Stratégie de défense pour l'Arctique (FR/UK)

L'Arctique est un espace stratégique croissant. Les effets du changement climatique accentuent les fragilités écologiques et sécuritaires. La compétition stratégique s’y intensifie : l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les équilibres régionaux, entraînant un basculement stratégique majeur avec sept des huit États riverains membres de l’OTAN. Dans ce contexte, le ministère des Armées s'est doté d'une stratégie de défense pour l'Arctique, à horizon 2030, pilotée par la DGRIS.

Stratégie de défense pour l'Arctique. © ministère des Armées

Contexte stratégique de la région Arctique

L’Arctique est une zone en mutation rapide, principalement sous l’effet du changement climatique. Il révèle son potentiel en ressources naturelles, aujourd’hui exploitables, redessine les cartes géopolitiques et constitue un terrain renouvelé de compétition internationale et de stratégies d’accès. L’Arctique devient également un point d’appui stratégique et d’observation avancée sur certains compétiteurs de la France, tout en offrant aux armées françaises un terrain de préparation opérationnelle dans un environnement extrême et exigeant. Ces perspectives confèrent à la région une importance stratégique inédite. 

Les changements climatiques apparaissent deux fois plus rapides en Arctique que dans le reste du monde. La fonte du pergélisol risque d’accélérer davantage le réchauffement planétaire, le volume de CO2 piégé dans ce dernier équivalant au double du CO2 déjà présent dans l’atmosphère. En outre, la région Arctique renfermerait 13 % des ressources pétrolières et 30 % des ressources de gaz naturel non encore découvertes dans le monde, ainsi qu’un potentiel de 127 millions de tonnes de terres rares et métaux critiques, en deuxième position derrière la Chine (161 millions de tonnes). Cette concentration de ressources stratégiques confère à l’Arctique un rôle déterminant pour l’autonomie énergétique, industrielle et technologique de l’Europe. Dans ce contexte, les fonds marins arctiques suscitent des convoitises croissantes, illustrées par des demandes concurrentes d’extension des plateaux continentaux de plusieurs États riverains. 

De nouvelles routes de navigation sont désormais rendues praticables par le recul de la couverture glaciaire, notamment en période estivale. Le « passage du Nord-Est », également appelé Route maritime du Nord, permet de relier l’Europe à la Chine en longeant les côtes nord et est de la Russie. S’il revêt un intérêt stratégique pour les exportations de gaz naturel liquéfié russe, il reste encore marginal pour le trafic commercial. Toutefois, il permettrait de réduire la durée du trajet entre l’Europe et l’Asie de près de 40 %, entraînant une économie conséquente des coûts de transport. L’armateur chinois COSCO envisagerait ainsi d’ouvrir une route régulière de porte-conteneurs, et l’initiative chinoise « Belt and Road Initiative » prévoit une route maritime passant par l’Arctique. Cependant, l’ampleur de ce potentiel économique reste encore incertaine, car des doutes sérieux persistent quant au calendrier et à la faisabilité concrète de son exploitation effective. 

L’Arctique exerçait dès avant le conflit en Ukraine un pouvoir d’attraction croissant, comme en témoignait l’intérêt grandissant pour le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. Créé par la déclaration d’Ottawa en 1996, cet organe de coopération intergouvernementale regroupe les huit États riverains de la région. Par la déclaration d’Ilulissat du 28 mai 2008, les pays riverains ont fait le choix d’une gouvernance fondée sur la coopération, en dehors de tout cadre juridiquement contraignant. En 2013, plusieurs États asiatiques (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Singapour) et européens (France, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni) ont obtenu le statut d’observateur, la Suisse ayant rejoint ce groupe en 2017. 

L’Arctique est également un espace où se déploient les outils de puissance des principaux compétiteurs stratégiques de la France, avec un double objectif : d’une part, tirer parti des avantages stratégiques de la région, tels que l’accès aux océans et la réduction des temps de vol pour l’aviation à long rayon d’action et, d’autre part, se prémunir contre les vulnérabilités engendrées par l’évolution du contexte géopolitique, en sécurisant les ressources et voies de communication. L’Arctique fait donc figure à la fois de rempart stratégique face aux velléités de projection russes ou chinoises vers l’Atlantique Nord, et de zone de stabilité sur le flanc Nord de l’Europe. Ce nouveau rôle sécuritaire de la région, accentué par la guerre en Ukraine, alimente les inquiétudes des partenaires régionaux, qui renforcent leur posture de défense et intensifient leurs coopérations tant au sein de l’OTAN qu’à travers des partenariats bilatéraux.

Enjeux stratégiques de Défense et zone d'intérêt prioritaire

Désigné comme un « espace de confrontation envisageable », l’Arctique présente des intérêts globaux pour la France. L’Arctique s’inscrit non seulement dans la profondeur stratégique de la France, mais constitue également un gisement d’activités qui intéressent directement la France et ses Alliés, qu’il s’agisse des ressources naturelles, du transport ou de la recherche scientifique. Il offre en outre des opportunités opérationnelles dans les domaines maritime, terrestre, aérien et spatial, avec un potentiel de points d’appui facilitant la projection, la surveillance et la préparation des forces dans des conditions extrêmes.

Par ailleurs, la guerre en Ukraine a profondément fragilisé l’exception polaire tacite qui, jusqu’alors, garantissait la stabilité de la région et il est désormais essentiel d’intégrer dès à présent cette zone dans les réflexions stratégiques, afin d’anticiper les dynamiques futures et de préserver ainsi les intérêts français. 

Le premier enjeu stratégique relève de la responsabilité internationale de la France. Le statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies oblige la France à assumer son statut dans l’ensemble des espaces contestés. Dans l’espace euro-atlantique, sa place au sein de l’OTAN et de l’UE implique une évidente solidarité stratégique avec sept des huit membres du Conseil de l’Arctique, pouvant aller jusqu’à la mise en œuvre de la défense collective ou mutuelle, à travers l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord ou l’article 42.7 du traité de l’Union européenne. La France peut donc être amenée à soutenir un État allié ou à contribuer au maintien de la stabilité de la zone, y compris par l’engagement de ses forces militaires. Par ailleurs, l’adhésion de la Suède et de la Finlande renforce encore le poids de la représentation de l’OTAN au sein de l’Arctique, qui constitue désormais un flanc stratégique essentiel de l’espace euro-atlantique. 

Le deuxième enjeu stratégique réside dans l’accès à l’espace arctique aux forces armées françaises face à la contestation croissante des compétiteurs et dans le risque d’un débordement de puissance en Atlantique Nord. Les évolutions géographiques qui touchent l’Arctique entraînent une proximité croissante entre deux régions majeures dans la compétition mondiale : l’Europe et le Pacifique. Ces évolutions auront un impact significatif sur les forces armées françaises, qui doivent préserver leur capacité à opérer dans l’Arctique, région au sein de laquelle la posture militaire de certains compétiteurs évolue rapidement, notamment à travers la modernisation de leurs capacités et le développement d’infrastructures duales. Cette dynamique nécessite de renforcer la liberté d’action de la France, notamment par l’identification de points d’appui et la consolidation de sa connaissance du théâtre. 

Le troisième enjeu stratégique concerne la sécurité des approvisionnements de la France et de l’Union européenne, en particulier dans les domaines énergétique et minier — tant au niveau des chaînes d’exploitation que des routes de transport. Les ressources considérables en minerais stratégiques dans la région, notamment en terres rares, nickel, cobalt et graphite, revêtent une importance croissante pour l’autonomie stratégique européenne. Les nouvelles voies commerciales, que la fonte des glaces va régulièrement ouvrir, présenteront par ailleurs un intérêt majeur pour l’économie française comme européenne – et notamment pour les armateurs dont l’activité devra être protégée. De nouvelles routes aériennes polaires s’ouvrent également, grâce aux avancées en navigation circumpolaire, offrant des perspectives accrues de connectivité. 

Enfin le dernier enjeu stratégique porte sur la protection des biens et des personnes, français ou européens. Dans cette région isolée, le ministère des Armées est aujourd’hui le seul acteur étatique disposant des capacités techniques pour se déployer en Arctique. Les armées pourraient donc être sollicitées pour soutenir le secteur civil dans le cadre d’un service public élargi à cette zone. Cela inclurait notamment des opérations de recherche et de sauvetage, ainsi que des actions de prévention et de réponse à des incidents environnementaux, telles que la lutte contre une pollution accidentelle. La France, dans ce cadre, peut aussi jouer un rôle stabilisateur et structurant auprès des pays riverains, en proposant une contribution politique, opérationnelle et capacitaire à la consolidation de leur souveraineté et de leur résilience. 

Ainsi, dans cet espace très étendu – qui représente six fois la superficie de la mer Méditerranée, la zone située à la périphérie immédiate de l’Europe constitue pour la France une zone d’intérêt prioritaire naturelle au sein de laquelle elle doit préserver son influence et sa liberté d’action. Du Groenland au Svalbard, cette région concentre également les intérêts des Alliés européens de la France et ceux de l’OTAN.

Objectifs stratégiques de défense

L’Arctique est un espace d’intérêt stratégique croissant. La perception des enjeux propres à la zone a glissé d’une approche prospective, centrée sur les possibilités économiques qu’ouvraient les conséquences du réchauffement climatique, à une vision majoritairement tournée vers les enjeux stratégiques de la zone. La France réaffirme par ailleurs, dans sa dernière Revue nationale stratégique de 2022, qu’elle « est pleinement présente et active pour préserver sa liberté d’action et défendre ses intérêts dans les espaces communs », avec une attention particulière portée à l’Arctique. 

D’ici 2030, le rôle stratégique de l’Arctique devrait encore s’intensifier. Sous l’effet des dynamiques actuelles, les tendances aujourd’hui émergentes devraient s’être précisées, poussant les différents acteurs à ajuster leurs politiques et leurs moyens. Cette évolution façonnera durablement l’environnement stratégique régional. 

Dans cette perspective, pour jouer un rôle en Arctique la France devra considérer la décennie à venir comme une phase de transition et de latence, nécessitant une préparation capacitaire et organisationnelle suffisante (budgets, infrastructures, moyens militaires). C’est à cette unique condition qu’elle pourra, à terme, consolider sa position et défendre ses intérêts. 

Trois objectifs stratégiques que la France doit poursuivre :

  • La contribution active française, en lien avec Alliés et partenaires, au maintien de la stabilité de la zone arctique ;
  • La préservation de la liberté d’action française et européenne, commerciale comme militaire, dans les espaces communs de la zone ;
  • Le développement des capacités militaires françaises pour opérer et combattre vers, dans et depuis l’Arctique.

Le but pour la France est de préserver sa liberté de manœuvre et son influence dans sa zone arctique d’intérêt prioritaire, afin d’y maintenir un environnement sécuritaire durablement propice à sa posture stratégique et ses activités nationales, notamment celles relevant de la dissuasion nucléaire, de la protection des flux maritimes et de la préparation opérationnelle en conditions extrêmes.

Axes stratégiques de défense

Afin d’atteindre les trois objectifs stratégiques de défense en Arctique, de répondre aux défis actuels et futurs et de tenir sa place auprès de ses partenaires, la France doit structurer son engagement autour de trois axes complémentaires : positionnement, coopération et capacités opérationnelles.

À travers ces trois piliers, la stratégie française se décline selon sept axes stratégiques de Défense : 

Améliorer la visibilité et la légitimité de la France dans cette région, par une participation active aux forums arctiques et la valorisation des actions menées par les armées françaises dans la zone ; 

Développer une cohérence globale au niveau national, grâce à une coordination interministérielle renforcée, garantissant un effet démultiplicateur des actions françaises ; 

Maîtriser le théâtre et l’environnement arctique par la connaissance fine du milieu et en poursuivant les déploiements ciblés dans la zone, pour renforcer l’expérience opérationnelle, l’interopérabilité et la capacité à agir ; 

Développer des partenariats bilatéraux, avec les principaux acteurs de la région ainsi qu’avec les opérateurs privés français présents sur le terrain, afin de favoriser l’échange d’information, le soutien logistique et le partage d’expérience. 

Renforcer l’interopérabilité à travers l’OTAN, en s’appuyant sur les mécanismes et outils de l’Alliance (exercices conjoints, synergies capacitaires et opérationnelles, etc.) et en soutenant les ambitions de l’OTAN dans l’Arctique et le Grand Nord ; 

Développer des équipements adaptés aux conditions extrêmes, dès la conception ou par l’adaptation des systèmes existants (renforcement, protection, capteurs spécifiques), tout en veillant à l’équilibre coût-efficacité ; 

• Investir le domaine spatial arctique, à la fois dans le segment spatial (satellites adaptés aux hautes latitudes) et terrestre (stations relais), tout en assurant une veille stratégique sur les installations étrangères sensibles et en consolidant la coopération avec les pays européens actifs dans ce domaine.

Pour aller plus loin : l’Observatoire Arctique piloté par la DGRIS

Comme l’a réaffirmé la Feuille de route nationale sur l’Arctique, la France souhaite maintenir un haut niveau d’engagement sur les plans scientifique, environnemental, économique et stratégique. Dans ce cadre, le ministère des armées souhaite développer sa connaissance des activités des acteurs de la région, étatiques et privés, et affiner sa vision des évolutions pouvant avoir un impact sur les intérêts français.

L’Observatoire de l’Arctique, confié à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), assure ainsi un large suivi des thématiques arctiques, allant des stratégies des Etats à la production de normes en passant par les développements technologiques et aspects environnementaux. Par l’organisation de séminaires annuels, l’observatoire participe à l’animation d’une communauté arctique alliant chercheurs, institutionnels et entreprises pour approfondir la réflexion autour des enjeux de la région.

Retrouvez les travaux de l'Observatoire Arctique sur la page dédiée.

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