« L’extraordinaire expérience » d’une infirmière militaire à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins

Direction : Santé / Publié le : 15 mai 2025

Pour la première fois, une infirmière militaire a récemment embarqué à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE). Rencontre avec l’infirmière en soins généraux de grade 2 (ISG2G) Christelle, qui dévoile les réalités de ce métier singulier, entre soins infirmiers d’exception, isolement et vie en équipage.

Rédaction : CSS/FSM

Témoignage d’une infirmière militaire à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins

Après près de 20 ans passés au service de réanimation de l’hôpital d’instruction des armées Clermont-Tonnerre, à Brest, l’infirmière en soins généraux de grade 2 (ISG2G) Christelle a rejoint les forces sous-marines. La soignante militaire a également brisé les frontières en devenant la première infirmière à embarquer à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE).

Du monde civil au militaire, comment êtes-vous devenue infirmière pour les forces armées ?

Originaire de Brest et mère de trois enfants, j’étais bien loin d’imaginer me retrouver un jour infirmière à bord d’un sous-marin au regard de mes racines familiales éloignées du milieu militaire ! J’ai effectué mes études d’infirmière dans le civil. C’’est à l’occasion d’un stage, durant ma formation, à l’hôpital d’instruction des armées (HIA) Clermont-Tonnerre que j’ai découvert le Service de santé des armées (SSA). Cette rencontre avec l’institution militaire a été une véritable révélation. En effet, la richesse des parcours professionnels et la diversité des expériences proposées par les armées étaient, pour moi, une profonde source de motivation et d’attrait.

Dès l’obtention de mon diplôme d’État en 2005, j’ai rejoint l’HIA Clermont-Tonnerre. J’ai exercé durant 19 ans au sein du service de réanimation. Animée par un intérêt pour les missions, j’ai participé à de nombreux déploiements en Afghanistan, en Guinée et en Guyane. J’ai également mis à profit ces années à l’hôpital pour acquérir de nouvelles compétences, par le biais notamment de deux diplômes universitaires, dans les domaines de l’hygiène hospitalière et de la cicatrisation des plaies et des brûlures.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous orienter vers les forces sous-marines de la Marine nationale ?

Au sein du service de réanimation, j’étais amenée à accueillir régulièrement des infirmiers sous-mariniers dans le cadre de leur maintien de compétences. Les riches échanges que j’ai eus avec eux ont fait naître une vraie fascination pour cet univers. Le caractère exceptionnel de la mission, la particularité de l’isolement, la pluridisciplinarité du poste d’infirmier et la richesse du travail en équipe sont autant d’éléments qui m’ont donné envie d’impulser une nouvelle orientation à ma carrière. Toutefois, il s’agissait, jusqu’en 2018, d’un milieu exclusivement réservé aux hommes. Ainsi, la création d’équipages mixtes m’a amené à saisir cette opportunité et j’ai donc suivi un stage qui m’a conforté dans mon choix de rejoindre les forces sous-marines. Cette nouvelle orientation professionnelle répondait aussi à un choix personnel de quitter la réanimation, avec l’envie de découvrir un nouvel environnement.

« Le caractère exceptionnel de la mission, la particularité de l’isolement, la pluridisciplinarité du poste d’infirmier et la richesse du travail en équipe sont autant d’éléments qui m’ont donné envie d’impulser une nouvelle orientation à ma carrière. »

Quel poste occupez-vous sous l’eau ?

Je suis l’infirmière DOSIPERS du bord. Cet acronyme vient historiquement du fait que cet infirmier s’occupe de la dosimétrie passive individuelle (ndlr, il s’agit d’une méthode pour mesurer l’exposition aux rayonnements ionisants, comme les rayons X par exemple). Mais en réalité, ce n’est qu’une infime partie de mes fonctions ! Je travaille au sein d’une équipe composée d’un médecin et d’un infirmier anesthésiste. Mon quotidien consiste à participer au suivi médical des marins, ainsi qu’aux soins d’urgence et courants. De plus, j’assiste le médecin lors des interventions chirurgicales, j’effectue les radiographies et réalise les différentes analyses à la mer (air et eau de consommation humaine). Il s’agit d’un métier qui nécessite une grande polyvalence et un haut niveau d’exigence au regard de l’environnement que constitue un sous-marin nucléaire. À ce travail technique s’ajoute également une dimension humaine, par le biais du soutien psychologique qu’un soignant peut apporter aux marins.

Lorsque vous n’êtes pas en mer, quelles sont vos principales missions au quotidien ?

L’embarquement sur sous-marin se déroule par cycles, rythmés par plusieurs phases : l’entrainement, l’entretien du sous-marin, la patrouille, le soutien et des périodes de permissions. En fonction de la phase du cycle, je suis amenée à assurer la préparation de l’équipage via des visites médicales ou la préparation des dossiers médicaux, à maintenir mes compétences paramédicales par le biais de stages hospitaliers (radiologie, bloc opératoire, urgences) et à préparer l’infirmerie en prévision du départ en mer (vérification du matériel, de la pharmacie…).

ISG2G Christelle : entre soins infirmiers d’exception, isolement et vie en équipage

Quelle est l’expérience qui vous a le plus marquée durant votre premier embarquement ?

L’isolement est une particularité à laquelle j’étais préparée, de par mes expériences opérationnelles antérieures, où les communications par internet étaient souvent inaccessibles et le courrier parfois incertain.

Lors de cette première patrouille, j’ai découvert avec beaucoup de plaisir le concept des « familigrammes » : des messages de quarante mots que chaque membre d’équipage reçoit de sa famille, toutes les semaines. Ce qui m’a également marquée, c’est le rituel par lequel ces « familis » étaient distribués à bord. En effet, cette mission était dévolue à un marin qui prenait très à cœur cette fonction et avec beaucoup d’humour : équipé d’une casquette et d’une veste de postier, il menait avec joie sa tournée ! L’émulation générée par cette distribution était marquée par deux temps distincts. D’abord, je prenais le soin de m’isoler et de lire tranquillement ces quelques lignes. Ensuite, je partageais les nouvelles avec les collègues. Pour la petite anecdote, en partageant nos « familis », nous pouvions avoir un aperçu de la météo en France !

« Il est difficile pour moi de résumer cette expérience professionnelle extraordinaire en un seul mot, mais s’il fallait en choisir un, ce serait : « atypique » ! Pour toutes les raisons que j’ai évoquées précédemment… »

Quels sont les atouts et difficultés de l’environnement sous-marin ?

Je dirais que l’isolement résume à lui seul les atouts et les difficultés de ce milieu. En effet, l’environnement dans lequel nous évoluons nous permet d’être pleinement dédiés aux marins et à la réussite de la mission. Toutefois, l’isolement complexifie aussi grandement la prise de décision, en particulier lorsque nous sommes confrontés à une situation médicale délicate ou pouvant le devenir.

Notre équipe médicale constitue certes un trinôme, mais nous restons seuls face à nos doutes et nos questions, sans possibilité de bénéficier d’un appui extérieur. Cette situation renforce l’importance de notre formation en amont et du lien de confiance qui doit unir notre équipe.


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