La stratégie de dronisation de la Marine

Ils bourdonnent dans les airs avec ce timbre reconnaissable désormais par tous les soldats du monde. Effrayants ou rassurants, « les faux bourdons », comme les Anglais les désignent, incarnent pour certains l’avenir des armées et pour d’autres, la chute de Rome. Si la victoire de la machine sur l’Homme n’a pas encore sonné, pour l’heure, les drones se révèlent des alliés d’une efficacité redoutable au service de la tactique militaire. 

Drone embarqué à bord d'un bâtiment © J. Bellenand / MN

Drone embarqué à bord d'un bâtiment

Ces véhicules automatisés sans pilote ne circulent pas seulement dans les airs. Sur les flots et sous les mers, ils s’intègrent au quotidien des marins et sont embarqués sur de nombreux bâtiments de la Marine, selon le voeu de l’ancien chef d’état-major de la Marine, l’amiral Christophe Prazuck, dont le plan Mercator préconisait déjà en 2019 « un drone tactique par bâtiment de surface et sémaphore ». Développés depuis plusieurs années, les drones se sont affirmés comme un élément constitutif de la Marine en pointe. « Multiplicateur de force », c’est un « game changer » (comme l’a illustré le conflit en Ukraine) qui permet à un compétiteur de tenir la dragée haute, prendre l’ascendant sur un adversaire de premier plan, ou de le gêner suffisamment pour infléchir sa stratégie. 

Les avantages du drone sont pléthores : endurance, coût économique modéré, légèreté etc. Cet engin téléopéré habillé en composite permet de se rapprocher de la cible sans mettre en péril la sécurité du pilote et des bâtiments qui le transportent. 

Lutter contre l’hybridité

Le chef d’état-major de la Marine, l’amiral Nicolas Vaujour, a inscrit dans son plan stratégique la nécessité d'être agiles dans le temps court et déterminés dans le temps long. « Être agile, c’est s’adapter très rapidement », explique-t-il lors de la projection du film Surfaces, le 27 mars dernier à l’École militaire. « Il faut savoir tirer les leçons des conflits que l’on observe, comme en Ukraine, ou que l’on expérimente, comme en mer Rouge, de manière à adapter les bateaux, aéronefs et sous-marins, pour réaliser les missions de la Marine. Nous devons améliorer notre capacité à lutter contre cette hybridité qui nous est opposée régulièrement. »

Afin d’améliorer sa stratégie de dronisation, la Marine nationale effectue différents types d’exercices. 

Wildfire

« Dans Wildfire, la Marine nationale convie les industriels à proposer des équipements qu’ils ont déjà en magasin », détaille le CEMM. Ce type d’exercice permet d’éprouver les organisations de lutte contre les menaces asymétriques, drones de surface (USV) et aériens (UAV), dans un contexte le plus réaliste possible. « Les marins sont confrontés à de vraies menaces, du type que l’on rencontre en mer Rouge et en mer Noire. Et que le meilleur industriel gagne ! » Lors du dernier Wildfire (2024), des systèmes de missiles, des brouilleurs et différents cadrans ont été testés. Cette année, la première phase de l’exercice est organisée en Atlantique les 29 avril et 6 mai par la division entraînement de la force d’action navale (FAN). Les bâtiments font face de jour comme de nuit à des assauts d’essaims de drones, mis en oeuvre depuis le VN Partisan. Les bâtiments, ne connaissant ni le scénario ni les menaces auxquelles ils sont exposés, comptent sur la créativité opérationnelle des marins, leur expertise et leur réflexion tactique. Le but de ces expérimentations ? Capitaliser sur le retour d’expérience qui sera ensuite exploité par le Centre d’expertise de la FAN. 

Dragoon Fury

Toujours plus, toujours plus loin. « Avec Dragoon Fury, l’expérimentation est poussée davantage », poursuit l’amiral Vaujour. Les unités participantes peuvent puiser dans l’ensemble des systèmes de drones existants et le scénario inclut des unités de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air et de l’Espace. Cette année, près de 700 miliaires issus de la Marine (le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre, une flottille amphibie, des plongeurs-démineurs, et l’aéronautique navale) et de l’armée de Terre ont participé à cet exercice du 1er au 14 mars, au large de Toulon. Le scénario ? Mener un assaut du littoral (reprise d’îles) avec un débarquement amphibie de troupes, mené dans un contexte de déni d’accès, avec l’aide de drones de surface, de drones d’attaque et de drones d’interception. « Dragoon Fury a été un vrai succès, se félicite le CEMM, permettant d’aller beaucoup plus vite dans la compréhension des contraintes et possibilités exprimées par les industriels (lire pages 28-29) qui, de leur côté, saisissent aussi beaucoup mieux nos besoins et objectifs. C’est essentiel pour aller plus vite. » 

À l’ère de l’intelligence artificielle

De façon plus générale, grâce aux drones, l’idée sous-jacente est de répondre à la question suivante : comment démultiplier les capacités du bateau sans en changer la coque ? Pendant la mission Clemenceau 25, une quinzaine de réservistes opérationnels, des data scientists, ont embarqué à bord du groupe aéronaval « pour aider à développer des algorythmes en utilisant les données collectées. C’est la Marine données-centrée ». Quand il y a une « distance zéro » entre l’ingénieur et le marin, on va plus vite. Ces bateaux, qui ont embarqué des data hub, sont aussi pourvus d‘une intelligence artificielle d’un niveau secret, permettant d’accélérer l’analyse des données recueillies. Raccourcir la boucle de décision est absolument essentiel. « Nous sommes en train de vivre une révolution. » 

Drone sur porte-hélicoptères amphibie © M. Delannoy / MN

Drone sur porte-hélicoptères amphibie

Drone sur porte-hélicoptères amphibie

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