Éthique en santé : De la difficulté du choix à soigner sur un théâtre d’opérations
La revue scientifique Médecine et Armées, de décembre 2024, vient de sortir un numéro spécial « éthique en santé », alors même que l’aspirant-médecin Camille, élève de l’École de santé des armées, reçoit le premier prix du concours national de l’éthique professionnelle du Rotary Club pour son essai « Médecin militaire : quelle place pour l’éthique dans les conflits modernes ? »
Propos recueillis par : Virginie Gradella
Une interrogation légitime à l’heure où les conflits de haute intensité deviennent une réalité. Décryptage par le médecin en chef Lamblin, co-fondateur des journées d’éthique médico-militaire.
Pourquoi l’éthique médico-militaire est-elle un sujet crucial ?
Parce que l’exercice de la médecine militaire en opérations extérieures s’accompagne forcément de dilemmes éthiques vécus par les soignants et que l’éthique médico-militaire agit comme garde-fou contre les dérives qu’ils peuvent générer. Lorsque des praticiens militaires sont confrontés sur le terrain à des situations d’exception et d’urgence, ils cumulent cette fonction de soignant avec celle d’expert, qui vise à déterminer la pertinence de la prise en charge médicale d’un militaire, d’un civil ou même, d’un ennemi capturé. Ils sont tiraillés entre le bien individuel du patient qui, en temps normal, a accès aux soins de manière non discriminée, et le bien collectif représenté par l’institution militaire et marqué par une solidarité envers leurs frères d’armes. Cette double loyauté est d’autant plus mise à l’épreuve que leur action dépend également du contingentement des ressources humaines et matérielles. En cas d’afflux massif de blessés, le personnel de santé peut se trouver dans une situation de saturation où surgit une inadéquation entre les ressources disponibles et le nombre de blessés à assister. Face à l’impossibilité de soigner, tous les patients qui se présentent, lesquels dois-je prendre en charge ? Dois-je soigner des patients ouvertement hostiles ? Quel niveau de soin pour un patient privé de la possibilité d’une prise en charge ultérieure ? Confrontés à ces dilemmes, les soignants peuvent ressentir un fort stress moral, car il n’existe aucune solution satisfaisante.
Un cadre doctrinal rationnalise-t-il cette approche du choix à soigner ?
L’intervention des forces armées sur le terrain, et des médecins militaires en particulier, est bien entendu très encadrée. Sur le plan du droit international humanitaire, les conventions de Genève s’appliquent, qui protègent le blessé quel que soit son statut et qui imposent neutralité idéologique et impartialité aux professionnels de la santé militaire. Elles sont cependant insuffisantes car chaque situation est singulière et chaque soignant est unique, marqué par son vécu, sa sensibilité et ses valeurs propres. Sur le théâtre, pour l’aider à prendre une décision, il peut se retourner vers des interlocuteurs clef, tels que le directeur médical, les autorités militaires et le legal advisor, et ainsi privilégier une délibération collégiale. Mais là encore, selon la temporalité du contexte, cela peut se révéler insuffisant. L’activité des praticiens militaires, qui ne relève pas de la responsabilité ordinale de l’Ordre national des médecins, est donc également régie par des règles de déontologie spécifiques aux armées, fixées par décret. Quatre principes fondateurs – de bienfaisance, de non malfaisance, d’autonomie et de justice égalitaire ou distributive – permettent une réflexion sur l’appréhension des dilemmes et aident à la décision. Malheureusement, le temps disponible à une démarche de réflexion éthique collégiale et structurée fait défaut dans une situation d’urgence et la principale réponse ne pourra être que d’ordre intuitive et empirique. Dans le cas de la saturation d’une structure médicale par exemple, la logique déontologiste – l’essence même de la médecine hippocratique dont l’objectif est de faire le maximum pour le bien individuel du patient – laisse place à une logique utilitariste qui fait intervenir le principe de justice distributive dont le but est de rationaliser les moyens pour parvenir à sauver un maximum de patients.
Est-il possible de former les médecins militaires à cette éthique ?
Tout l’enjeu est effectivement d’acculturer le personnel soignant à l’éthique médico-opérationnelle, en lui permettant de réfléchir en amont à toutes sortes de situations d’urgence, de manière à ce que, sur le terrain, sa réponse, toute intuitive qu’elle soit, se base sur cette réflexion et sur le retour d’expérience par rapport à des événements passés. A l’heure actuelle, les futurs soignants militaires abordent uniquement l’éthique médicale générale tout au long de leur cursus universitaire civil. Il devient urgent d’inclure une sensibilisation à l’éthique médico-militaire, dans leur formation complémentaire militaire grâce, par exemple, à un cycle de conférences dédiées et de travaux pratiques incluant des discussions de cas cliniques en petits groupes. Actuellement, l’éthique médico-militaire n’est abordée que sous forme magistrale, peu propice aux échanges avec les étudiants. Avec la pression de plus en plus forte de la nouvelle technologie (intelligence artificielle, soldat augmenté, digitalisation de tous les systèmes…), il est d’autant plus urgent d’insuffler cette culture éthique au personnel du SSA afin d’éviter les séquelles d’une exposition aux dilemmes éthiques. L’édition 2025 des journées consacrées à l’éthique médico-militaire s’emparera précisément de ce sujet.
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