Toulon : mission Entex 50 sous haute surveillance médicale à 200 mètres de profondeur
Interview de Lucile, médecin principal spécialiste en médecine hyperbare et de plongée, qui a participé à l’opération Entex 50 à Toulon avec la Marine nationale, du 18 au 28 mars 2025. Avec trois plongeurs, un nageur de combat et deux démineurs, l’équipe a réalisé une expérimentation scientifique dans un caisson hyperbare à 200 mètres de profondeur, testant de nouvelles procédures de plongée autonome en saturation. Une avancée vers de nouvelles capacités opérationnelles sous-marines.
Depuis combien de temps êtes-vous spécialiste en médecine de plongée ?
Médecin principale Lucile – J’ai travaillé pendant trois ans comme médecin généraliste auprès des forces. Mais l’appel de l’eau et ma passion pour la plongée ont été plus forts. Après trois années d’activité, j’ai décidé de préparer le concours de l’assistanat de médecine hyperbare et la plongée et de devenir en parallèle, plongeur de bord au sein de la Marine nationale. Cette spécialité a pour objectif de créer les experts en médecine de la plongée de demain. Je suis désormais à la fin d’un long cursus, qui dure six ans.
Vous avez choisi une spécialité médicale assez peu connue. Expliquez-nous le concept de médecine hyperbare.
Le concept de la médecine hyperbare est de faire respirer un gaz thérapeutique à une plus forte pression qu’en air ambiant pour permettre une meilleure diffusion dans l’organisme. En pratique, cela consiste à faire respirer à un patient de l’oxygène pur, à l’équivalence de 15 m de profondeur, pendant une heure. C’est une pratique à visée thérapeutique qui aide à la cicatrisation des plaies ou à soigner diverses pathologies. Le Service Hyperbare et d’Expertise plongée de l’hôpital national d’instruction des armées Sainte-Anne (Toulon) est le premier caisson hyperbare de France.
Peu de personnes le savent mais la pression est un très bon outil pour faciliter la diffusion de l’oxygène dans les tissus. Nous traitons les accidents de désaturation en plongée ou les intoxications au monoxyde de carbone.
Forte de votre expérience, vous avez intégré l’équipe lors de l’expérimentation ENTEX 50. Comment vous êtes-vous préparée à cette mission ?
L’entraînement s’est réalisé en deux phases. D’abord, un temps de réunion et d’échanges avec l’état-major du CEPHISMER (Centre Expert Plongée Humaine et Intervention Sous la MER), son médecin major ainsi que différents experts civils et militaire dans le domaine de la plongée à saturation, afin d’adapter au mieux leurs besoins aux contraintes physiologiques. Le retour expérience de la mission ENTEX 49 et l’infirmière militaire qui y a participé nous ont aidés à affiner les procédures de compression (la mise en pression) et les procédures de décompression (le retour à la surface).
La pratique a rapidement suivi la théorie. L’ensemble de l’équipe a été mobilisée pour trois semaines d’entraînement quotidien dans le caisson, sous pression, pour s’adapter à l’environnement confiné et restreint et gérer tous les obstacles. L’équipe de soutien participait également aux exercices et s’assurait, de l’extérieur, du bon déroulé de la mission.
Pourquoi cette plongée était-elle spéciale ?
En tout, nous avons mis environ 4h30 pour atteindre l’objectif des 200 mètres de profondeur, La Marine nationale a réalisé une prouesse technologique en intégrant à cette plongée à saturation, des plongées humides en recycleur autonome. Cette combinaison, plongée à saturation et plongée d’incursion en recycleur, n’avait jamais été réalisé à de telles profondeurs. Ce qui rend cette mission unique.
Arrivé à notre objectif, nous avons passé plus de deux jours à cette profondeur. Durant le séjour fond, les trois plongeurs ont réalisé les plongées d’incursion, sans être raccroché à la tourelle. Cet objet permet au plongeur d’être connecté à la base de pression. Dans les plongées à saturation classiques, les plongeurs portent des scaphandres équipés des recycleurs qui les raccrochent à l’habitat pressurisé. Là, la Marine nationale a équipé les plongeurs de recycleurs autonomes pour plus de discrétion. C’est une véritable innovation ! Leurs travaux finis, nous avons mis une semaine et 12 heures à remonter à la surface.
Lors de la mission ENTEX 50, vous étiez chargée de réaliser la « surveillance rapprochée du plongeur ». En quoi cela consiste-t-il ?
La surveillance rapprochée consiste à réaliser des examens poussés, notamment au niveau ORL, ophtalmologique et neurologiques sur les plongeurs, avant, pendant et après la mise en pression, pour vérifier l’impact de cette plongée sur l’organisme.
Munie d’un électroencéphalogramme prêté par l’équipe résidente de recherche subaquatique opérationnelle de Toulon, je mesurais quotidiennement les ondes neurologiques pour détecter un éventuel syndrome nerveux des hautes pressions (SNHP). C’est un état neurologique qui apparait lors de plongées à très grandes profondeurs, entraînant un trouble de la vigilance, des tremblements fins et des troubles du sommeil.
Je surveillais également, avec attention, la température des plongeurs pour éviter qu’ils ne dépassent la limite basse, fixée à 35,5° Celsius. Fort heureusement, personne ne l’a jamais atteinte. Mais le risque était présent : la cuve de plongée était à 8° Celsius et le gaz respiré, appelé héliox – mélange d’hélium et d’oxygène – est un gaz très froid !
Dix jours dans un caisson sous pression… que ressent-on à 200 mètres de profondeur ?
J’ai été très marqué par la sensation de coton qui affectait nos mouvements. Nous étions obligés d’adapter la vitesse de nos gestes au contexte : si on bougeait vite, nos articulations craquaient. Les trois plongeurs ont, eux, davantage été frappés par le froid qui les saisissait lors de leurs plongées dans la cuve.
Je me souviens également de la modification de la voix qui devient plus stridente ou nasillarde, à cause de l’héliox. Ce changement pouvait gêner la compréhension entre nous mais ajoutait surtout une bonne ambiance.
L’entraînement de trois semaines nous a vraiment permis de nous adapter totalement à cet espace exigu. Pendant ENTEX 50, lors de la mise à pression, personne n’a été saisi par les effets de la pression ou par une sensation de claustrophobie. Nous étions vraiment dans notre bulle et très concentrés sur les objectifs de la mission. Le retour à la surface et la réadaptation à la vie sur terre, avec son lot de bruit, de charges et de lumière a finalement été le moment le plus compliqué.
Comment s’est opérée la collaboration avec les autres membres de l’équipe ?
Loin d’être un obstacle, la présence d’un médecin du Service de santé des armées a été accueillie avec joie dans cette mission. J’ai été sollicité pour conseiller, rassurer et réorienter lors de situations complexes. Nous étions tous unis par une passion pour la plongée et tendions vers le même objectif. La bonne entente entre tous a d’ailleurs été une clé majeure dans la réussite complète de cette mission.
Quel élément retenir de cette mission hors-norme ?
Le succès de cette mission, sur tous les plans. Nous nous réjouissons, d’une part, d’avoir réussi à atteindre l’objectif fixé des 200 mètres. Mais notre enthousiasme ne s’arrête pas là. D’un point de vue physique, nous avons pu observer la grande capacité d’adaptation de notre organisme.
D’autre part, j’ai constaté le rôle majeur de la surveillance médicale rapprochée. À cette profondeur, aucun soutien médical ne peut parvenir avant quelques heures. En cas d’urgence vitale, il faut vraiment être au plus proche. L’intégration de la partie santé dans cet exercice est donc capitale car la spécificité des médecins de plongée est de conseiller et d’accompagner les plongeurs des armées, notamment lors de missions d’essai.
Former des médecins spécialistes en médecine de plongée donne la capacité aux armées de disposer d’une expertise médicale pour accompagner au mieux tout militaire aspirant à travailler dans la plongée.
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