Cette transformation de l’armée de Terre se fonde sur la modernisation des équipements, la refonte de l’organisation et l’adaptation du fonctionnement pour in fine gagner en puissance et en réactivité.

L’actualité stratégique

La guerre est revenue en Europe. Le tabou de la violence armée interétatique est tombé, mettant un terme à une période de trois décennies post Guerre Froide qui a façonné nos engagements militaires. Le conflit en Ukraine est à la fois une cause et la manifestation de cette rupture stratégique de gestion de crise.

Au-delà de ce conflit, c’est le droit international sédimenté depuis la 2^e Guerre mondiale qui est remis en question. Nous vivons un tournant dont nous percevons l’ampleur mais dont il n’est pas possible aujourd’hui de distinguer clairement le point de sortie. Mais le retour de la compétition entre les puissances qui se manifeste dans tous les champs, combinée à la contestation des valeurs «occidentales» et aux risques persistants de la faiblesse, impose d’évoluer dans un environnement stratégique principalement caractérisé par l’hybridité et la complexité.

Une loi de programmation militaire ambitieuse

Prévoyant l’allocation de 413 milliards d’euros de ressources sur 7 ans, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 constitue un signal fort de la prise en compte par la Nation de cette nouvelle ère stratégique et de l’impératif de disposer d’un outil de défense à la hauteur de ses ambitions. Cet effort de la Nation nous oblige.

Chef des armées, le Président de la République nous commande d’exploiter cette marque de confiance pour adapter les armées. Il s’agit de permettre à la France de tenir son rang de puissance d’équilibres et de vaincre dans les combats de demain, dont la physionomie projetée oscille entre ruptures et constantes.

Un fonctionnement inhibant

Pourtant héritière d’une philosophie du commandement privilégiant l’intention et l’initiative, l’armée de Terre s’en est progressivement distancée ces dernières années du fait de plusieurs facteurs endogènes et exogènes. Elle a ainsi ouvert son fonctionnement à la centralisation de la décision, à l’expansion de la norme, à la complexification des processus paradoxalement générés par une transition numérique non achevée, à la focalisation sur les modalités plutôt que sur les finalités, et à un découplage local soutenu-soutenant.

Ce fonctionnement, qui déresponsabilise les échelons de commandement et fait primer l’efficience sur l’efficacité, inhibe progressivement l’esprit d’initiative des chefs de contact.

Si le contexte stratégique est synonyme d’instabilité et d’incertitude, il est également source d’opportunités. La saisie de ces opportunités et l’adaptabilité aux changements à venir requiert de mettre dès à présent l’armée de Terre en mouvement, ce que la LPM nous permettra de faire. Tout en s’appuyant sur les deux fondamentaux que sont la polyvalence et les forces morales, l’armée de Terre doit ainsi faire effort dans trois domaines : la réactivité, la puissance de combat et le style de commandement.

Deux fondamentaux : la polyvalence et les forces morales

Les unités de l’armée de Terre doivent préserver l’adaptabilité, l’esprit manoeuvrier et la réversibilité, qui font leur force depuis trois décennies, afin de rester en mesure de faire face à la multiplicité et à la variété des menaces potentielles.

Nos soldats sont la richesse de notre armée ; ils seront les artisans de toute victoire. L’armée de Terre doit préserver et entretenir à tout prix ce qui fait leur force morale : culte de la mission, esprit guerrier et souci du facteur humain seront cultivés dans un système régimentaire dont l’esprit de corps est le moteur.

• Le socle commun indispensable à la cohésion de l’armée de Terre et à la polyvalence de ses grandes unités sera conservé, tout en développant leurs spécialités additionnelles (forces de décision, médianes, d’urgence).

Domaine 1 : la réactivité

Pour être en mesure de faire face aux menaces multiples et protéiformes, incluant la contestation de notre souveraineté par une puissance de premier rang, l’armée de Terre doit développer sa réactivité. Sachant déjà compter sur la disponibilité de ses hommes, il s’agit d’adapter son organisation visant à la rendre, au quotidien, plus proche de sa forme opérationnelle. L’objectif de réactivité à l’horizon 2027 est la capacité à déployer en 30 jours une division à deux brigades relevables.

Domaine 2 : la puissance de combat

Avec la réactivité, la puissance de combat est la source principale de crédibilité de l’armée de Terre vis-à-vis de ses alliés et compétiteurs. La poursuite de la modernisation des facteurs de puissance déjà initiée, complétée par des renforcements capacitaires, permettra de disposer d’un outil de combat cohérent. Cette puissance de combat accrue, au travers notamment du développement de capacités du haut du spectre et d’un système de C2 performant, permettra de dissuader les compétiteurs tout en consolidant notre crédibilité de Nation-cadre d’une coalition.

Pour mieux fonctionner au quotidien et libérer les énergies, mais surtout pour éviter que la culture opérationnelle de l’armée d’emploi ne soit inhibée par l’excès de normes et la déresponsabilisation, l’armée de Terre créera les conditions d’un retour du commandement par intention et de l’initiative.

Dans cette optique, l’application du principe de subsidiarité conjuguée à la primauté des finalités sur les modalités doivent constituer le coeur de notre pratique du commandement.

Ainsi, il s’agit d’adapter le fonctionnement interne, notamment en déconcentrant les responsabilités vers un niveau brigade responsabilisé et autonomisé. L’armée de Terre ne disposant pas en propre des leviers du soutien, elle initiera un effet d’entraînement sur son environnement pour promouvoir cette responsabilisation et cette autonomie des échelons locaux.

Intention

Tout en :

• contribuant résolument à la résilience et la cohésion nationale ;
• renforçant les partenariats et les stratégies d’alliance interarmées dans l’arc de crise, dans l’océan Indien et jusque dans le Pacifique ;
• assumant un rôle moteur des capacités cyber, d’influence et de contre influence ;
• restant prête en permanence à engager les forces terrestres tous moyens réunis.

Je veux :

• cultiver nos forces morales par la valorisation de nos atouts (Hommes, style de commandement, armée d’emploi, système régimentaire, polyvalence) et la poursuite d’une politique équilibrée de durcissement et d’amélioration du quotidien à hauteur d’Hommes ; par l'ajustement en profondeur de l’exercice du commandement au sein de l’armée de Terre sur la base de rapports hiérarchiques fondés sur la finalité des missions confiées aux unités subordonnées et favorisant l’esprit d’initiative par la transition d’une culture de la norme à celle de l’intention, de la responsabilisation contrôlée et du résultat ;
• poursuivre la modernisation des facteurs de puissance, avec un effort immédiat,  sur de nouvelles capacités émergentes ou critiques (drones armés, défense sol-air, feux dans la profondeur, cyber, influence et champs immatériels) et un rééquilibrage cohérent des fonctions opérationnelles au profit des capacités de commandement, d’intégration des effets, d’appui et de soutien ;
• et, accroître la réactivité, au-delà de la brigade d’échelon National d’Urgence, pour s’engager dans une opération d’envergure, notamment en entrée en premier :
  • dès 2023, par le renforcement de l‘autonomie des brigades pour agir plus rapidement et sans discontinuité du temps de la compétition jusqu’à celui de l’affrontement ;
  • à l’horizon 2027 avec l’opérationnalisation d’une division (WFD/LCC/JHQ) à deux brigades, complétée par des éléments organiques, engageable en 30 jours.

Mission

L’armée de Terre, composante terrestre durcie d’armées en opération, agit de manière permanente et simultanée dans les trois espaces stratégiques :

• protection et résilience en métropole et outre-mer ;
• prévention et influence en Afrique, au Moyen-Orient, dans l’océan Indien et jusque dans le Pacifique ;
• solidarité stratégique en Europe et au Moyen-Orient.

Armée d’emploi, réactive, puissante et polyvalente, elle offre une capacité de nation-cadre interarmées ou de composante terrestre, y-compris loin de ses bases, pour entraîner et vaincre sur toute la continuité du spectre compétition-contestation-affrontement.

À cet effet, concevoir l’organisation, l’emploi et l’état d’esprit de l’armée de Terre au travers de ses quatre finalités opérationnelles :