[SERIE] Général de Montgros, directeur de la DRM : « La déclassification du renseignement peut se retourner contre celui qui déclassifie… » (3/3)

Direction : DRM / Publié le : 19 mars 2025

Suite et fin de l'interview du directeur du renseignement militaire dans Esprit défense, le magazine du ministère des Armées. Le général de Montgros évoque notamment les effets pervers parfois provoqués par la déclassification du renseignement.

Le général Langlade de Montgros, directeur de la Direction du renseignement militaire. © SCH Christian Hamilcaro/DICoD

Esprit défense : Vous vivez dans un monde secret, qui véhicule bien des fantasmes. On entend peu parler de la Direction du renseignement militaire dans les médias. Est-ce une volonté ? Pour vivre bien, vivons cachés ? 

Général Jacques Langlade de Montgros, directeur de la Direction du renseignement militaire (DRM) : La notion de secret est nécessaire, parce que le bien le plus précieux d'un service de renseignement, ce sont ses accès (techniques, humains). Ce sont eux qui nous permettent de recueillir nos données – les informations dont nous avons besoin pour ensuite produire du renseignement. Si nous voulons les préserver, il faut les protéger. C'est la raison pour laquelle il faut les entourer d'un certain niveau de confidentialité. La sécurité et l'intégrité des militaires engagés en opération nécessitent aussi ce niveau de confidentialité. Pour ces raisons, il existe une notion de secret. La DRM, par nature, est un outil de souveraineté. Et comme tous les outils de souveraineté, elle n'a pas vocation à dévoiler sur la place publique ses savoir-faire. En revanche, il y a un devoir d'expliquer à nos concitoyens ce que l'on fait pour eux et pour la protection des intérêts français. Il faut trouver la juste mesure entre cette nécessaire pédagogie et la préservation de nos accès. 

Nous avons une culture du secret en France que l'on retrouve moins aux États-Unis, par exemple. Ceux-ci déclassifient beaucoup de documents – quasiment en direct pour l'Ukraine. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose ? 

Le renseignement que nous produisons ne nous appartient pas. Il appartient au Président de la République, au ministre, au chef d'état-major des armées (CEMA). Il y a toujours une vision un peu fantasmée du renseignement et de son caractère secret, parfois jugé attentatoire aux libertés publiques. Mais en réalité, il sert l'intérêt collectif des citoyens, et donc l'intérêt général ! Il permet de renforcer les libertés publiques. Et sa production est très contrôlée, par plusieurs autorités indépendantes. Il peut apparaître nécessaire, pour des raisons opérationnelles ou politiques, de déclassifier du renseignement. Ma mission est alors d'expliquer quelles en seraient les conséquences, quels seraient les risques que pourrait générer ce type de décision. Puis de mettre en œuvre, si la décision est prise. 

Je note cependant que les Américains ont déclassifié à outrance au début de la guerre en Ukraine. Ils l'ont d'abord fait pour tenter d'infléchir la décision de Vladimir Poutine d'envahir ce pays. Force est de constater que ça n'a pas vraiment fonctionné. Plus généralement, la déclassification du renseignement peut engendrer une certaine forme d'addiction, qui peut se retourner contre celui qui déclassifie. Les Américains ont continué à déclassifier après l'invasion en Ukraine. Et quand le gazoduc Nord Stream II a explosé, ils n'ont rien déclassifié. Résultat : des interrogations se sont fait jour. Ce qui peut provoquer l'inverse de l'effet escompté. 

Une dernière question plus personnelle : que faites-vous une fois rentré chez vous ? 

Je fais deux choses. La première : je restaure un monument historique en Lorraine. Mes principaux outils sont mon tracteur et ma truelle. C'est la meilleure façon de m'évader. Et puis, il y a la lecture. Je lis des livres historiques, car l'Histoire est toujours riche d'enseignements et d'éclairages sur le présent et sur le futur. Pour comprendre le présent, il faut connaître le passé. 

Recueilli par Marc Fernandez

Episode 1 : « Le chaos du monde donne du sens à l’action de la DRM »
Episode 2 : « Les agents de la DRM ne se posent pas de question pour se lever le matin... »

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