Poches de l’Atlantique : « Ces photos inédites apportent un autre regard sur cette histoire méconnue »

Direction : SGA / Publié le : 16 mai 2025

Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, Royan, la pointe de Grave, Dunkerque. Tandis que les troupes alliées débarquées en Normandie progressent vers l’Est, ces ports restent occupés par les Allemands. Ancien directeur scientifique du musée du Mémorial de Caen, l’historien Stéphane Simonnet revient, dans un essai passionnant, sur cette période de la Seconde Guerre mondiale.

Les photos figurant dans cet ouvrage proviennent majoritairement des fonds de l’ECPAD au fort d'Ivry © Editions Allary

Les photos figurant dans cet ouvrage proviennent majoritairement des fonds de l’ECPAD au fort d'Ivry

En quoi « Forteresses allemandes dans la France libérée » apporte-il un éclairage nouveau sur les poches de l’Atlantique ?

Il porte non pas tant sur le récit que sur l’utilisation des photographies présentées ici comme de véritables reportages de terrain. Les photos du livre sont pour la plupart inédites. Elles ont toutes été produites entre 1941 et 1945 et proviennent majoritairement des fonds conservés par l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) au fort d’Ivry-sur-Seine. Le premier fonds est celui des photographes du service cinématographique des Armées, qui étaient présents sur ce front de l’Atlantique dans le sillage des forces combattantes françaises. La plus connue sans doute, Germaine Kanova, est une des rares femmes photographes à avoir « couvert » cette bataille. Ces clichés rendent compte de tous les aspects de l’histoire des poches de l’Atlantique : la vie quotidienne des soldats, la préparation des opérations militaires, les combats, les évacuations des populations civiles, les destructions, la libération des villes en ruines. Tout ce que ne montrent pas les photographies allemandes prises par les compagnies de propagande qui illustrent cet ouvrage. Des images révélant la construction des forteresses allemandes, la réalisation des grandes bases sous-marines, l’armée allemande au combat. Enfin, des fonds privés complètent la documentation iconographique. Ces photos, amateures pour la grande majorité, apportent un autre regard sur cette histoire méconnue. 

Quel est l’intérêt stratégique pour les Allemands d’occuper coûte que coûte ce « réduit atlantique » ?

Alors que la France est aux trois quarts libérée à la fin de l’été 1944 à la suite de la bataille de Normandie et du débarquement de Provence, les Allemands décident de tenir coûte que coûte les ports de la façade atlantique et de la mer du Nord, qu’ils n’ont cessé de fortifier depuis 1941, généralement à partir de leurs grandes bases sous-marines. Conformément aux différentes directives d’Hitler, en fortifiant à outrance ces points du Mur de l’Atlantique, le but est d’empêcher les Alliés d’y faire transiter la logistique nécessaire à la reconquête de l’Europe nazie. Pour y parvenir, l’ennemi s’est enfermé dans des grandes poches de résistance devant lesquelles quelques divisions alliées et des milliers de FFI – des forces françaises bien décidées à participer elles aussi à la libération du territoire – sont venues se positionner pour en faire le siège. Des combats sporadiques voient s’affronter les belligérants durant l’automne et l’hiver 1944, avant d’être suivis par une vaste campagne militaire déclenchée par les Alliés en avril 1945 à partir de Royan. Cet assaut doit être un prélude à des opérations analogues lancées sur la pointe de Grave, La Rochelle, Lorient, Saint-Nazaire, enfin Dunkerque. Des batailles oubliées, loin du front principal. Des villes finalement libérées en mai 1945, mais des villes rasées, à l’exception de La Rochelle, épargnée volontairement par les belligérants. 

Des milliers de civils se sont retrouvés coincés dans ces « poches », tenues par les troupes de la Wehrmacht et de la Kriegsmarine. Racontez-nous. Quel sort leur a été réservé ?

À l’intérieur de ces vastes zones de résistance allemandes, 210 000 civils pris au piège doivent patienter pour être libérés à leur tour à partir du déclenchement de la campagne de l’Atlantique le 14 avril 1945. Les populations qui n’ont pas pu fuir lors des combats d’août 1944 sont contraintes à une occupation prolongée. Semaines après semaines, leurs conditions de vie ne font que se dégrader. À la faveur d’évacuations organisées au cours de trêves négociées par les belligérants et sous la protection de la Croix-Rouge, les populations parviennent néanmoins à s’extraire des poches au fil des mois. Pour celles ayant décidé de rester ou n’ayant pas été évacuées à temps, la Libération n’intervient qu’au moment, voire au lendemain, de la capitulation allemande du 8 mai 1945, comme à Dunkerque, Lorient ou Saint Nazaire. Un supplément de guerre de huit mois sous les tirs croisés de l’artillerie allemande et les bombardements alliés comme à Royan, entièrement rasé lors du raid aérien du 5 janvier 1945. Avec, à la clé, un retour difficile à la réalité pour ces civils libérés tardivement et très souvent suspectés de s’être volontairement accommodés de cette occupation allemande prolongée. 

L'historien Stéphane Simonnet © Martine Marras

L'historien Stéphane Simonnet 

L'historien Stéphane Simonnet 

Quel rôle la Résistance a-t-elle eu dans la campagne de l’Atlantique ?

Pendant huit mois, 70 000 combattants français issus de la clandestinité, et principalement des maquis de l’ouest de la France, assiègent ces places fortes tenues par 90 000 Allemands. Sitôt les premières régions libérées au cours de l’été 1944, des éléments FFI et FTP se sont dirigés sans véritable coordination vers les zones allemandes. Eux aussi souhaitent prendre part à la libération du pays en s’intégrant progressivement à l’armée régulière. Mais les moyens dont ils disposent sont bien précaires, disparates, déficitaires et toujours rudimentaires. Le système D l’emporte souvent. Partout où les régions ont été libérées, les stocks américains ou ceux des anciens Chantiers de jeunesse de Vichy sont pillés par les maquisards à la recherche d’équipement et d’uniformes. Les pièces d’artillerie sont récupérées auprès des armées allemandes en déroute. Faute de matériel, les troupes FFI se heurtent rapidement, à l’arrière des forteresses, aux défenses allemandes. Durant l’existence de ces poches de l’Atlantique, des combats sporadiques voient néanmoins s’affronter les belligérants à la fin de l’été et au cours de l’hiver 1944 avant d’être suivis par une vaste campagne militaire déclenchée par les Alliés en avril 1945 à partir de Royan, prélude à des opérations analogues lancées sur la pointe de Grave, La Rochelle, Lorient, Saint-Nazaire, Dunkerque. Dès l’été 1944, la stratégie défensive des Allemands a provoqué la montée en ligne de nombreux bataillons FFI prêts à en découdre avec l’ennemi. Avant leur réorganisation dans le cadre des nouvelles divisions d’infanterie voulues par le général de Gaulle, la « normalisation » de ces unités issues de la Résistance est longue, complexe et chaotique. Il n’y a pas « d’amalgame », mais plutôt une dilution progressive des FFI dans un cadre militaire réglementaire et accepté par tous les engagés volontaires. L’expérience des combats menés au côté des troupes aguerries, notamment devant la poche à Royan, reste le symbole de cette unité retrouvée au sein d’une nouvelle armée française. Mais à peine engagé, le nouveau corps d’attaque qui libère les poches de l’Atlantique est rattrapé par la fin des hostilités. Il ne survit pas au retour à la paix. Après avoir été créés dans le contexte du front de l’Atlantique, une grande partie de ses régiments et ses trois divisions sont dissous et leurs combattants démobilisés. Après avoir quitté le secteur de Lorient, la 19ème division d’infanterie prend la direction de l’Allemagne avant de disparaitre en mars 1946. La 25ème division, qui avait tenu les lignes devant Saint-Nazaire, est transformée en unité aéroportée en février 1946. Les régiments de la 23ème division d’infanterie, qui avaient rejoint l’Allemagne occupée en octobre 1945, sont dissous à leur tour le mois suivant. L’armée de l’Atlantique du général de Larminat a survécu, et avec elle des milliers de combattants FFI, invités à combattre en Indochine ou à rentrer dans leurs foyers.  

Aujourd’hui, que représente la campagne de l’Atlantique pour la région, et plus généralement, pour la mémoire de la Résistance ?

Si des opérations militaires ont été nécessaires pour la libération de Royan, la Pointe de Grave et l’île d’Oléron, la reddition des autres zones de résistance s’est réalisée de manière pacifique dans un contexte bien différent, celui des signatures des actes de capitulation des 7 et 8 mai 1945. La Rochelle, Saint-Nazaire, Lorient et Dunkerque se rendent alors sans combats, au terme de longues négociations avec des chefs allemands très réticents à s’avouer militairement vaincus. 85 000 soldats allemands prennent le chemin de la captivité. 1 500 combattants Français sont tués au cours de ces combats de la libération. Les derniers bastions libérés, à l’exception de la Rochelle, ne sont qu’amas de ruines et paysages de désolation. Pour la mémoire de la Résistance, ces combats pour la Libération s’inscrivent dans la continuité de ceux engagés dans la clandestinité des maquis au début de l’occupation allemande en France. Les FFI et FTP qui assiègent les forteresses allemandes, et qui dès l’automne intégrèrent les nouvelles formations militaires de l’armée nouvelle, sont les mêmes que ceux qui affrontaient l’occupant sur les territoires de l’ouest de la France, du nord au sud-ouest, le long de la façade atlantique, en passant par la Bretagne.  

Votre ouvrage est coédité par le ministère des Armées. Comment cette collaboration s’est-elle instaurée et qu’en avez-vous tiré ?

C’est sur mon initiative et sur proposition de mon éditeur qu’ont été réunis à l’automne 2024, autour d’une même table, mon éditeur – dont c’est le premier livre d’histoire inscrit à son catalogue – et la direction de l’ECPAD pour travailler ensemble, et vite, en véritables partenaires, à un livre écrit et construit en coédition. L’expertise, la disponibilité et la motivation des documentalistes de l’ECPAD ont été fondamentales dans un timing très serré pour sélectionner et parfois identifier les meilleurs clichés qui nourriraient au mieux mon travail d’écriture. Au final une vraie coopération et un livre plutôt réussi ! 

« Forteresses allemandes dans la France libérée », Stéphane Simonnet, Editions Allary, 192 p., 25 €.


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