Catherine Bourdès : « Le ministère des Armées a l’un des taux de féminisation du personnel militaire les plus élevés du monde »

Direction : SGA / Publié le : 08 mars 2024

ENTRETIEN – Pour Catherine Bourdès, directrice de projet Mixité, Haute fonctionnaire à l’égalité des droits au ministère des Armées, les politiques mises en oeuvre en matière de mixité dans les armées ont abouti à des progrès réels mais doivent être poursuivies. Le renouvellement du Plan « mixité », en ce sens, est LA priorité en 2024.

Catherine Bourdès, directrice de projet Mixité au ministère des Armées © Erwan Rabot

Catherine Bourdès, directrice de projet Mixité au ministère des Armées

Catherine Bourdès, le 8 mars marque la Journée internationale des droits des femmes. Comment cela se concrétise-t-il au sein du ministère des Armées ?

Catherine Bourdès : Une somme considérable d’actions sont menées à Paris, en métropole et dans les Outre-Mer, que ce soit par les acteurs dédiés, comme la Direction du service national et de la jeunesse (DSNJ), la DP mixité ou les Combattantes du numérique, mais aussi par les acteurs de terrain dans de nombreux organismes. Le colloque international qui s’est tenu le 7 mars à Balard, « La mixité dans les armées françaises et alliées : regards croisés », en est l’événement central. Le chef d’état-major des Armées, le général Burkhard, y est intervenu pour présenter sa vision de la mixité, vision opérationnelle et vision de chef. C’était une parole très attendue car 2024 est l’année où nous renouvelons le Plan « mixité » (qui concerne les personnels militaires). C’est aussi l’année des Jeux Olympiques et Paralympiques, et l’année où la France accueille le programme EOGS[1]. Ce prisme international a quelque peu orienté nos travaux dans l’élaboration de ce colloque.

Qu’entend-on par mixité-égalité au sein du ministère des Armées ?

C.B : Ces deux concepts sont proches mais prennent chacun en compte la spécificité civils/militaires des armées. Le thème « égalité professionnelle entre les hommes et les femmes du ministère » concerne le personnel civil. Elle est parfaitement identique à celle qui s’applique dans l’ensemble des autres ministères et dans le secteur privé. Pour la mettre en œuvre, la DP mixité s’appuie sur le plan interministériel « Toutes et tous égaux » de mars 2023, porté par la Première ministre Élisabeth Borne, qui oriente le plan ministériel.

Pour le personnel militaire, cette notion d’égalité est un peu plus particulière car il faut prendre en compte les spécificités militaires, ainsi que les contraintes liées à l’histoire et à l’organisation sociale du ministère. Le ministère des Armées détient l’un des taux de féminisation les plus hauts du monde (près de 17% de femmes au sein du personnel militaire), mais qui reste loin de la parité attendue quand on parle d’égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur civil. Par exemple, on ne peut pas exiger un objectif de 50% de « primo-nominations »[2], disons, dans les instances dirigeantes militaires, tout simplement parce-que nous partons d’un vivier de 17% de femmes. Il a donc fallu nuancer la notion d’égalité en employant celle de mixité, ce qui n’empêche pas les hommes et les femmes militaires d’être effectivement égaux. J’ajoute qu’il y a des besoins spécifiques pour les femmes militaires, comme ceux liés à une mobilité géographique particulièrement exigeante. Les deux plans ont donc été conçus séparément et se complètent, prenant en compte les spécificités des deux populations que nous avons au sein du ministère.

« Le ministère des Armées détient l’un des taux de féminisation les plus hauts du monde »

Catherine Bourdès

  • directrice de projet Mixité au ministère des Armées

 

Quelle est votre feuille de route 2024 en la matière ?

C.B : Pour la DP mixité, 2024 est l’année du renouvellement du Plan « mixité » de 2019, projet sur lequel le ministre doit s’exprimer au deuxième semestre. Les travaux ont été initiés par la réalisation d’une étude qualitative sur les femmes dans les armées, confiée à des chercheurs du CEVIPOF, le laboratoire de recherches sociales de Sciences Po. Les armées, directions et services mèneront des travaux parallèles dans ce domaine, tandis que les instances de concertation et les associations du ministère seront elles-mêmes sollicitées, afin que le résultat soit un Plan co-construit qui prenne en compte les besoins de chacun, dans chacune de ses spécificités. Cette année doit aussi servir à l’élaboration du Plan égalité[3] qui devrait être signé avant la fin de l’année 2024.

Nous accueillons en parallèle des audits de suivi de la double labellisation Afnor « Egalité » et « Diversité », qui se tiendront au mois d’avril. Ces labels sont valables quatre ans, avec des évaluations intermédiaires pour s’assurer que les labellisés poursuivent leurs efforts en matière d’égalité et de diversité. Là aussi, c’est un grand rendez-vous que nous préparons activement depuis plusieurs mois. Enfin, nous avons organisé le colloque du 7 mars, dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes (premier colloque international sur la Mixité), et nous travaillons toujours, en matière de gouvernance, à faire du séminaire annuel des référents mixité-égalité un moment clé où les principaux acteurs, ministériels, interministériels et internationaux se rencontrent, afin d’ajouter de la transversalité à notre réflexion et de renforcer le partage des bonnes pratiques.

Lors de notre dernier entretien, le ministre des Armées vous demandait de réfléchir à l’élargissement de votre feuille de route « égalité » aux questions de diversité, beaucoup plus larges (diversité religieuse, sociale…). Qu’en est-il aujourd’hui ?

C.B : La DP mixité a effectivement commencé à travailler sur ce sujet. En 2023, pour la première fois dans l’histoire du Plan interministériel LGBT+[4], le Minarm a proposé trois mesures spécifiques, qui ont été retenues. C’est notre première ouverture à la diversité sur la question des orientations sexuelles. Nous avons travaillé sur la séropositivité, la transidentité et sur la formation aux questions LBGT+. Sur la question de la diversité au sens large, il avait été annoncé par la Première ministre Élisabeth Borne, la création en 2023 d’un poste de « Haut fonctionnaire chargé de la diversité, la lutte contre les discriminations et l’égalité des chances » dans les ministères. Le Minarm a travaillé à la définition du périmètre d’action et à la rédaction du projet de circulaire relative à la désignation de ce nouveau Haut fonctionnaire. Ce projet, qui avait provisoirement suspendu nos travaux dans ce domaine, pour ne pas empiéter sur le futur périmètre de ce poste, n’est pas encore acté. S’il était abandonné, je n’exclus pas de me tourner vers le cabinet du ministre pour faire amender ma lettre de mission de façon à prendre en compte certains domaines orphelins.

Comment mesurez-vous les progrès réalisés en matière de mixité-égalité au sein des forces armées ?

C.B : Ces progrès sont suivis à différents niveaux. Une double gouvernance a été mise en place. Chacun des trois plans, le Plan « mixité », le « Plan « égalité professionnelle » et le Plan « Formation à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la diversité », font l’objet de comités de pilotage sous la direction de la DP mixité : une à deux fois par an, je rencontre les acteurs de ces plans et les responsables de formation pour un faire un bilan, grâce à l’analyse d’indicateurs dédiés, avec les représentants de tous les acteurs du domaine. La deuxième partie de cette gouvernance est assurée au niveau du ministre.

Chaque année, à l’occasion de l’Observatoire de la parité, le ministre se fait présenter les principaux axes d’études de la mixité : le tableau de bord de la féminisation (sur l’évolution de la féminisation au sein des armées), le dispositif de nominations équilibrées (pour accès égal des femmes aux postes de direction du ministère), une présentation Thémis (sur le niveau de signalement des violences et discriminations au sein du ministère) et un état des lieux de l’avancée des mesures du Plan mixité. Dans le cadre de la relance du Plan « mixité », j’ai d’ailleurs présenté au cabinet du ministre un point de situation des mesures du Plan « mixité » actuel.

Diriez-vous que, le ministère des Armées, qui est, tout de même, un environnement majoritairement masculin, aurait peut-être davantage besoin de mixité et d’égalité ?

C.B : Pas plus qu’ailleurs. Pour le personnel civil, selon l’index « égalité dans la fonction publique », le ministère atteint un taux de 94% en 2023. Cela montre qu’en matière d’égalité professionnelle (rémunération, promotions …), le ministère des Armées fait partie des très bons élèves. Pour le personnel militaire, le ministère a fait énormément de progrès dans les années récentes en nommant des femmes à des postes à hautes responsabilités. Aujourd’hui, les axes de renouvellement du Plan « mixité » vont consister à consacrer le même effort à l’ensemble des corps et des grades. Il ne faut plus seulement nous concentrer sur des objectifs chiffrés du nombre d’officiers généraux féminins, ce qui s’inscrivait parfaitement dans le cadre des objectifs de la loi Sauvadet[5], mais élargir les travaux aux femmes militaires du rang et sous-officiers. Tout comme les femmes officiers, ces femmes doivent avoir accès aux fonctions et à la carrière qui correspondent à leurs talents, à leurs compétences et à leurs ambitions. C’est une directive ministérielle forte du nouveau Plan « mixité » : s’attaquer à des axes d’efforts qui ont été moins explorés dans le plan précédent.

 

[1] Le programme EOGS, « European Orientation on Global Strategy », est une formation politico-stratégique récente, organisée chaque année par un pays européen au profit d’officiers supérieurs féminins des armées OTAN et alliées La France prend la relève des Pays-Bas et de l’Allemagne.

[2] Personnes nommées pour la première fois aux principaux emplois supérieurs de la fonction publique.

[3] Initié en 2023 par la signature d’un accord de méthode avec les organisations syndicales représentatives puis lancé en décembre 2023.

[4] Plan national pour l'égalité, contre la haine et les discriminations anti LGBT+.

[5] Loi du 12 mars 2012, relative à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

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