[#Actu Santé] Chirurgie de guerre : comment se préparer à une autre réalité du champ de bataille ?
Depuis quelques années, le retour des Etats-puissance sur la scène internationale signifie affronter un ennemi aussi performant que les forces françaises dans un combat symétrique. Les conflits sont aujourd’hui dits de haute intensité, un changement d’échelle sur le champ de bataille qui impacte la pratique de la chirurgie de guerre. Interview du médecin chef des services hors classe Paul Balandraud, professeur au Val-de-Grace et titulaire de la chaire de chirurgie appliquée aux armées.
Comment la nature d’un conflit, de haute intensité en l’occurrence, influence-t-elle la situation de terrain ?
Un conflit de haute intensité implique la confrontation violente et soutenue entre forces équivalentes dans tous les champs d’action. Nous retrouvons ainsi une notion d’attrition - matérielle mais aussi en matière de ressources humaines - que nous avions quelque peu oubliée lors des conflits asymétriques de ces dernières décennies.
Concrètement, cela signifie faire face à la destruction des équipements et à des pertes humaines considérables auxquelles le Service de santé des armées n’est plus habitué. Le nombre de blessés connaîtra une augmentation massive au quotidien, plus complexe à absorber par la chaîne de soutien sanitaire, et concernera aussi bien les soldats au combat que les soignants eux-mêmes dans l’exercice de leurs fonctions, c’est-à-dire en soutien à ces mêmes soldats.
Quelles sont les causes concrètes de ce phénomène d’attrition ?
Il s’explique par deux raisons concomitantes : la perte de liberté de manœuvre au sein de la chaîne de soins et un changement dans la nature des blessures. Force est de constater tout d’abord que la médicalisation de « l’extrême avant », sur la ligne de front, est désormais impossible. Le premier médecin ne se trouve plus au plus près des combats dans ce périmètre appelé zone transparente, mais à plusieurs kilomètres en arrière. Rendue impraticable par la surveillance des drones ennemis en survol, l’évolution dans cette zone est devenue difficile, interdisant toute intervention médicale rapide. On présume que les blessés en état critique n’y survivent pas, tandis que les blessés moins graves doivent s’extraire en autonomie. La prise en charge médicale qui s’effectuait auparavant en quelques minutes se compte désormais en heures.
Les structures de soins militaires, lorsqu’elles ne sont pas bombardées, sont entravées dans leur mission. Auparavant, les médecins généralistes armant les premières entités médicales déployées assuraient les premiers soins de sauvetage avant d’extraire le blessé pour l’acheminer plus loin en arrière auprès d’un chirurgien. Ces premiers soins se réalisaient durant la première heure, la golden hour, délai au-delà duquel on observait une augmentation de la mortalité. Aujourd’hui, ce médecin doit garder le patient 24h, au risque de voir certains traitements s’éterniser, comme le garrot qui doit être posé pour six heures maximum avant de provoquer une nécrose du membre.
Ce qui nous amène à la seconde cause d’attrition, la nature des blessures. Dans un combat symétrique, les blessés montrent des blessures par éclats causées par l’utilisation de l’artillerie, des brûlures dues aux bombes incendiaires et des lésions crâniennes provoquées par les ondes de choc d’explosions. Ces nouvelles blessures ne sont pas mortelles, mais empirent lorsque le patient atteint doit être acheminé jusqu’aux hôpitaux se trouvant parfois à une centaine de kilomètres en arrière.
Comment se préparer à cette nouvelle réalité du champ de bataille ?
En nous adaptant à ce nouveau contexte des armes sur plusieurs plans simultanément. Au point de vue logistique, le recours aux évacuations aériennes pour désengorger « l'avant » est une option désormais inadaptée avec la perte de la suprématie aérienne. Les évacuations seront donc forcément terrestres et nocturnes, au moyen de véhicules « désilhouettés », c’est-à-dire non reconnaissables.
Au point de vue communication entre entités médicales, mobiles ou positionnées, nous devrons composer avec les contraintes imposées par la guerre électronique (brouillage, usurpation d’identité GPS…) et redoubler d’ingéniosité pour échanger sans nous faire repérer.
Au point de vue médical, il est impératif de faire évoluer la chirurgie de guerre. La position forcée des médecins généralistes en retrait par rapport au front permet leur regroupement au sein de mini-antennes qui sont autant de points de stabilisation absorbant plus efficacement le flux des blessés. Certains gestes de chirurgie de sauvetage seront désormais entrepris par des médecins généralistes formés. Il s’agit des « soins prolongés sur le terrain » (prolonged field care), éventuellement aidés à distance par des techniques innovantes, telles que la téléassistance chirurgicale, pour laquelle la chaire de chirurgie est actuellement à l’origine de travaux de recherche.
Nous sommes arrivés à un moment charnière de l’Histoire qui révolutionne obligatoirement notre pratique. Heureusement, l'agilité des soignants du SSA réside dans cette capacité à savoir s'adapter à un nouveau contexte des armes. L'histoire le démontre à chaque époque et celle que nous vivons ne fait pas exception.
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