Stress de combat, stress post-traumatique et blessures psychiques
La Grande Guerre fournit l’occasion aux psychiatres militaires et aux psychanalystes d’appliquer aux anciens combattants les résultats des recherches sur les traumatismes de l’âme.
Les Américains, après la Guerre du Vietnam, furent confrontés à une inflation de cas au point qu’ils firent entrer le terme de syndrome de stress post-traumatique dans leur classification des maladies mentales en 1980, imités par les Français en 1992. Celui-ci est difficile à quantifier et seuls les Américains s’y sont aventurés, proposant un taux de 20 % de combattants concernés. Compte tenu de l’ampleur des traumatismes psychiques de guerre, auxquels s’ajoutent ceux causés par le terrorisme, les services de santé des armées se mobilisent.
Il s’agit de prévenir, si possible, et de guérir ou, du moins, d’atténuer ces « blessures invisibles », dans le but de retrouver un militaire apte au combat ou un civil bien intégré dans la société et dans sa famille. Les progrès dans l’observation du cerveau montrent que celui-ci est transformé par le traumatisme mais également par la résilience si des proches ou des soignants servent de « tuteurs de résilience », selon l’expression popularisée par Boris Cyrulnik.
« Ces troubles psychiques consécutifs au stress du combat doivent être bien connus des médecins militaires, car leur prise en charge précoce évite les évolutions pathologiques chroniques. D’autre part, les facteurs nocifs du stress de combat doivent être bien connus du commandement, à des fins de mise en place de mesures préventives adéquates. » (p.66)
Né en 1928, le médecin général Louis Crocq est doté d’une longue expérience qui lui a fait connaître des vétérans de la Grande Guerre encore atteints de trouble stress post-traumatique dans les années 1970. Il est l’auteur des Traumatismes psychiques de guerre paru en 1999 chez Odile Jacob ; invité à résumer cet ouvrage dans une contribution portant le même titre, il collabore à Guerre et psychologie, ouvrage dirigé par Jean Baechler et Laure Bardiès chez Hermann en 2018. Ici, Louis Crocq centre son propos sur le trouble stress post-traumatique qui « comprend – outre les situations de combat – toutes les situations traumatisantes du temps de paix : agressions physiques, viols, accidents et catastrophes. ». Il reconnaît néanmoins que la guerre fournit de nombreux facteurs déclenchant des traumatismes psychiques, facteurs qu’il énumère minutieusement dans l’intention d’aider l’institution militaire à prévenir leur survenue. Très expérimenté sur le plan clinique, il est en mesure d’en énumérer tous les types de symptômes, typiques et parfois très invalidants.
Il attire l’attention sur les trois phases qui suivent l’événement déclencheur car, selon lui, le temps long n’efface pas automatiquement le mal. La réaction immédiate de stress, d’une durée de quelques heures, est normale ou adaptée dans la majorité des cas - mais parfois pathologique et, dans ce cas, appelée stress dépassé ou traumatique. La période post-immédiate (du deuxième au trentième jour) voit le stress adapté évoluer favorablement ou non et le stress dépassé. Enfin, pendant la période différée-chronique, s’installe une névrose traumatique avec des symptômes de reviviscence intrusive très caractéristiques (des flashbacks en anglais), l’altération de la personnalité - autrement dit des fonctions du moi -, les symptômes non spécifiques physiques ou psychiques. C’est Louis Crocq qui expose le plus clairement, sur le thème du stress post-traumatique, la différence entre la Classification internationale des maladies mentales, d’origine européenne, et la nosographie américaine du DSM (Diagnosis and statistical manual of mental disorders) qui tend à s’imposer à tous de facto : les première et deuxième phases sont confondues par cette dernière sous le terme « trouble stress aigu ». Selon Louis Crocq, la confrontation avec la mort doit avoir été vécue par l’individu lui-même pour constituer un traumatisme psychique de guerre, tandis que l’expérience du deuil d’un proche relève d’une autre nature.
« En fait, je me suis senti bien pendant presque un an. Ce sont mes proches qui m’ont vu sombrer, lentement, inexorablement. On entend parler des stress post-traumatiques durant la MCP[1], on en entend parler quand on rentre, on fait attention à ses subordonnés mais pas à soi. Je ne me suis pas vu partir et j’ai failli tout perdre. » (p.105)
Cet ouvrage permet de comprendre la souffrance d’un capitaine ayant participé à l’opération Barkhane en 2016 dont il est revenu atteint de stress post-traumatique. Lors d’un convoi (nommé Hérault 14) reliant Kidal à Abeïbara, qu’il dirigeait en tant qu’officier de l’arme du train, un engin explosif improvisé (IED) a blessé plusieurs hommes et a tué le sous-officier adjoint. Obsédé par cette perte plus que par son propre état de santé, il a souhaité rendre hommage, à travers ce projet éditorial, au frère d’arme disparu, plusieurs contributeurs notant la similitude de prénom entre l’adjudant décédé et son chef de convoi.
Sous la forme de témoignages de treize acteurs et témoins de cette tragédie, du REPCOMANFOR à celui du chef de patrouille de tête, l’ouvrage s’attache à relater dans toutes ses dimensions cet épisode tragique, de l’attaque du convoi jusqu’aux répercussions à court et long terme des traumas psychiques et physiques, en passant par l'annonce du décès et la nécessaire poursuite des opérations.
Ce n’est que dans l’épilogue (p.104-114) que Fabien Lemaire témoigne de son état d’esprit au retour de la mission et des altérations de comportement qu’il s’est d’abord cru assez fort pour maîtriser sans médicaments, avant de recourir à cette chimie et jusqu’à l’hospitalisation à la demande d’un tiers. Il en évoque aussi les répercussions sur sa concentration, désormais défectueuse, et son échec au concours de l’École de guerre et au diplôme technique. Avec un tour plus personnel et émouvant, Fabien Lemaire, ce « blessé invisible » atteint d’un syndrome post-traumatique, donne à saisir ce que sous-tend l’épreuve humaine sur d’un théâtre d’opérations, ses risques et ses traumatismes : entre le devoir du combattant dans la mission Barkhane et les défis personnels, il s’agit d’aller « au bout de son engagement […] avec les blessures physiques et psychiques qu’elles occasionnent», comme le souligne dans sa préface le général de corps d’armée de Woillemont.
[1] MCP : Mise en condition avant projection
« Tous ont témoigné pour que cela se sache, pour que ces regards interloqués quand ils ne sont pas méfiants, par ignorance surtout, cessent. L’immense mérite de leurs témoignages sera d’ouvrir les yeux des ignorants, qui désormais ne pourront plus continuer d’ignorer, devront s’ajuster aux besoins réels et non fictifs, imaginés, supposés ou souhaités. » (p.23)
L’auteur, photographe et grand reporter, donne la parole à plusieurs anciens des opérations extérieures victimes de stress post-traumatique. A travers les nombreuses citations des vétérans et les commentaires de Nicolas Mingasson, perce une critique du commandement. Celui-ci contrarierait les soucis éthiques légitimes des soldats, serait imprégné d’une « culture militaire ne laissant pas de place aux faibles », ferait peu de cas des réticences à participer à une deuxième OPEX. Le retour à la vie civile induit de graves altérations du comportement comme si la guerre subsistait en soi (irritabilité, manque de motivation, cauchemars et reviviscences, alcoolisme et violence (même chez les femmes), hyper vigilance. Au régiment, les chefs font fréquemment preuve d’incompréhension et de manque de reconnaissance en négligeant les remises de médailles. Vivre sans la guerre, pour les personnes interrogées, c’est « tenir bon » et « rebondir ». Dans le chapitre « Dégâts collatéraux », l’auteur souligne le désarroi des conjointes qui se sentent mal informées, peu comprises, peu aidées et sauvées uniquement grâce à leur profession et leurs amies. Les enfants et les parents, également interrogés, font part des mêmes difficultés.
« En sociologie du fait militaire, il est admis que, parmi les espaces de la reconstruction, le régiment aide à la réinsertion du militaire atteint d’un état de stress post-traumatique (ESPT). Dans le processus du retour du soldat blessé à une vie ordinaire, la famille représente l’autre maillon de la réhabilitation. » (p.11)
Pourquoi étudier l’intime et la famille ? Confronté à une expérience qu’il ne peut élaborer, l’intime se déverse vers l’extérieur. Il a des conséquences sur les relations sociales, professionnelles et familiales du soldat blessé psychiquement. Celui-ci doit donc les retisser. La famille elle-même est lourdement affectée par la présence de celui qui se sent revenu de la mort comme elle l’a préalablement été par son absence. L’ouvrage accorde une place importante aux témoignages des conjoints et enfants de militaires atteints de stress post-traumatique. Dans certains cas, de plus en plus nombreux, l’épouse est elle-même membre de l’armée, ce qui peut faciliter la réinsertion. En effet et paradoxalement, la famille est un ensemble d’« autruis significatifs » sur lesquels le soldat s’appuie. Ces aidants ont besoin d’être aidés.
L’ouvrage fournit des repères intellectuels, historiques en premier lieu, plaçant le stress post-traumatique surtout en rapport avec l’évolution technologique de la guerre, tout en regrettant le manque de travaux sur les familles. Un exemple de thérapie familiale d’inspiration psychanalytique pour aider un couple frappé et divisé par ce mal à se réconcilier, est fourni. Dans le cadre de la Fédération nationale des anciens des missions extérieures, non directement dépendant du ministère des Armées, le souci de rigueur est marqué par la présentation des résultats d’un questionnaire adressé aux militaires et à leurs conjoints ; il concerne leurs besoins, dont le principal est finalement le lien affectif, comme le pensent Louis Crocq et Bowlby qui sont cités. Pour faire face au drame, l’armée française dispose de la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre qui a pour but de « ne laisser personne au bord de la route », les militaires comme leurs familles. Si les couples sont moins stables de nos jours, la paternité, dépourvue de tout patriarcat, devient un enjeu plus fort et cette tendance générale imprègne les jeunes soldats malgré leurs absences. Concrètement, le conjoint, surtout s’il est soutenu, peut aider le blessé psychique en lui restituant une image positive de lui-même. L’association Ad Augusta a pour souci principal l’accompagnement des soldats intérieurement blessés et, corrélativement, de leurs familles. La résilience est abordée dans la conclusion qui rappelle qu’elle est maintenant entendue, à l’instar de Norbert Elias et de Boris Cyrulnik, comme une interaction (voire un enchevêtrement) évolutive d’un individu, de sa famille et de la société (plus, ici, l’armée).
« Changing the discursive frame of PTSD from an independant entity causing illness to a person managing concepts and values in conversation with real and virtual others about a matter of existential importance changes the language game of the traditional approach entirely. In this revised discursive frame, PTSD is a qualitatively different kind of response to stress, not a quantitatively different degree of stress. The difference is made by the person who is embodying the response, who understands the stressor to be of critical importance existentially. » (p.287)
L’auteur est un anthropologue du domaine socio-culturel qui, après avoir travaillé pour le corps des Marines où il a pu observer l’importance des valeurs, est devenu universitaire et chercheur indépendant. Dans cet ouvrage à la conclusion éclairante, il s’inscrit vigoureusement en faux contre le scientisme et le matérialisme dérivés du cartésianisme qui cherchent des causes directes, linéaires et physiques à des comportements humains. Il se réclame au contraire du courant du Nouveau réalisme qui, selon lui, n’est en rien un antihumanisme. Il reproche aux médecins et psychologues de tomber dans ce travers déterministe, ce qu’il appelle l’« approche traditionnelle », et de considérer les « who » comme des « what », les personnes comme des objets. Un mot apparaît très fréquemment sous sa plume, celui d’« agency », capacité d’être acteur. Il s’en prend à cet égard à la doctrine des Marines qui déplore que « la biologie nous prive de notre liberté » et qui réduit la formule « le cerveau agit comme s’il était une personne » à « le cerveau est une personne ». Comment rendre compte alors de la capacité propre à l’être humain à chercher et à donner un sens aux choses en même temps qu’il les perçoit ? Il fournit et étudie un exemple en détail au chapitre 4 : « Idéologie et auto-défaite » et au chapitre 5 : « Immoralité et auto-défaite » : le sergent Stevens, qui ne fait pas usage de son arme contre un Irakien comme attendu, obéit non à une loi naturelle qui serait universelle, mais à une loi particulière, le commandement de ne pas tuer, propre à la culture du monde euro-atlantique ; la publication par Stevens d’un ouvrage sur ces événements est le signe de son malaise existentiel : il se demande s’il est un vrai Marine dont le devoir est de protéger ses camarades et qui doit (« must ») tuer toute personne semblant présenter une menace sur un théâtre donné. Tortorello s’efforce ensuite de remplacer la philosophie qui sous-tend l’approche traditionnelle par celle du Nouveau réalisme. C’est un réalisme puisque c’est la prise en compte des aspects non individualistes d’un comportement, non attachés à la survie de l’individu, non darwiniens et même non attachés à la survie d’un groupe particulier, comme celui des Marines. En somme, l’auteur met en évidence un paradoxe : il est réaliste de penser que les humains ne sont pas forcément tendus vers leur survie et leur reproduction mais plutôt mus par des idéaux. Pour Tortorello, le stress, le trouble de stress post-traumatique (PTSD) et la résilience sont des manières d’être, la concrétisation (« embodiement ») d’un conflit de valeurs. C’est pourquoi les thérapies dites de « l’exposition prolongée » aux causes du stress ne servent selon lui à rien, si ce n’est à susciter la colère chez une personne dont la capacité d’être un agent vient d’être niée.
« It has also inspired some important outreach work such as the Theater of War Project , founded by Bryan Doerries and Phyllis Kaufman , which uses dramatic readings and performance of historic literature followed by town hall-style discussions to highlight key social issues including war and mental health. In many ways, this is where the concept of ancient PTSD was first proposed, in the revolutioning work of Dr. Jonathan Shay who used the Homeric epics, the Iliad and the Odyssey, to help his Vietnam veteran clients navigate their own experiences of war and trauma. » (p.5)
Cet ouvrage rassemble huit contributions d’historiens, principalement britanniques, pour étudier les conséquences des guerres sur les communautés et les individus dans la Grèce ancienne, pour trois d’entre elles, dans l’Antiquité romaine pour les deux suivantes, pendant le Moyen âge européen des Croisades et de l’Islande et, enfin, lors de la guerre civile du XVIIe siècle en Angleterre. Owen Rees, en sa qualité d’historien mais également d’historiographe, souligne d’emblée le présupposé universaliste à l’origine des tentatives de diagnostiquer de manière rétrospective des maladies mentales et notamment le stress post-traumatique, plus encore dans des œuvres littéraires, alors que la médecine elle-même n’est pas une « science dure », enracinée qu’elle est dans telle ou telle culture. Le risque de présentisme est donc bien réel selon lui.
Giorgia Proietti, de l’Université de Trente, est la première à relever ce redoutable défi méthodologique. Elle arrive à discerner, dans Les Perses d’Eschyle, une invitation à s’identifier aux personnages puis à s’en écarter, c’est-à-dire la possibilité d’une catharsis, mais pour une collectivité. Constantine Christoforou, de l’Université de Roehampton à Londres, propose une réponse au débat entre universalistes et relativistes, par l’utilisation des textes littéraires justement. Ils nous renseignent sur les émotions des Anciens, notamment la colère, à travers les concepts d’« hybris » (hubris, démesure), de « timè » (crainte) et d’« aidos » (honte). Andrew Fair, enseignant à l’Université de Manchester et se réclamant de l’empirisme anglo-saxon, et Joan Ball de l’Université de Liverpool, proposent deux interprétations du droit romain qui assimile clairement le suicide d’un soldat à la désertion mais auquel Hadrien a accordé une exception en cas de fatigue de la vie. Kathryn Hurlock, de l’Université de Manchester, s’appuie sur les récits des Croisades pour trouver des traces de blessures morales chez des chevaliers, notamment après des trahisons de leurs chefs. Dans les sagas islandaises, d’après Chelsea Grosskopf de l’Université de Reykyavik, il est possible de trouver des personnages aux comportements anormaux pour l’époque, par exemple le refus de combattre ou, au contraire, la rage incontrôlée au retour de la guerre. Étudier la résilience des femmes et des enfants confrontés aux guerres civiles anglaises du début du XVIIe siècle peut sembler une gageure, compte tenu du caractère très contemporain des concepts : selon Ismini Pells, de l’Université d’Oxford, la religion, la famille et la communauté, les convictions politiques et même la pauvreté et le travail pouvaient leur fournir des occasions d’exister ou de rebondir.
« Taking the path initiated by the predecessors ahead, The Routledge International Handbook of Military Psychology and Mental Health is an endeavour to dedicate scientific focus to the service of those who dedicate their lives in the service of their nations » (p. XLIII)
Le directeur de cette publication est chercheur en psychologie militaire au ministère indien de la Défense. Il a rassemblé trente-cinq confrères et consœurs issus de tous les continents pour faire le point sur la littérature scientifique en ce domaine et ouvrir de nouvelles voies à explorer. Les huit premiers chapitres exposent les principes et les bases de la psychologie militaire en tant que discipline des temps de guerre mais aussi des temps de paix, la confrontant avec d’autres disciplines comme la polémologie (seule allusion à un auteur francophone, Gaston Bouthoul), la prospective, la technologie, l’interprétation de textes anciens, l’éthique.
Les applications pratiques se déclinent quant à elles en huit contributions sur le recrutement, la formation de soldats dotés de bravoure et de résilience et surtout de chefs (« shaping military leaders »), sur la gestion du retour en famille enfin. La focale se rapproche ensuite de la santé mentale des militaires et victimes ou témoins d’événements traumatisants et atteints d’épuisement total (« burnout »). Trois contributions traitent du stress post-traumatique sans le nommer. Maria José Chambel, Silvia Lopes, Filipa Castanheira et Carolina Rodrigues-Silveira, dans « Military burnout and work engagement », constatent que les travaux sur le sujet sont le fait de psychologues ou de médecins et ne mentionnent que le mal-être, le burnout, alors que la focalisation sur le bien-être et l’implication dans le travail (par la fourniture de matériel suffisant et adéquat et grâce à un leadership de qualité) a une incidence directe sur la performance, chez les civils comme les militaires. Yonel Ricardo de Souza et Fabio Biasotto Feitosa, dans « Stress, burnout and coping in the military environment », insistent sur la différence constatée entre le stress physique et la manière dont est perçue la situation stressante. Pour eux, la troisième phase de la réaction au stress, celle de l’épuisement, peut être traitée par l’apprentissage de l’adaptation (« coping ») lors de l’entraînement. Selon Vijay Parkash, (« Stress experiences and abilities to cope »), il est possible de s’inspirer de modèles transactionnels ou interactionnels (entre l’individu et son environnement), étudiés chez les civils, pour les adapter aux militaires - même s’il est impossible de reconstituer les conditions du combat pendant la formation. Quelques gros plans sont proposés ensuite sur le suicide des militaires, les agressions sexuelles ou les otages et même sur les spécificités des femmes placées dans ces situations.
« Cet ouvrage rassemblant les actes enrichis du colloque du 28 septembre 2022 sur l’optimisation de la gestion du stress expose cette approche très française faite à la fois de recherches de pointe, de souci de rester opératoires et de prudence dans les objectifs et les méthodes. » (p.12)
Ce cahier spécial de la RDN regroupe les actes du colloque organisé par l’Académie militaire de Saint Cyr Coëtquidan (AMSCC) et l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA). Il est introduit par le colonel Hubert Serizier, commandant en second de l’AMSCC, et conclu par le général Thierry Chigot, directeur adjoint du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement. Trois médecins-chefs de l’Institut de recherche biomédicale des armées définissent le sujet ; plusieurs officiers de différentes armes et armées, auxquels s’adjoint le colonel Michel Goya en tant qu’expert militaire, décrivent et analysent leur vécu du stress en opération. La troisième partie, intitulée « contre-mesures » alterne les médecins militaires, des membres de l’INSERM à Lyon et des enseignants, dont l’un d’entre eux déclare exposer un point de vue officiel. En fin de volume, les enjeux éthiques, font l’objet d’articles spécifiques.
Entièrement consacré à la gestion optimale du stress dans les armées (surtout l’armée de Terre), ce hors-série est d’autant plus intéressant que ses auteurs sont en mesure de tirer parti, avec une rigueur toute scientifique, des progrès énormes de l’imagerie cérébrale pour identifier les organes concernés (système sympathique et parasympathique, amygdales, cortex préfrontal) et les substances qu’ils sécrètent, dont le cortisol. Un constat ressort : le stress est un élément positif avant et pendant une action. En cas de réaction de stress déconnectée du facteur (aigu ou chronique) qui l’a déclenchée, il est possible de pratiquer les Techniques d’optimisation du stress, devenues officiellement la Gestion optimale du stress, pendant les différentes phases de l’entraînement et de la préparation de l’opération, au cours de celle-ci et ensuite ; l’AMSCC est en pointe sur ce sujet. De plus, les techniques de développement personnel (méditation de pleine conscience, respiration, cohérence cardiaque) se voient, la plupart du temps, justifiées au regard des IRM.
L’éthique joue un rôle central pour le combattant car elle le constitue et le place en butte aux contraintes extrêmement fortes du champ de bataille. En 2017, le Centre de recherche de Coëtquidan avait organisé un colloque sur le « Soldat augmenté » et l’idée qui en était ressortie, notamment dans la revue Inflexions, était que celui-ci n’existait pas ou plutôt qu’il était un être humain normal très bien sélectionné et formé. Le numéro actuel de la RDN souligne l’importance accordée par les armées à ce sujet et, plus généralement, aux forces morales autrefois prônées par Ardant du Picq. Cette préoccupation des armées, apparue lors de la Grande Guerre puis des enseignements tirés par Israël de la guerre du Kippour (partagés ensuite avec les Français) et enfin en Afghanistan est aujourd’hui avivée par la perspective de combats de haute intensité. Par ailleurs, ce hors-série de la RDN s’inscrit dans un triptyque consacré aux contraintes physiologiques subies par les militaires en opérations : le sommeil a déjà fait l’objet d’un numéro fin 2022 et la surcharge cognitive sera traitée sous le même format fin 2024.
« The third and largest section: « Engaging moral injury (diverse perspectives and ressources). »
Dans cet ouvrage sur un concept bien distinct du trouble stress post-traumatique, le professeur de théologie à Point Loma Nazarene University en Californie Brad Kelle, a demandé aux contributeurs de cet ouvrage : psychologues, vétérans, universitaires ou aumôniers militaires, d’éclairer leurs collègues opérant sur le terrain des derniers développements des travaux sur la blessure morale (« moral injury », au sens du mot latin « injuria »). Même si aucun texte officiel ne reconnaît ce phénomène, une définition précise en est ici fournie : un sentiment profond de culpabilité et de honte chez une personne après avoir commis ou laissé commettre un acte que sa morale réprouve. Ce sentiment se double d’une forte impression de trahison si les faits sont commis par un dépositaire d’autorité sur le soldat, alors que les victimes de stress post-traumatique sont, elles, envahies par la peur. Si le risque de dépression et de perte de sens est alors réel, il ne s’agit pas en revanche du stress post-traumatique, non plus que d’une maladie, mais plutôt d’une réaction normale de honte - quand la personne atteinte de traumatisme psychique a pour sa part vécu, directement ou indirectement, une menace.
Pour remédier à ce mal profond qu’est néanmoins la blessure morale, il est proposé d’en transférer la charge à la « communauté », à la fois productrice des normes morales et de leur infraction, dont tous les membres doivent se sentir concernés. Outre des rites qui peuvent s’apparenter à une thérapie comportementale, la communauté est familière avec les Écritures[1] et des sociétés de l’Antiquité dans lesquelles le collectif prime sur l’individu. Leur étude, en particulier celle de la Bible qui contient des passages guerriers, sont susceptibles de résonner à l’esprit du soldat contemporain. Il en va de même pour le Nouveau Testament qui met en scène des trahisons célèbres ou certains dogmes chrétiens comme « l’homme créé à l’image de Dieu » ou le « péché originel » qui peuvent rendre son humanité au soldat qui s’en croyait privé par sa faute.
[1] Référence est faite au psychiatre Jonathan Shay, familier des mythes grecs dans ses ouvrages Achilles in Vietnam en 2002 et Odysseus in America en 1994
« Therefore, this handbook provides an overview of relevant issues, which can be applied in the training of specialized forces of both military and civil police …» (p.XI-XII)
La psychologie militaire appliquée et la psychologie opérationnelle sont pratiquées au sein du Service psychologique de la Bundeswehr. Les auteurs sont principalement des psychologues militaires, pour certains spécialisés en psychologie opérationnelle ou en poste dans la police militaire de la Bundeswehr (Feldjäger).
Il s’agit d’un véritable manuel, assorti de nombreux schémas, dont le rôle est de présenter ce corps particulièrement concerné par le stress post-traumatique en tant qu’il est confronté de manière habituelle à des scènes de crimes, chargé d’interroger des personnes traumatisées - au risque de raviver leurs blessures psychiques, amené à fournir de premières informations sur les possibilités de soins, et surtout, en tant que régulateur, responsable des effets d’une dommageable stigmatisation. La résilience et sa pertinence en matière de formation « constituent le fil d'or de ce manuel, car elles sont considérées comme des facteurs cruciaux de réussite ». Parmi les thèmes abordés au gré des différents chapitres, la psychologie opérationnelle concerne ici plus particulièrement la cybercriminalité ou les agressions sexuelles, ainsi que l’usage d’armes pour tuer. L’examen, en 2016, des déterminants de la résilience par Masten, l’un des pionniers de ce concept dans les pays anglo-saxons, invite à l’inclure dans la formation des personnels de la police militaire.
La psycho-traumatologie doit également être bien connue et les symptômes soigneusement distingués des facteurs de stress, la gestion de stress requérant par ailleurs une formation spécifique.
[Toutes les références citées sont consultables au CDEM, sous forme imprimée ou électronique selon les cas]
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