaissance et l’adaptabilité aux environnements divers auxquels il risque d’être confronté. Tous ces aspects continuent d’animer mon engagement envers le SSA. »

Quel a été l’enjeu le plus important à gérer avant votre départ ?

La préparation logistique de cette mission, qui peut parfois être un challenge lors d’un déclenchement dans un bref délai, a été très bien menée. La qualité de l’organisation en amont m’a donc donné la possibilité de me consacrer à la gestion de l’environnement familial. En tant que père de famille, quitter son foyer pour une période moyenne ou longue représente un défi d’organisation prévisionnelle, notamment pour le parent restant.

Mon épouse est également médecin militaire, praticienne à temps plein, sans aménagements. Cette situation nous a conduit à prendre le temps de réorganiser, de façon optimale, notre environnement familial. Assurément, la gestion de la cellule privée constitue un enjeu décisif et laborieux lors d’un départ en mission, quelle qu’elle soit. Nous avons dû mobiliser des soutiens, bien souvent familiaux, pour assurer la pérennité du fonctionnement de la cellule familiale.

Pendant la mission, nous aurons un accès à des lignes téléphoniques pour contacter la famille, ce qui n’était pas toujours le cas. Cet accès optimisé simplifiera les liaisons avec les proches et notamment les enfants.

En tant que chirurgien orthopédiste, quel sera votre rôle à bord du porte-avions ?

Notre présence constitue avant tout une assurance-vie pour le personnel à bord. Je suis mobilisé pour répondre à un événement non-anticipé et assurer les soins nécessaires, en cas de besoin.

Avec trois chirurgiens, le dispositif médical à bord du Charles de Gaulle est conséquent. En tant que seul chirurgien orthopédiste, je serais probablement amené à varier mon domaine de compétences habituelles, en gérant notamment la traumatologie du quotidien. Je serai notamment souvent mis à contribution pour des plaies de mains qui peuvent être gérées sur place. Face à des cas exceptionnels – mais déjà survenus – comme un accident grave du travail, l’équipe médicale devra gérer de la traumatologie lourde en réalisant des gestes simples et standardisés, avant d’organiser le rapatriement rapide du patient vers une structure médicale.

Je pourrais aussi gérer des pathologies qui sortent de mon domaine de spécialités. En cas de traumatisme vasculaire des membres par exemple, une collaboration optimale entre différents spécialistes serait indispensable pour réparer le membre blessé, dans la mesure où je ne suis pas spécialisé en chirurgie vasculaire.

« Notre présence constitue avant tout une assurance-vie pour le personnel à bord. Je suis mobilisé pour répondre à un événement non-anticipé et assurer les soins nécessaires, en cas de besoin. »

Vous comptez déjà 5 opérations extérieures à votre actif. Quels souvenirs retenez-vous de vos précédentes missions ?

Sur mes six années d’exercice en tant que médecin militaire à l’hôpital de Percy, j’ai passé près de 12 mois en opérations extérieures, pour l’instant exclusivement en Afrique. Au départ, je redoutais beaucoup les déploiements au Mali où j’étais souvent sous tente, dans des conditions rustiques et avec des moyens très limités. L’équipe médicale se trouvait à plus de deux heures en hélicoptère de la base de Gao, où se situait notre rôle 2 en dur, composé notamment d’un scanner et d’une capacité de rapatriement vers la France. Nous pouvions donc rapidement être en situation d’afflux saturant ou dans l’impossibilité d’évacuer les patients.

La plupart du temps, dans le cadre de l’opération Barkhane, nous réservions nos moyens à la traumatologie de guerre au profit des militaires français et des forces partenaires, notamment les forces armées maliennes. Au Tchad, ou le rôle 2 était présent depuis plus de 20 ans et construit en dur avec des moyens logistiques importants, je pouvais assurer une activité quotidienne soutenue d’une aide médicale à la population, en plus du soutien apporté aux forces militaires tchadiennes. Cette activité était très enrichissante tant humainement que professionnellement car elle m’a confronté à une culture et à des pathologies nouvelles, dans une zone de grande précarité.

Qu’espérez-vous retirer de cette expérience inédite, dans votre carrière ?

Sur le plan professionnel, cette expérience sera l’occasion de vivre ma vocation de chirurgien militaire dans sa globalité. Comme souligné auparavant, le médecin militaire a pour spécificité de devoir conserver sa capacité à réaliser un grand nombre de gestes pour évoluer dans un milieu isolé, à s’adapter à son environnement et aux us et coutumes du milieu.

Cette mission sera également stimulante sur le plan humain. À bord du fleuron de la Marine française, je rencontrerai des personnes aux métiers passionnants, je pourrai ainsi explorer de nombreux sujets concernant les avions, le fonctionnement des réacteurs nucléaires ou la marine. Cette opération m’aidera ainsi à approfondir ma culture générale et ma vision sur des sujets que j’approche peu, au quotidien. Il s’agit là d’une des richesses de notre métier, qui consiste à savoir sortir de ses repères et s’ouvrir à autrui ou à l’inconnu.


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