Wargames : explorer les défis de la médecine militaire grâce à trois jeux de plateau

Direction : Santé / Publié le : 24 mars 2025

Afflux massif de blessés, ravitaillement médical, offre de soins, dilemmes éthiques… Trois équipes du Service de santé des armées ont imaginé des jeux de plateau immersifs pour mettre en lumière les défis de la médecine militaire. Présentés au Paris Defence and Strategy Forum, ces wargames apportent une approche innovante de la gestion de crise médico-militaire.

Reportage : Emmanuelle Ndoudi.

Jeux de plateau immersifs pour mettre en lumière les défis de la médecine militaire © BCI-SSA

Cartes, jetons, dés et plateaux colorés… Dans l’un des salons de l’École militaire, à Paris dans le 7e arr., plusieurs dizaines d’exposants venus du monde entier ont présenté leurs wargames, à l’occasion de la 2e édition du Paris Defence and Strategy Forum.

En marge de l’événement, un défi d’un nouveau genre : six équipes de volontaires – étudiants, militaires et passionnés de Défense – ont eu 30 jours pour concevoir un jeu de plateau sur le thème de la « Résilience de la Nation ».

Trois équipes du Service de santé des armées, guidées par le médecin en chef (MC) Antoine, chef du centre de formation au « commandement et contrôle médical », se sont saisies de cette opportunité pour aborder de manière ludique les réalités de la médecine militaire « L’annonce de ce concours fut l’occasion rêvée de rassembler des équipes du Service pour développer des jeux qui répondent à nos besoins spécifiques », assure-t-il.

Grâce à cette implication, deux équipes du Service de santé des armées se sont même illustrées, en décrochant les 1er et 2e places du challenge « WarGame Jam » organisé par le CICDE (centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations).

Zoom sur ces trois WarGames qui ont mis en lumière l’expertise du Service de santé des armées, lors de ce forum international.

« In-Flux » met en relief les défis liés à la gestion d’un afflux massif de blessés © BCI-SSA

In-Flux – Une collaboration civilo-militaire pour gérer l’offre de soins

Fruit d’une réflexion civilo-militaire portée par quatre soignants militaires d’active et de réserve, « In-Flux », arrivé en deuxième position, met en relief les défis liés à la gestion d’un flux de blessés dans l’hypothèse d’un engagement majeur. « L’enjeu est de montrer la complexité de cette problématique de soins à un panel varié de participants, allant du grand public aux décideurs ou médecins », assurent-ils tous en cœur.

Les règles sont simples : deux équipes coopèrent pour réussir à traiter efficacement, en six tours, un flux massif de blessés sur le territoire européen. « Les joueurs doivent gérer l’arrivée des victimes, tout en maintenant une cohésion et une adhésion dans la nation, et en prenant en compte l’opinion publique, les forces morales militaires et la diplomatie », explique le médecin principal (MP) Alexis, l’un des concepteurs. « Les wargames actuels traitent souvent l’aspect tactique ou logistique, mais rarement l’aspect santé, observe le médecin en chef Capucine. In-Flux vient apporter cette nouveauté-là ».

Les participants doivent faire face à un double défi. « D’une part, il faudra soutenir les militaires blessés, qu’ils soient français ou alliés, qui reviendront et de l’autre maintenir l’offre de soins auprès de la population civile en France », assure le MP Benoît.

Pour pimenter la partie, les concepteurs ont aussi ajouté un paquet de cartes « action » ou « événement ». Déprogrammer des chirurgies non-urgentes, gérer l’inondation d’un hôpital, réfléchir à l’annulation d’un événement sportif… ces situations bousculent le cours de la partie et donnent la possibilité aux joueurs « de traiter des problématiques réelles en terme de planification interministérielle », détaille le médecin réserviste Isaac, en charge des relations avec le ministère de la Santé.

L’issue du  » jeu de guerre » dépend de l’efficacité des choix des joueurs, face à ces dilemmes éthiques. Leurs décisions sont évaluées grâce à une jauge qui observe trois aspects : la diplomatie, l’opinion publique et les forces morales des militaires. Si celle-ci atteint 0, la partie est terminée. « Les premiers retours expériences de notre jeu sont plutôt positifs », se réjouit l’équipe.

« PotarDOS » plonge les participants au cœur de l’univers du pharmacien militaire. © BCI-SSA

PotarDOS – apprendre les spécificités du ravitaillement médical

Le jeu PotarDOS plonge les participants au cœur de l’univers du pharmacien militaire. Cinq pharmaciens, issus des trois composantes du Service de santé des armées, ont collaboré afin de mettre en relief, de façon ludique, les spécificités du ravitaillement médical.

En huit tours seulement, les joueurs doivent se mettre dans la peau d’acteurs de la chaîne logistique pharmaceutique du Service de santé des armées. « Le but est qu’ils acquièrent des ressources de façon à constituer des unités médicales opérationnelles afin de répondre immédiatement à un événement majeur, tels qu’une pandémie, une catastrophe climatique, un engagement militaire ou une menace à caractère nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC) », détaille le pharmacien Aurore.

Parmi les ressources disponibles dans le « jeu de guerre », les participants devront faire un stock de médicaments, poches de sang, bouteilles d’oxygène, dispositifs médicaux et contre-mesures aux menaces NRBC. « Le but est d’accumuler stratégiquement ces ressources en collaborant avec des acteurs civils et militaires, de constituer des unités médicales opérationnelles pour contribuer à la résilience nationale », complète le pharmacien principal Charlotte.

Une fois les ressources collectées, les joueurs devront piocher une carte « intensité » sur laquelle se trouve un scénario réaliste tel qu’un accident de voie publique de grande ampleur avec déclenchement d’un plan Blanc. « Chaque joueur devra collaborer et fournir les ressources nécessaires pour endiguer la crise ». L’intrigue ne s’arrête pas là. En cas de stocks insuffisants, les participants devront se saisir d’une carte « imprévu », qui les pénalise.

Le bonus de PotarDOS ? Son aspect éducatif. « Des définitions tirées de sites officiels se trouvent sur chaque carte pour que le joueur ait une meilleure compréhension du domaine du ravitaillement médical et de ses partenaires civils et militaires », développe l’aspirant pharmacien Matthias. Abordable, synthétique et dynamique, PotarDOS s’adresse à un public large, allant de l’étudiant en pharmacie à tout acteur s’intéressant à la chaîne logistique pharmaceutique. « Une dizaine d’élèves de l’école de la santé des armées ont pu tester le jeu lors du séminaire pharmaceutique annuel et ils en ont fait un bon retour », saluent l’équipe de pharmaciens.

« Urgences Attentat » - un jeu de simulation tout public conçu en hommage aux attentats de 2015 © BCI-SSA

Urgences Attentat – apprendre à traiter une crise d’afflux massif de blessés

Lauréat du « WarGame Jam », « Urgences Attentat » est un jeu de simulation tout public conçu en hommage aux attentats de 2015 par quatre internes des hôpitaux des armées (IHA). L’objectif est clair : sauver le maximum de vies en une heure, en prenant des décisions sous pression. « S’il est facile de juger une décision médicale avec du recul, sur le terrain, on manque d’informations, de moyens, de temps… et chaque choix laisse une cicatrice indélébile », explique l’IHA Ulysse.

Le jeu repose sur un système de tri inspiré des protocoles d’urgence : vert pour les impliqués ou blessés légers, jaune pour les blessés graves mais stables, rouge pour les urgences vitales et noir pour les cas dépassés, dont les chances de survie sont minimes.

Structuré en cinq tours, « Urgences Attentat » alterne trois phases essentielles : un tri collectif des blessés, la sélection du moyen d’évacuation et leur transfert vers l’hôpital le plus adapté selon les capacités disponibles.

L’équilibre du jeu repose sur des contraintes temporelles strictes : les urgences vitales doivent arriver à l’hôpital en un tour, les urgences relatives en deux, tandis que les impliqués et blessés mineurs ont jusqu’à la fin du jeu pour être pris en charge. Chaque joueur incarne un rôle clé dans la gestion de crise : médecin, policier, ambulancier ou régulateur. C’est une manière de montrer que la résilience se déroule de façon pluridisciplinaire et surtout, collectivement.

Pour accentuer l’immersion, des cartes « événements » viennent perturber les stratégies, tandis que des cartes « dilemmes » confrontent les joueurs à des choix éthiques difficiles : que faire si l’un des blessés est le terroriste ? Comment réagir si un soignant reconnaît un proche parmi les victimes et se retrouve incapable de travailler ? Autant de questions auxquelles les soignants ne peuvent jamais être vraiment préparés.

Une des innovations majeures du « jeu de guerre » réside dans l’intégration de l’intelligence artificielle créée à cette occasion : elle analyse les décisions des joueurs face aux dilemmes, commente leurs choix et décide de leur donner ou non un bonus au prochain tour.

« Urgences Attentat » réussit ainsi à allier réflexion stratégique, gestion de crise et éthique médicale, offrant une expérience immersive et percutante. « Au départ, nous ignorions tout du wargame. Nous avons appris, tâtonné, testé, échoué puis recommencé. Faire ce jeu, c’était déjà une victoire en soi », se réjouissent les créateurs.


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