Servir à l’Otan : « Il faut prendre conscience que nous évoluons au cœur du réacteur »
A l’occasion des 75 ans de l’Otan, rencontre avec l’un des quatre soignants militaires insérés au sein des structures de commandement otaniennes : le médecin chef des services de classe normale (MCSCN) Stéphane Grandmontagne, en poste au quartier général du commandement allié Opérations en Europe (Shape – Supreme Headquarters Allied Powers Europe), en Belgique, depuis l’été 2024.
Propos recueillis par : Virginie Gradella
Quel poste occupez-vous actuellement en Belgique ?
Shape est un état-major stratégique qui regroupe plusieurs directorates, dont l’une est dédiée au soutien et comprend la division médicale, la Joint Medical Division (JMED). En tant qu’adjoint au chef de division (deputy ACOS) et conseiller médical adjoint, je seconde une supérieure hiérarchique allemande. Notre binôme est chargé de diriger et de coordonner le soutien médical des opérations de l’Alliance, depuis leur conception jusqu’à leur opérationnalisation et ce, à la tête d’une équipe de neuf personnes de plusieurs nationalités (américaine, britannique, allemande, néerlandaise, norvégienne, tchèque et canadienne). Je suis le seul Français de la division, qui est aussi la plus petite du Shape, ce qui signifie qu’outre mon cœur de métier technique et mes responsabilités de chef de bureau, je suis également chargé de taches annexes en rapport avec la finance, les ressources humaines et la sécurité. Bien que nous travaillions essentiellement au développement d’une réponse militaire, nous contribuons également à la création d’un espace médical commun (collective medical space) intégrant l’ensemble des moyens civils et militaires, un projet nécessaire au vu de l’évolution géopolitique.
A quoi ressemble une journée type au sein de la Joint Medical Division ?
A ce poste, il n’existe pas de journée type. Nous enchaînons beaucoup de réunions et de conférences, au diapason du battle rhythm de l’Etat-major. Le travail de fond se base sur un mantra répété au quotidien : « la guerre, c’est peut-être demain, il faut être prêt ! ». Au sein de l’Otan, les nations avancent à des vitesses différentes en fonction de leurs préoccupations nationales respectives, parfois différentes des nôtres, plus globales. Mon rôle est de maintenir un lien constant avec la direction centrale du Service de santé des armées pour qui je suis un capteur. Je relaie les opinions et les lignes rouges, j’évalue les trajectoires et les décisions, j’identifie les points qui pourraient poser problème. Il est difficile de savoir ce qui se passe à l’Otan, je dois donc contribuer à entretenir une communication ouverte, à préserver le lien entre l’Alliance et l’échelon national. Pour garantir la qualité de cette information, il faut se challenger. Un tel poste est l’occasion de fructifier son expérience, son vécu et sa carrière, d’autant plus lorsque l’époque est au changement.
Un changement qui a impacté l’Otan et, de fait, les postes otaniens ?
Jusqu’à récemment, l’Otan n’était pas considérée comme une priorité. C’était un forum où les nations échangeaient sur leur capacité à travailler ensemble, à construire une certaine interopérabilité et à participer en coalition à des missions expéditionnaires. Puis, la situation géopolitique a évolué, modifiant ce ronronnement. Aujourd’hui, les nations sont conscientes que la guerre peut survenir n’importe où et à n’importe quel moment. Il faut donc défendre et se défendre. Défendre l’Alliance également, un défi de taille. Le rythme s’est accéléré, le forum doit devenir une machine agile et plus réactive. Tout est à repenser. Le soutien médical des opérations expéditionnaires ne semble plus pertinent au regard des évolutions géopolitiques. Le nombre de blessés sera plus conséquent et remet la doctrine en cause. Nous redécouvrons des éléments de planification datant de la Guerre Froide, comme les trains sanitaires. Aujourd’hui, nous revenons à ce pourquoi l’Otan a été initialement conçue, aux fondamentaux, ce qui est à la fois excitant et stimulant intellectuellement. Inventer de nouvelles façons de faire implique de faire preuve d’une vraie capacité d’adaptation aux opérations. Cette adaptabilité fait partie de l’ADN français et plus particulièrement de celui du Service de santé des armées, qui a toujours su se conformer au terrain et dont l’expertise est reconnue et respectée par l’ensemble des nations.
Recommanderiez-vous un poste Otan à vos pairs ?
Oui, sans hésitation. D’un point de vue vie personnelle, Shape est à l’image d’une ville américaine, autonome et agréable à vivre pour les familles. Logements, écoles, magasins, cinéma, bowling, salle des fêtes… tout y est ! Chaque nation organise des festivités en rapport avec sa culture, le Beaujolais Nouveau pour les Français, une course de 5 km avec des participants déguisés en zombies pour Halloween…
D’un point de vue professionnel, il faut prendre conscience que nous évoluons au cœur du réacteur ! La condition pour réussir trois années à l’Otan est donc d’être prêt à fournir un investissement personnel conséquent. Ce genre de poste doit s’inscrire dans un parcours caractérisé par une appétence pour l’international, car il fait sortir de sa zone de confort. Le travail en anglais H24 n’est pas évident, même si je pense qu’il est nécessaire de désacraliser cet aspect des choses. Tout le monde n’est pas bilingue, l’aisance vient au fur et à mesure. Il faut dépasser le stade de la timidité et de l’inconfort, et s’exprimer pour se faire entendre et comprendre des autres. D’autant que défendre ses idées et être force de proposition est primordial pour être écouté. Il faut être présent et proactif, visible. En travaillant, en produisant, les idées des Nations sont poussées sur le devant de la scène.
L’environnement est singulier également, régi par des codes liés au milieu international. Même placés sous vos ordres par exemple, vos subordonnés ne vous considèrent pas comme leur chef puisqu’ils ne sont pas de la même nationalité. Il faut accepter de faire usage de diplomatie et d’animer un groupe plutôt que de rechercher le dispositif militaire hiérarchique classique.
Un poste à l’Otan est une affectation différente, la chance d’acquérir une expérience unique, dans un contexte culturel et opérationnel particulier. A la base, un médecin est seul face aux patients, en tant que représentant de l’Etat, son travail s’élève à un niveau stratégique et les échanges deviennent une véritable nourriture pour l’esprit.
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