S’adapter au froid, le nouveau défi des médecins militaires

Direction : Santé / Publié le : 27 février 2025

Isolement, hypothermie, matériel gelé : le froid extrême pose des défis inédits aux médecins militaires. Au sommet international des troupes en montagne, qui s’est tenu à Grenoble les 12 et 13 février 2025, le médecin en chef (MC) Capucine A., et le MC Natacha H. ont exposé les enjeux d’adaptabilité de la prise en charge médicale au conflit en environnement froid et enneigé et les projets d’innovation.

Rédaction : Emmanuelle NDOUDI. 

Médecins militaires en montagne

Adapter la prise en charge médicale aux conflits de demain. Plus de 1 000 décideurs internationaux privés et publics se sont réunis les 12 et 13 février 2025 à Grenoble, à l’occasion de la première édition du sommet international des troupes de montagne. Objectif : échanger autour des défis actuels sur le combat dans les environnements de montagne et les zones de froid.

Sur place, le médecin en chef (MC) Capucine A., chargée du suivi des projets au sein du bureau « études, transformations, projets » rattaché à la « division anticipation stratégie » et le MC Natacha H., médecin des forces affectée à l’antenne médicale de Chamonix, ont présenté les réflexions portées par plusieurs acteurs du Service de santé des armées concernant les enjeux de la prise en charge médicale en zone froide. « Jusqu’ici, nous avons plutôt été habitués à intervenir dans des environnements assez chauds. Les zones froides, telles que l’Arctique ou les pays scandinaves, risquent, cependant, de devenir des zones conflictuelles, explique le MC Capucine. Le Service de santé des armées doit donc être prêt à soutenir nos armées dans ces environnements ».

Le MC Capucine sait de quoi elle parle. Elle a travaillé pendant cinq ans comme médecin adjoint à l’antenne médicale de Chamonix aux côtés du MC Natacha H., au Népal, en Patagonie, et en haute montagne… Fortes de leurs expériences conjointes en milieu froid et en montagne, les deux intervenantes ont dressé une synthèse des enjeux médicaux liés à cet environnement hostile, lors d’un atelier médico-militaire au sommet international des troupes de montagne.

Isolement, gel et pathologies

Intitulé « Explorez les spécificités de la prise en charge médicale en milieu montagne et zone froide », les deux médecins militaires ont présenté les différentes difficultés auxquelles sont confrontées le blessé de guerre et le soignant, dans un environnement froid. Parmi eux, l’isolement qui touche le médecin lors d’expéditions.

« Lors de soutiens en montagne, l’équipe médicale ne bénéficie pas d’ambulance, et que tout le matériel médical, en plus du matériel technique nécessaire en montagne et zone froide, est porté à dos d’homme, a constaté le MC Natacha. L’équipe médicale peut se retrouver isolée pendant de longues heures à devoir prendre en charge son blessé ». L’organisation, en amont, constitue un élément primordial de la mission, pour contrer les conséquences de la solitude.

« Il faut prendre le temps de réfléchir à toutes les situations que l’on pourrait rencontrer en mission et adapter le matériel en fonction », indique le médecin en chef Natacha. Une fois la préparation intellectuelle réalisée, « le médecin peut commander du matériel spécifique, appuyé par les pharmaciens ou l’échelon santé spécialisé milieu terre, lorsqu’il part en expédition », complète le médecin des forces.

Outre l’isolement, le climat de froid extrême détériore l’état de santé du blessé. « La victime atteinte d’un choc hémorragique est de facto en état d’hypothermie, même s’il fait chaud », explique, de son côté, le MC Capucine. C’est le début d’un cercle vicieux. « L’hypothermie aggrave le saignement et, en climat froid, engendre un risque vital », continue-t-elle. Des pathologies, telle que les gelures ou les pieds de tranchées, menacent aussi l’opérabilité du blessé de guerre et la dextérité du soignant. « Il aura du mal à réaliser des gestes techniques comme la pose d’une perfusion et s’il y a un deuxième blessé, il aura plus de mal à le soigner », détaille le MC Capucine.

Enfin, la conservation du matériel représente également un enjeu notable en milieu froid. « Certains matériaux en plastique cassent sous l’effet du froid, les garrots tendent à être moins efficaces et les outils demandant de la batterie génèrent de l’inquiétude pour le soignant parce que le froid atteint la puissance de la batterie », énumère le MC Capucine. En outre, « tous les médicaments injectés en intraveineuse, sous forme liquide, gèlent sous l’effet du froid. Et l’effet gel-dégel nuit à l’efficacité de certains produits voire les rend potentiellement dangereux ». Ces nombreux enjeux ont conduit à développer des innovations et amorcer des astuces pour les contourner.

Plusieurs projets collaboratifs

Pour les deux expertes, l’intervention a donné la possibilité de faire un état de l’art des projets menés pour renforcer le soutien médical en zone froide. Des acteurs du Service de santé des armées, impliqués dans les réflexions autour de l’adaptabilité des soignants militaires à l’environnement froid, ont étudié des astuces pour renforcer la flexibilité des personnels du Service aux obstacles relevés grâce aux retours expériences, et ainsi adapter les doctrines à ces évolutions.

« D’ordinaire, les médecins militaires français ont tendance à aller au plus près du blessé pour le prendre en charge. Nous pensons, toutefois, que dans un climat froid, l’idéal est d’extraire le plus rapidement le blessé vers un endroit chaud, où le médecin pourra effectuer les gestes techniques, et éviter le refroidissement du blessé, évoque le MC Capucine. Nous passerions d’une logique « stay and play » à un système « scoop and run ».

Les deux médecins militaires ont également mis au point un petit guide retraçant des techniques à adopter pour encourager l’aguerrissement des équipes médicales au froid. « Ne pas retirer ses gants sans réfléchir pour éviter le risque de gelures, ne pas déshabiller son blessé », énumère le MC Natacha.

Début 2024, le 7e  centre médical des armées de Lyon a même créé une formation non-certifiante intitulée « Médic-Froid ». « Le personnel soignant dort trois nuits d’affilée dehors dans une tente, et apprend à se déplacer avec des skis, simule des prises en charge dans le froid et adapte les procédures », explique le médecin des forces de l’antenne médicale de Chamonix. « Les soignants sont très contents de réaliser cet entraînement et constatent qu’il y avait un besoin », poursuit-elle.

Côté innovations, l’expertise terrain des antennes médicales rejoint celle d’autres acteurs du ministère des Armées, comme l’agence innovation défense (AID) ou l’Académie de santé des armées (ACASAN), pour concevoir de nouveaux projets. Parmi eux, l’ampoulier chauffant développé par un médecin issu du 7e centre médical des armées, en lien avec l’agence innovation défense. Cet objet novateur est capable de maintenir les produits de santé à une température constante, même dans un environnement froid. Parallèlement, un infirmier des forces spéciales travaille, en collaboration avec le bureau « Innovation » de l’ACASAN, sur un « heat bag » : un sac chauffant convertible en couverture chaude, censé garder les produits de santé et les dispositifs médicaux à bonne température.

L’intervention des deux expertes a connu un franc succès et a suscité des échanges concrets sur les possibilités d’innovation à approfondir. Le prochain sommet international des troupes en montagne est prévu les 10 et 11 février 2027. L’occasion de dresser un point d’étape sur les avancées réalisées en deux ans.


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