Santé des femmes militaires : les particularités à prendre en compte
Dans son dernier numéro de mars 2025, le magazine Médecine et Armées présente une édition spéciale consacrée à la santé des femmes militaires. La médecin chef des services Alexandra, chercheuse en physiologie à l’institut de recherches biomédicales des armées (IRBA) et co-directrice du laboratoire de biologie de l’exercice pour la performance et la santé, détaille les différences physiologiques hommes-femmes dans le cadre du combat de haute intensité. Interview.
Quelles sont, concrètement, les différences physiologiques des femmes par rapport aux hommes ?
MCS Alexandra – Précisons avant toutes choses que la question des différences physiologiques hommes-femmes n’a aucun rapport avec l’égalité entre les genres mais tout à voir avec les ressources physiques humaines nécessaires à la faisabilité et à la soutenabilité de certains enjeux, comme ceux relatifs aux combats de haute intensité. Ces différences liées au sexe impactent en effet les performances physiques de la femme combattante et posent la question de son efficacité opérationnelle. La masse musculaire moindre, notamment des membres supérieurs, pénalise le port de charges lourdes ; la structure des os longs entraîne une moindre résistance à la contrainte mécanique et un risque accru de fractures de fatigue des membres inférieurs et du bassin, liées à leur sur sollicitation ; une tolérance moindre au froid local génère un risque de gelures des extrémités plus important que pour les hommes… La femme n’est pas un militaire comme les autres. Sa santé, tout comme ses aptitudes physiques, doivent s’envisager avec un regard spécifique pour assurer le meilleur niveau de performance et de durabilité au combat.
Pourquoi ces différences sont-elles mises en rapport avec le combat de haute intensité ?
MCS Alexandra – Tout simplement parce que si les armées envoient uniquement des hommes au combat, elles n’auront pas suffisamment d’effectifs pour permettre le renouvellement indispensable des troupes sur le terrain et ne pourront pas préserver la capacité opérationnelle sur la durée. Le combat de haute intensité – ou symétrique car mené contre un autre État aux moyens identiques et ce, sans souveraineté aérienne- se caractérise par la perspective d’un nombre massif de blessés et de morts avec des possibilités d’évacuations réduites. L’enjeu est donc de disposer d’effectifs conséquents pour compenser ces pertes et permettre ce renouvellement. L’exigence du maintien de cette capacité opérationnelle humaine sur le long terme a plusieurs conséquences. Elle impose par exemple à des militaires, habituellement positionnés sur des postes sédentaires, d’être affectés à d’autres où la condition physique sera particulièrement sollicitée. Mais elle implique également d’inclure les femmes au sein d’unités de combat car il n’est pas envisageable de se passer d’une partie des volontés combattantes.
« La femme n’est pas un militaire comme les autres. Sa santé, tout comme ses aptitudes physiques, doivent s’envisager avec un regard spécifique pour assurer le meilleur niveau de performance et de durabilité au combat. »
Comment, alors, mieux préparer physiquement la femme combattante et assurer sa capacité opérationnelle ?
MCS Alexandra – Il est important de préciser que l’employabilité d’un personnel, homme comme femme, repose sur deux prérequis : l’absence d’inaptitude médicale à servir et l’aptitude physique réelle à tenir un poste. C’est l’entraînement physique militaire et sportif (EPMS) qui fait le lien entre les deux et qui est censé s’assurer de leur complémentarité. Pour combler la différence de performance physique d’une femme combattante, l’EPMS, en formation initiale et complémentaire, devrait être spécifiquement organisé de manière à prendre en compte leurs aptitudes limitantes, comme la force des membres supérieurs. Une piste de réflexion propose de séparer les individus par groupe de niveaux, en aménageant par exemple des séances d’entraînement dédiées aux femmes, ciblant le renforcement musculaire et introduisant une progressivité dans leur intensification. Une telle programmation produit une efficacité optimale tout en limitant le risque de blessures ou d’intolérance à l’entraînement, une condition sine qua non pour augmenter le nombre de personnels capables d’atteindre le niveau requis. Outre la période de formation militaire, d’autres moments dans la vie d’une femme devraient être pris en compte. La grossesse et la période post-partum en sont un bon exemple. Un programme réfléchi permettrait d’anticiper et de réduire les effets du déconditionnement physique inéluctable, directement lié à la période d’inactivité de la grossesse. A la reprise, il offrirait un accompagnement progressif et adapté favorisant le retour au niveau préalable à la maternité sans obérer la santé des femmes. L’EPMS pourrait également inclure des contre-mesures additives simples et peu coûteuses pour contrer les faiblesses physiologiques des femmes. Proposer une collation protéinée en fin de séances de musculation pour lutter contre le déficit énergétique, significativement supérieur chez les femmes, ou introduire des suppléments en vitamine D et en calcium pour prévenir les fractures de fatigue… sans oublier d’adapter les équipements à la morphologie des femmes, notamment les gilets balistiques et les sacs à dos, dont les réglages mal ajustés accroissent la difficulté d’une tâche et le risque d’une blessure. La réflexion sur l’opportunité de ces mesures doit être conduite avec le Service de santé des armées.
« Il est important de préciser que l’employabilité d’un personnel, homme comme femme, repose sur deux prérequis : l’absence d’inaptitude médicale à servir et l’aptitude physique réelle à tenir un poste. »
Pourquoi employez-vous le conditionnel pour évoquer l’EPMS idéal ?
MCS Alexandra – Parce que justement, c’est un idéal encore non atteint qu’il est urgent d’envisager. L’article que nous proposons dans Médecine et Armées alerte non seulement sur les particularités des femmes à prendre en compte dans leur préparation physique et militaire, mais il propose également une lecture plus large qui englobe les hommes. Même si en moyenne, les femmes sont moins fortes que les hommes, n’oublions pas que les femmes les plus performantes sont plus fortes que les hommes les plus faibles. Tous les hommes ne sont pas capables d’assumer tous les postes non plus. Cet article vise donc à susciter une prise de conscience dans la vision stratégique globale en matière de recrutement, d’orientation et de préparation physique à l’emploi. Nous sommes très en retard sur ce sujet par rapport aux Anglo-Saxons. Ces derniers recrutent selon un modèle de person-job fit, c’est-à-dire selon un profilage physique qui fait correspondre un individu à un métier grâce à une sélection orientée vers l’emploi avec des tests physiques pertinents en fonction des tâches à réaliser. C’est l’autre dimension soulevée par un engagement majeur qui requiert une réactivité en plus de la capacité à durer. Or, la société actuelle est composée, en grande majorité et de plus en plus, de jeunes sédentarisés à l’extrême et n’atteignant pas le taux d’activité minimal recommandé par l’OMS pour être considérés en bonne santé. Dans les corps-à-corps qu’imposeront régulièrement les conflits de haute intensité, ni les hommes habitués aux tâches de bureau, ni les nouvelles recrues ne seront au niveau. Mieux orienter les personnels, hommes ou femmes, selon leurs qualités physiques et les préparer de manière spécifique à leur emploi sont les gages d’une capacité opérationnelle rapide et durable dans le temps. Quant aux femmes intégrées dans les unités de combat, nonobstant leurs limitations physiques, non seulement elles comblent un déficit d’effectifs mais, surtout, elles apportent indubitablement une plus-value, celle d’une vision et d’une approche qui permettent à l’unité de gagner en équilibre et en efficacité.
Pour lire la revue Médecine et Armées (n° 51.1)
Endométriose, suivi gynécologique, grossesse en mission… Quels défis pour la santé des femmes en uniforme ? Quels enjeux pour leur intégration dans les unités de combat ? « Médecine et Armées » consacre un numéro spécial à ce sujet essentiel.
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