[SERIE] Général de Montgros : « Le chaos du monde donne du sens à l’action de la DRM » (1/3)
Interrogé par Esprit défense, le magazine du ministère des Armées, le directeur du renseignement militaire raconte l’adaptation de la DRM à un monde en pleine ébullition : une triple transformation (stratégique, organisationnelle et numérique) face à cette « accélération de l’accélération de l’Histoire ».
"Esprit défense" : Quelles sont les missions de la DRM aujourd'hui, dans un contexte géopolitique dégradé ?
Général Jacques Langlade de Montgros, directeur de la Direction du renseignement militaire (DRM) : La DRM a trois missions : décrypter le chaos du monde, éclairer la décision de nos hautes autorités et préparer l'engagement des forces en opération. Nous nous trouvons en effet dans un contexte stratégique en pleine ébullition et nous vivons une accélération de l'accélération de l'Histoire. Il faut donc essayer, dans la masse d'informations que nous collectons au quotidien, de discerner l'essentiel de l'accessoire et de croiser ces informations entre elles pour produire, in fine, du renseignement. Nous devons présenter au Président de la République, au ministre et au chef d'état-major des armées (CEMA), notre appréciation sur les zones de crise, afin de distinguer le « probablement vrai » du « probablement faux ». Vaste sujet qui occupe une part significative de notre travail et qui ne cesse de croître. Nous devons également éclairer la prise de décision de nos autorités en leur fournissant le renseignement dont elles ont besoin. Enfin, pour toutes les forces opérationnelles qui sont engagées sur le terrain, il nous faut leur apporter la meilleure compréhension possible du cadre dans lequel elles vont s'engager, celle de l'ennemi ou de l'adversaire auquel elles pourraient être amenées à faire face.
Vous êtes nommé en avril 2022, quelques mois après l'invasion de l'Ukraine. Dans quel état d'esprit prenez-vous ce poste ?
Je suis arrivé humble et déterminé, dans un contexte particulier, c'est vrai. L'ampleur de la tâche, au regard de la situation internationale que nous vivons, est considérable. Mais ma détermination est sans faille, d'une part parce que c'est ma nature, d'autre part parce que c'est une mission qu'on m'a confiée, que j'ai acceptée et qui est importante pour la France et les Français. Pour la remplir, je suis aidé, au quotidien, par une équipe qui m'impressionne et me surprend chaque jour, tant par la variété des talents que par les renseignements trouvés.
En quoi consiste précisément votre rôle ?
Mon rôle s'illustre par deux missions principales. L'une tournée vers le haut, l'autre vers le bas. Il consiste d'abord à conseiller les autorités politiques et le CEMA ; ensuite, à coordonner la recherche du renseignement dans l'ensemble des armées en utilisant tous les capteurs dont nous disposons, aussi bien en interne qu'au sein des unités de renseignement des trois armées, du Commandement des opérations spéciales (COS), du Commandement de l'Espace (CDE) et du Commandement de la cyberdéfense (Comcyber). C'est ce qu'on appelle la fonction interarmées du renseignement (FIR).
Le contexte stratégique a beaucoup évolué. Comment le renseignement militaire en général et la DRM en particulier se sont-ils adaptés ?
Le monde change, la DRM s'adapte. Elle mène une triple transformation. La première est stratégique : nous sommes passés d'un renseignement prioritairement tourné vers la chasse aux terroristes sahéliens à une recherche du renseignement principalement centrée sur le compétiteur russe. Je ne vous surprends pas, mais il s'agit en réalité d'une évolution considérable. Pour produire du renseignement, il faut avoir des accès. Ces nouveaux accès, nous les avons créés, adaptés, réinventés, grâce à nos capteurs techniques et humains, sans oublier nos partenaires étrangers.
La deuxième transformation est organisationnelle. Nous avons lancé un big bang le 1er septembre 2022, quelques mois après mon arrivée. Une révolution qui était déjà en gestation, mais il fallait la finaliser, rendre un certain nombre d'arbitrages et la mettre en œuvre. Nous avons ainsi procédé à la mise en place d'une organisation matricielle au sein du renseignement des armées, et singulièrement de la DRM, centrée sur la finalité de la recherche et non pas sur les moyens. En résumé, nous avons rassemblé la recherche et l'exploitation du renseignement au sein de zones géographiques ou de thématiques particulières. Il y avait jusqu'à présent une dissociation entre la recherche et l'analyse, il y a désormais intégration des deux. Le passage d'une organisation en silo à une organisation matricielle est une forme de défi en matière de procédures, mais elle est adaptée au contexte. Plus personne n'imagine fonctionner autrement. Surtout, elle donne du sens à l'action de chacun au quotidien.
La troisième transformation est numérique. Cette année, après une longue phase de préparation, nous allons commencer à utiliser un nouvel outil destiné à capitaliser et à croiser l'ensemble de nos données de renseignement dans une application nommée Escrim. Le travail de nos analystes sera ainsi plus rapide, plus efficace, plus approfondi. Cette « appli » sera déployée sur Artemis, la plate-forme d'intelligence artificielle du ministère. C'est l'aboutissement d'un travail de fond ; un véritable défi. C'est pourquoi la seule priorité que j'ai fixée à la DRM cette année est de réussir le début de l'utilisation opérationnelle d'Escrim.
Recueilli par Marc Fernandez
Prochain épisode : « Les agents de la DRM ne se posent pas de questions pour se lever le matin… »
L'intégralité de l'interview
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