Ordre du jour du CEMAT pour les adieux aux armes du général de corps d'armée Toujouse.

Le 24 juin 1859, les soldats français s’illustrent à Solferino dans une bataille aussi confuse que sanglante. Au soir d’une journée de chaos, une idée neuve s’impose à Henry Dunant : celle d’une solidarité inconditionnelle entre combattants. Cette idée bouleverse les règles de la guerre. De l’observation du combat, de son analyse et de la conviction de servir plus grand que soi naît un progrès considérable. Ce progrès trouve un écho particulier alors que les forces terrestres sont réunies ce soir pour saluer une dernière fois leur chef, le général de corps d’armée Bertrand Toujouse. 

Mon général, votre carrière militaire s’achève à Lille au quartier KLEBER, siège du commandement de la Force opérationnelle terrestre. Au cours de ces trois dernières années, vous l’avez commandé, vous l’avez transformé et vous l’avez modernisé pour apporter une réponse au retour de la guerre en Europe. Point d’orgue de votre engagement, vous y avez déployé la pleine mesure de votre capacité à comprendre, transformer et opérationnaliser. Vous en avez fait un commandement moteur de l’armée de Terre, intégré en interarmées, capable d’agir en coalition. Ce commandement porte votre empreinte : celle d’un homme de caractère et d’instinct, d’un officier créatif et d’un chef collaboratif. 

Homme de caractère d’abord ; celui forgé par votre éducation dans les Landes où vous recevez le goût du service et l’amour de la France en héritage. Vous rejoignez Saint-Cyr et la promotion Général Callies où vos résultats vous distinguent. Attiré par l’action, vous choisissez le 13e Régiment de Dragons Parachutistes où vos qualités d’homme d’action et de chef de terrain s’imposent : rusticité, discernement, capacité à entraîner. Vous quittez ensuite le monde des opérations spéciales fait de furtivité et de discrétion pour rejoindre celui de la masse et du choc en servant au 501e régiment de Chars de Combat où vous transformez le 3e escadron d’AMX 30 en chars Leclerc, avec le goût du défi technique et humain. Votre intelligence lucide et votre caractère déterminé guident toute votre carrière. Ils vous empêchent de vous arrêter aux obstacles. Qu’il s’agisse des jungles d’Amérique du Sud ou des ruines de Mossoul, vous assumez le risque avec courage, exigence et exemplarité. Votre force d’âme s’impose dans toutes les conditions, jusque dans les périodes les plus critiques, dans l’aridité des états-majors centraux comme dans les responsabilités de commandement. Vous êtes un officier de conviction, qui ne transige ni avec la mission, ni avec l’homme. Vos subordonnés témoignent de cette inaltérable détermination. 

Mon Général, vous vous distinguez aussi par votre esprit créatif. Vous puisez dans vos passions, de la lecture au terrain de rugby, du piano aux voyages à travers l’Europe, une culture riche et la marque des esprits ouverts qui cernent avec acuité. Elle vous permet de voir juste, d’analyser vite, de conseiller vrai. Cette remarquable faculté d’appréciation a toujours été appréciée par vos chefs jusqu’au plus haut niveau. Vous avez surtout mis votre pensée structurée et votre approche systémique au profit des unités que vous serviez. Au Commandement des Opérations Spéciales, à la Direction du Renseignement Militaire, comme à la tête des forces terrestres, vous avez su distinguer, concevoir et conduire les transformations qui se sont imposées d’évidence a posteriori. Vous avez anticipé les ruptures : hybridation des réseaux, centralité de la donnée, allègement du commandement, réalignement doctrinal autour des finalités opérationnelles. Vous avez donné une cohérence et une profondeur à ces évolutions, en les articulant autour d’une vision forte : celle d’une armée de Terre moderne, crédible, et résolument interalliée. L’organisation des commandements « Alpha », et la régionalisation des divisions appartiendront à votre legs. Votre grand succès restera la création et l’opérationnalisation du Commandement Terre Europe. Il offre à l’armée de Terre une capacité d’action et de commandement au niveau opératif, un poids stratégique nouveau. Comme le général Mc Chrystal que vous citez souvent, vous avez su rompre avec les modèles établis pour bâtir un système cohérent, agile, opérationnel.

Mon Général, votre force de caractère ne vous a pas empêché d’être toujours au service du bien commun. Ces succès sont les vôtres mais vous avez su les porter avec un sens collectif admirable. Vous avez incarné l’esprit collaboratif depuis vos premières fonctions de chef d’équipe de recherche aéroportée jusqu’à votre dernier commandement. Cet esprit vous a animé avec vos pairs et vos subordonnés en ex-Yougoslavie comme lieutenant et capitaine, en Afghanistan en tant que chef de la conduite des opérations du Task Group Arès, ou encore en Irak, à la tête de la Task Force Hydra lors des batailles de Mossoul et de Raqqa. Ce sens du collectif vous guide encore à la tête du Commandement Terre Europe où vous avez patiemment construit un réseau de confiance avec nos alliés. En sillonnant l’Europe à la rencontre de vos homologues, vous avez contribué à faire de la France un acteur majeur de la défense collective de notre continent. 

Un officier laisse toujours une empreinte. La vôtre est celle de l’élan et de la droiture. Durant toute votre carrière, vous avez inventé et vous avez construit ; vous avez tracé la voie et vous avez entrainé. L’assurance dont vous faites preuve rassure vos subordonnés. L’intérêt et la considération manifestes que vous leur portez les poussent au dépassement. Vous avez enjoint à vos subordonnés de tenir la promesse de leur vie, j’atteste qu’au cours de ces trente-neuf années vous avez tenu la vôtre, vous l’avez même fait « au delà du possible ». 

Bertrand, à l’heure où tu es délié de l’obligation de disponibilité au service de la France, je salue ton épouse Véronique et vos enfants qui vous entourent aujourd’hui comme ils vous ont suivi dans toute cette vie d’officier. J’adresse à ta famille et à toi-même ma reconnaissance. En mon nom personnel, je te remercie pour l’exemple que tu as donné. Au nom de l’armée de Terre, je te remercie pour l’officier que tu es.