Le GAN, un outil de coopération internationale

Une première. Cette année, le GAN sera placé sous contrôle opérationnel de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour la première fois de son histoire. Cependant, interallié, le GAN l’est depuis longtemps, en étant notamment associé aux opérations de l’Alliance.

Le GAN, un outil de coopération internationale © J. Guégan / Marine nationale

Le GAN, un outil de coopération internationale

Lors de la prochaine mission, la France recevra en outre sur le porte-avions Charles de Gaulle le Conseil de l’Atlantique nord (CAN) composé des représentants de chaque pays membre. Depuis 10 ans, 27 escorteurs de marines partenaires et 12 nations ont intégré le groupe aéronaval français. Le GAN durant son futur déploie­ment sera ainsi escorté par les marines américaine, grecque, italienne, espagnole et portugaise. Le traité de l’Atlantique Nord est capital pour ses membres car, selon son article 5, une attaque contre l’un des pays membres (douze au départ) serait considérée comme une attaque contre tous. Les 32 pays membres de l’OTAN, que la Suède vient de rejoindre le 7 mars dernier, font front com­mun à l’agression.

Trois questions à...

Ioannis Vlachos, commandant de la frégate grecque Adrias

Tous les déploiements du GAN français ont vu l’agrégation de moyens étrangers, européens en premier lieu, ce qui sera le cas lors du prochain déploiement. Parmi les forces alliées, la marine de guerre hellénique sera présente avec une frégate, un sous-marin et plusieurs avions.

Cols Bleus : Quel était votre rôle dans le GAN l’année dernière ?

Ioannis Vlachos :
Mon rôle en tant que commandant de frégate – 140 marins et un hélicoptère – pendant la participation du GAN à l’exercice Orion 2023 était d’escor­ter le porte-avions lors de sa navigation en Méditerranée. Sa sécurité était notre prio­rité absolue. Nous étions également char­gés du soutien aux opérations de surface, aériennes et sous-marines. Assez fréquem­ment, on nous demandait d’approcher les unités ennemies potentielles et de rester dans un rôle d’observation pendant plu­sieurs jours, comme une « barrière » entre elles et le reste de la force et en particulier le porte-avions. Nous sommes aussi inter­venus sur des exercices d’homme à la mer. Nous maintenions notre préparation au sauvetage pendant les opérations aériennes quand les avions décollaient et appontaient vers et depuis le porte-avions. Dans les jeux de guerre, nous avions l’habitude de faire avancer la force afin d’assurer une protection à distance de la force, de repé­rer et d’engager les unités du camp adverse.

C.B. : Comment les marines alliées travaillent-elles dans la pratique ?

C I.V. :
Aujourd’hui, les forces navales alliées savent parfaitement collaborer ensemble sous l’égide de l’OTAN, de l’Union euro­péenne et de l’ONU. Nous avons acquis un langage, des références et des expériences en commun. Avoir le sentiment de faire partie d’une force navale plus vaste est très moti­vant. Chaque force apporte sa perception et son expérience sur les zones d’opérations, même si nous apprenons sur les mêmes manuels. La mer est peut-être bleue partout, mais elle a une teinte différente. Ce facteur modifie considérablement l’équation de la guerre. Les exigences contemporaines sur le chemin de la paix nécessitent une plus grande coopération.

C.B. : Quelle est la clé du succès pour réussir un déploiement au sein du GAN ?

C I.V. :
On peut se rapprocher du succès mais il est toujours difficile à obtenir. Nous avons plutôt des objectifs. Des déploiements comme Antares nous préparent à une vraie situation de guerre. Dans un conflit réel, on peut parler de réussite. C’est là que les mots comptent le plus. C’est à cela que nous nous préparons.

Géopolitque

« Les conflits maritimes futurs se tiendront près des côtes et dans des zones animées »

Maxence Brischoux est chercheur en relations internationales au Centre Thucydide de l’Université Paris-Panthéon-Assas.

Cols Bleus : Pourquoi le terrain maritime redevient l’objet de toutes les crispations ?

Maxence Brischoux :
Les humains ont traditionnellement utilisé les mers pour le transport et la pêche. Ces activités conti­nuent, mais d’autres ne cessent d’émerger et de s’industrialiser : après le pétrole et le gaz, les câbles sous-marins en fibre optique sont devenus la colonne vertébrale d’Inter­net tandis que les énergies marines renou­velables (EMR) prennent un vrai essor. De ce fait, de nombreux conflits apparaissent pour contrôler l’exploitation des ressources marines, comme on l’a vu en Méditerranée orientale entre la Turquie et ses voisins pour le gaz. Surtout, il est encore plus intéressant de bloquer ou détruire les voies maritimes pour obtenir un gain stratégique (sabotage du pipeline Nordstream en mer Baltique).

C.B. : « Qui domine les mers, domine la terre », cette phrase a longtemps été une maxime guidant les États, depuis la démocratie athénienne jusqu’aux empires coloniaux. Les grandes puissances ont-elles redécouvert l’intérêt d’une suprématie maritime dans leur politique ?

M.B. :
Je pense que cette maxime n’a jamais été oubliée, en tout cas pas par les Américains qui ont fait de la domination des espaces communs, comme les mers ou l’espace, le pilier de leur puissance et de leur capacité à se projeter partout dans le monde. Depuis 1945, et malgré les inflexions budgétaires de la fin de la Guerre froide, la Marine améri­caine a conservé son réseau de bases navales et ses principaux bâtiments. Les États-Unis font face à une contestation globale de leur domination, de la part de la Chine qui construit une marine apte à contester leur leadership sur la zone Asie-Pacifique. Il faut se préparer à un scénario où la situation en Asie impose une réallocation des moyens américains, avec pour conséquence que les Européens devront intervenir de manière plus résolue pour garantir leur lignes d’ap­provisionnement.

C.B. : Quelle est la zone maritime la plus inflammable en ce moment ?

M.B. :
Le pourtour eurasiatique ! Aujourd’hui, trois pays contestent frontalement la puissance américaine : la Chine, mais aussi la Russie et l’Iran. Outre le conflit ukrai­nien en cours et les accrochages au Moyen-Orient avec les groupes affiliés à l’Iran, la confrontation des volontés se manifeste dans les mers fermées qui entourent l’Eu­rasie. De la mer Baltique à la mer du Japon, en passant par la mer Rouge, le golfe ara­bo-persique et la mer de Chine du Sud, toutes ces zones maritimes qui consti­tuent le pourtour de l’Eurasie accueillent de nombreuses activités humaines et sont contestées. Les conflits maritimes futurs, plus ou moins violents, se tiendront près des côtes et dans des zones animées, ce qui a un impact important pour la tactique navale, car la proximité des terres aug­mente la vulnérabilité des forces de sur­face, du fait de la présence des aéronefs et des missiles.

C.B. : Quel rôle remplit le GAN ? Est-ce une démonstration de force nécessaire pour faire de la diplomatie ou une nécessité tactique pour remporter les prochains conflits de haute intensité ?

M.B. :
Comme toutes les armes, le porte-avions est né dans le feu de la bataille, notamment en s’imposant comme nouveau capital ship lors de la guerre du Pacifique. Depuis plusieurs décennies, on a d’abord considéré le GAN comme un instrument politique, permettant d’agir sur la terre depuis la mer. Faut-il aujourd’hui retrou­ver l’origine du GAN ? Je ne sais pas si l’on revivra des batailles entre porte-avions mais je suis convaincu qu’il demeure plus que jamais un atout militaire, tout simplement parce qu’il est capable de projeter des avions depuis la mer, ce qui permet de voir et de frapper plus rapidement et plus loin, tout en jouant sur la mobilité du dispositif.

Transmissions

Qu’est-ce qu’une liaison de données tactiques ?

Pour agir, un navire, un aéronef ou une force aéronavale doit connaître sa position ainsi que celle de ses alliées et adversaires, en temps réel. Un dialogue permanent entre les unités, qu’elles soient françaises ou issues des marines partenaires de l’OTAN s’avère donc nécessaire. Mais comment faire communiquer, en toute sécurité, des forces alliées qui ne parlent pas le même langage ? C’est le rôle des liaisons de données tactiques (LDT). La Marine utilise trois réseaux de données tactiques les L11, L16 et L22 qui utilisent les ondes radioélectriques. Les données transmises le sont sous la forme de symboles compréhensibles par tous, à l’image de nos émoticônes. Autre mission des LDT : permettre de partager les informations en provenance de ces différents réseaux entre eux. Un peu comme s’il fallait publier sur WhatsApp© une information provenant de LinkedIn©. Les LDT passent majoritairement par les hautes fréquences (HF), qui émettent loin mais peu de données, ou les ultra hautes fréquences (UHF), qui émettent moins loin mais plus, et également par des liaisons satellitaires (notamment vers les états-majors opérationnels à terre). Via des senseurs embarqués (radars, guerre électronique, sonars…) les unités de la Marine captent des données, c’est-à-dire des échos, des émissions radioélectriques ou des signatures acoustiques, permettant de déterminer la position, la route et la vitesse, voire d’identifier un navire, un aéronef, un sous-marin ou un missile. Les données de cette « piste » sont ensuite partagées sur les LDT. L’ensemble des unités de la force fait de même avec toute les pistes détectées, qu’elles soient amies, neutres ou hostiles.

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