De 1992 à nos jours : la DRM, garante du succès du renseignement militaire (6/7)

Direction : DRM / Publié le : 03 juin 2024

[SERIE] L’histoire du renseignement militaire nous rappelle combien le renseignement est un métier vieux comme la guerre, et comment il lui est intrinsèquement lié. Cette histoire, dont la Direction du renseignement militaire (DRM) est aujourd’hui l’héritière, peut être retracée en sept épisodes. L’avant-dernier nous replonge au moment de sa création puis sur ses succès.

Début 2013, le renseignement militaire a apporté une aide conséquente à l'opération Serval, au Mali. © AFP

Au début des années 1990, les retours d’expérience des décennies précédentes sont sans appel. Malgré les efforts entrepris avec la création du Centre d’exploitation du renseignement militaire en 1975, le renseignement militaire français est resté victime des forces centrifuges contribuant à son éclatement, déconnectant les unités, les spécialités et les niveaux stratégique et opératif. Les lacunes techniques, notamment la nécessité d’une indépendance satellitaire, déjà ressenties dans les années 1980 au Tchad et particulièrement dans le Golfe en 1991, contribuent à lancer la réforme. La guerre du Golfe a en effet de nouveau mis en lumière les lacunes du renseignement militaire français, non coordonné et accusant un retard technique.

La dépendance vis-à-vis des renseignements américains a été durement ressentie. Le ministre de la Défense Pierre Joxe, qui engage par ailleurs une profonde réforme de l’outil de défense1, décide de créer la Direction du renseignement militaire (DRM), chargée de rassembler toutes les entités concourant au renseignement militaire français2. La DRM, placée sous double tutelle du ministre de la Défense et du chef d’état-major des armées, vient renforcer le rôle de ce dernier.

Le décret du 16 juin 1992

Le décret n° 92-523 du 16 juin 1992 porte création de la Direction du renseignement militaire. Il précise notamment que « la direction du renseignement militaire dispose du concours de l’ensemble des organismes contribuant au renseignement d’intérêt militaire3 », « élabore et met en œuvre les orientations en matière de renseignement d’intérêt militaire », « exerce en ce domaine une fonction d’animation et de coordination ».



La France se dote à nouveau d’un service de niveau stratégique coordonnant et animant l’ensemble des entités concourant à l’élaboration du renseignement d’intérêt militaire, reprenant ainsi – hormis le contre- espionnage – la place qu’occupait le 2e bureau de l’état-major général de 1871 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le ministre de la Défense Pierre Joxe nomme le général Heinrich premier directeur de la DRM4.

Le décret de création de la DRM © Journal officiel de la République française.

Une montée en puissance continue

Après sa création, la DRM, qui est le service de renseignement des armées, a su monter progressivement en puissance, se coordonner avec les autres services du premier cercle5, harmoniser les pratiques et les règles de sécurité au sein des entités des forces armées concourant au renseignement d’intérêt militaire, interconnecter les métiers du recueil, développer les interactions analyse – rechercher et mettre en place des procédures de communication permanentes avec les théâtres d’opération.

La DRM s’est affirmée comme tête de chaîne de la Fonction interarmées renseignement (FIR)6, tout en s’affirmant comme service du premier cercle de la communauté du renseignement. Depuis la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, ses missions relèvent de la politique publique relative au renseignement. Grâce à un mandat clair et des moyens croissants, la DRM a su remporter des succès décisifs, tant dans l’aide à la décision de niveau stratégique que dans l’appui aux opérations. En voici quelques exemples.

1995-2000 : en ex-Yougoslavie, la traque des criminels de guerre

Tout juste portée sur les fonts baptismaux, la DRM doit coordonner les actions de renseignement des armées lors des interventions en ex-Yougoslavie. Dans un contexte politique complexe (mandat de l’ONU, intervention de l’OTAN, manœuvres d’intoxication de la part des belligérants…), la DRM permet de coordonner l’action des unités de renseignement humain et électromagnétique, des missions aériennes de recueil de renseignement image… Les unités de renseignement des armées transmettent leurs éléments à la DRM qui en assure la fusion. Dans un premier temps, l’une de ses missions est de déterminer les capacités et les intentions des belligérants.

Après les accords de Dayton, en décembre 1995, la mission s’oriente vers la traque des criminels de guerre. Dans ce cadre, les unités de renseignement déployées vont patiemment recueillir des indices, données et témoignages. L’Unité de recueil de l’information (URI) est créée à cette occasion7. Corrélés avec les renseignements d’autres unités de renseignement humain, électromagnétique et image, ces éléments, exploités et analysés à la DRM8, vont permettre l’arrestation de criminels de guerre.

2002-2011 : en Côte d’Ivoire, la détection puis l’anticipation des actions de belligérants

Avec l’opération Licorne menée à partir de septembre 2002 en application des accords de défense, la DRM se retrouve à nouveau en première ligne. Elle assure la mise en œuvre directe de certains capteurs sur le théâtre des opérations, elle appuie les forces avec ses moyens stratégiques et coordonne l’ensemble de la chaîne de renseignement des armées. L’ensemble des données collectées est analysé à la DRM. L’analyse de ces renseignements permet de transmettre au chef d’état-major des armées une appréciation anticipant la dégradation de la situation sécuritaire. Fortes de ces renseignements, les armées renforcent préalablement leur dispositif en octobre 2010.

2001-2012 : en Afghanistan, le renseignement militaire au plus près des combats

Du premier vol de reconnaissance de deux Mirage IV le 24 octobre 2001 au désengagement, fin 2012, en passant par la connaissance des principaux acteurs sécuritaires en amont de l’intervention et la détection des actions hostiles imminentes contre nos forces, les composantes du renseignement militaire français ont été constamment engagées en Afghanistan. Les échanges de renseignement interalliés sont l’une des caractéristiques majeures de cette intervention.

La DRM s’est également fortement impliquée dans la formation de l’armée nationale afghane dans le cadre de la mission Épidote, non seulement en Afghanistan, mais également en instruisant, en France, au Centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR), plusieurs promotions d’officiers afghans.

En Afghanistan, le renseignement militaire fut au plus proche des combats. © DR

2013 : au Mali, renseigner avant le déclenchement des opérations

La DRM a apporté un appui majeur à l’opération Serval, déclenchée le 13 janvier 2013 à la demande des autorités maliennes.

 

2014 : en Ukraine, un renseignement qui conduit au dialogue

Fin mars 2014, un mois après l’annexion russe de la Crimée, les réseaux sociaux diffusent des vidéos de mouvements de troupes russes en direction de la frontière ukrainienne. Kiev dénonce une volonté russe d’invasion via une offensive généralisée, ce que Moscou dément. Des pays alliés avertissent la France qu’ils disposent de renseignements étayant l’hypothèse ukrainienne.



En avril 2014, la DRM démontre la présence d’un dispositif important de près de 20 000 hommes, tout en soulignant l’aspect incomplet de cette montée en puissance du fait de l’absence de certains indicateurs nécessaires au déclenchement d’une offensive à courte échéance. Ce renseignement permet de privilégier le dialogue au cours des mois suivants, prélude à une rencontre entre les présidents russe et ukrainien près de Caen, à l’occasion du 60e anniversaire du Débarquement, le 6 juin 2014. Cette rencontre introduit alors « le format de Normandie », début d’un cycle de négociations qui aboutit aux accords de Minsk, le 11 février 2015.

2022 : en Ukraine, la détection de la montée en puissance du dispositif russe



Fin 2021, les tensions s’accroissent entre la Russie et l’Ukraine et les rumeurs d’une invasion russe imminente s’amplifient. Dans ce cadre, la DRM est chargée d’évaluer la capacité des armées russes à lancer une opération d’envergure. Fin 2021, les indicateurs liés à une telle opération n’étant pas rassemblés, la DRM estime, avant les fêtes de fin d’année, que l’armée russe ne dispose pas, à ce stade, des moyens pour lancer une offensive dans les jours qui suivent. La DRM poursuit son travail de recherche et d’analyse, ce qui lui permet d’identifier que la Russie dispose, à compter de fin janvier 2022, des capacités pour lancer une offensive d’envergure.

 

1 Sous le ministère de Pierre Joxe, sont également créés le Commandement des opérations spéciales, la Délégation aux affaires stratégiques, le Collège interarmées de défense (cf. Emmanuel Garaud, Pour un nouveau débat stratégique : Pierre Joxe et le ministère de la Défense 1991-1993, Univ. Paris IV, 2010).

2 La DRM remplace ou engerbe le Centre d’exploitation du renseignement militaire, les 2es bureaux des trois armées, le Centre d’information sur le renseignement électromagnétique, le Centre de formation d’interprétation interarmées de l’imagerie, le Centre principal Hélios-France, l’École interarmées du renseignement et des études linguistiques.

3 Le renseignement d’intérêt militaire s’intéresse à tous les acteurs et leur environnement susceptibles de provoquer l’emploi de moyens militaires ou d’avoir des conséquences sur les forces armées et les intérêts nationaux (www.defense.gouv.fr).

4 La DRM fut ensuite commandée par le GDI Élie, le VA de Kersauson, le GDI Ranson, le GCA Masson, le GCA Puga, le GCA Bolelli, le GCA Gomart, le GCA Ferlet, le GCA Vidaud et le GCA Langlade de Montgros.

5 Selon l’article R-811-1 du code de la sécurité intérieure, les services de renseignement du premier cercle sont la Direction générale de la sécurité exté- rieure (DGSE), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la Direction du renseignement militaire (DRM), la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et le service à compétence nationale Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers (Tracfin).

6 La fonction interarmées du renseignement rassemble, sous la coordination de la DRM, les centres de renseignement des trois armées (armée de Terre, armée de l'Air et de l'Espace, Marine nationale), les unités spécialisées dans le recueil du renseignement – 13e régiment de dragons parachutistes, 2e régiment de hussards, 44e et 54e régiments de transmissions, navire de collecte de renseignements Dupuy de Lôme… ainsi que toutes les entités organiques ou opérationnelles concourant au recueil et à l’analyse du renseignement dans l’ensemble des armées – J2 opératifs, officiers renseignement, capteurs non spécialisés, d’opportunité…

7 L’URI, créée en 1998, est spécialisée dans le renseignement conversationnel. Elle va recueillir notamment le témoignage de réfugiés, des informations déterminantes pour identifier les responsables d’exactions. L’URI deviendra en 2000 le Groupement de recueil de l’information, intégré en 2010 au sein du 2e régiment de hussards.

8 La DRM a créé le Centre interarmées d’évaluation et de fusion des renseignements (CIEF), assurant l’orientation multi-capteurs et l’analyse, une préfiguration des plateaux actuels, interconnectant dans une entité unique la recherche et l’analyse.

 

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