Le GAN, un outil gradué
"Le groupe aéronaval est la vitrine de la capacité française à opérer en mer loin, longtemps et sur un panel de missions extrêmement large", affirme l’amiral Mallard ce jeudi 26 janvier 2024 au ministère des Armées.
Venu prendre part à la conférence navale de Paris, le chef de la French Strike Force (FRSTRIKEFOR), structure de commandement tactique créée en 2006 en déclinaison du modèle otanien de la NATO Response Force, basée à Toulon, explique : « Avec les évolutions de la Marine, de plus en plus de bateaux conduisent seuls leur mission. Le nombre de plateformes et d’unités diminuant, cette capacité à travailler en escadre s’effrite, sauf pour le GAN. »
« Outil d’agilité stratégique », selon les mots du président de la République*, le GAN possède de nombreux atouts : il est à la fois un facteur de supériorité opérationnelle en mer, moyen de projection de puissance de la mer vers la terre, et un élément de la « grammaire nucléaire » grâce à la force aéronavale nucléaire (FANU). Sa résonnance politique est alors immédiate, elle s’est en particulier illustrée durant la Guerre froide. Dans les années 90 (crises d’ex-Yougoslavie et du Kosovo), la France et ses alliés emploient le GAN dans « un rôle de projection de puissance en tirant parti de la liberté d’accès, alors incontestée offerte par la haute mer », écrit le capitaine de vaisseau (CV) Thibault Lavernhe**. « Ce cycle est aujourd’hui refermé, ouvrant la voie à une reconfiguration du rôle du GAN. » Les conflits actuels (guerre en Ukraine, conflit entre le Hamas et Israël) débordent en mer (attaque des Houthis en mer Rouge) et ont des conséquences sur la sécurité maritime. Ils constituent une menace majeure pour la stabilité et la sécurité de l’Europe. La France, puissance d’équilibres et acteur militaire de premier plan, peut déployer le GAN aux côtés de ses alliés de la Méditerranée centrale et jusqu’en Indopacifique pour défendre ses intérêts et sa souveraineté. D’un point de vue géostratégique et politique, participer à un GAN, pour des marines partenaires, est un signal fort.
Vers le 5ème âge du combat naval
La numérisation grandissante des conflits à l’échelle mondiale a fait basculer le combat naval vers un 5e âge qui est celui de la robotique (théorisé par le CV Lavernhe et le capitaine de frégate Corman***). Ce nouveau contexte induit « une transformation du groupe aéronaval vers une configuration en réseau, ce qui entraîne des conséquences opérationnelles substantielles », écrivent le CC Cyril et le LV Clément, dans leur essai qui a remporté le prix Amiral Castex 2024. « Par réseau, il faut comprendre une force qui a la capacité d’agréger des moyens traditionnels (porte-avions, frégates, aéronefs habités) et des drones de différentes natures en s’appuyant sur l’intelligence artificielle et les outils de traitement de la data pour comprendre, proposer et décider. Le GAN pensé comme un système, s’impose alors comme la capacité à projeter loin et longtemps un réseau complexe pour obtenir un large panel d’effets tactiques et stratégiques ».
Comment est composé le GAN ?
Sa composition change en fonction des besoins de la mission, mais il s’appuie sur un socle composé d’un porte-avions, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), des bâtiments de lutte anti-sous-marine et de défense aérienne, un bâtiment ravitailleur, avec un groupe aérien embarqué (GAé, lire page 21) et un état-major embarqué. « C’est un groupe cohérent, poursuit l’amiral Mallard, maintenu et agrégé autour de son capital ship, le porte-avions, pour produire des effets en remplissant des missions ordonnées à plus haut niveau. » S’y intègre la force aéronavale nucléaire (FANU, lire page 22) et des escorteurs étrangers (lire page 24). Le GAN, ce sont aussi près de 3 000 marins embarqués.
* Prononcé le 19 décembre 2022 depuis le porte-avions Charles de Gaulle.
** Dans son essai Sur toute la rose des vents : un regard sur l’évolution du rôle du groupe aéronaval, 2e Prix amiral Castex 2024.
*** Auteurs de l’article L’action navale au XXIe siècle, ou le cinquième âge du combat en mer, RDN, Tribune no 1396, 2022.
Un large spectre de missions
- Connaître et anticiper : grâce à ses nombreux capteurs, le GAN possède une large capacité autonome d’acquisition et d’analyse du renseignement.
- Prévenir : par sa simple présence dans une zone de crise, le GAN permet d’affirmer le soutien politique de la France, sans contrainte géographique.
- Influencer : le GAN pèse politiquement grâce à sa projection de puissance.
- Protéger : du territoire national, en interdisant ou réglementant l’accès à une zone hauturière ou littorale. Sa capacité à maîtriser des espaces aéromaritimes lointains lui permet de protéger nos lignes de communications maritimes.
- Intervenir : outil privilégié de projection de puissance, le GAN est capable d’intervenir tôt dans les crises : frappes sur des objectifs en profondeur (missiles de croisière, bombes guidées), soutien aux forces à terre, compréhension du théâtre (nombreux capteurs de renseignement), commandement tactique, etc.
- Dissuader : le GAN peut mettre en oeuvre l’arme nucléaire aéroportée en offrant la possibilité d’une montée en puissance ostensible et graduelle.
Tactique
Agir vite et fort
Le GAN est un outil militaire de premier ordre au plan tactique. Son principal atout ? « Sa flexibilité ». Polyvalence, souplesse et résilience sont en effet les trois grands facteurs d’adaptation du GAN, qui lui permettent de répondre parfaitement à un environnement évolutif.
Polyvalent, il est le « lieu de la liaison des armes », selon la formule chère à l’amiral Castex. Cette alliance de capteurs et d’effecteurs permet de produire des effets variés dans tous les milieux et champs (terrestre, maritime, aérien, informationnel et électromagnétique), et ainsi de répondre à une multitude de sollicitations. Cette diversité des moyens qui aboutit à une grande variété d’effets est la clef d’une grande souplesse. La mobilité du GAN lui permet d’opérer une bascule d’effort entre théâtres, autorisée par la liberté des mers et une autonomie en termes de commandement. Agile dans ses déplacements, le GAN peut intervenir sans empreinte au sol et se reconfigurer rapidement.
Résilient, enfin, il peut durer sur un théâtre sans dépendre de contraintes logistiques locales. Le GAN français bénéficie en outre d’une modernisation de ses capacités (arrivée des frégates multi-missions en 2016, des SNA de type Suffren en 2022, du nouveau bâtiment ravitailleur de force en 2024 et modernisation des frégates de défense aérienne dans quelques années). Cette autonomie logistique lui permet de durer à la mer.
Dans le sillage du ...
Capitaine de vaisseau Coralie, chef d’état-major du groupe aéronaval
Cols bleus : Commandant, quel est votre rôle au sein du GAN ?
Capitaine de vaisseau Coralie : Je suis chef d’état-major du groupe aéronaval. Quand le GAN appareille, l’amiral, le commandant de la French Strike Force (force aéromaritime de réaction rapide) en prend le commandement, et je suis chargée de coordonner le travail de l’état-major pour qu’il puisse répondre aux objectifs fixés par l’amiral. Je mets en musique les décisions opérationnelles.
CB : À quoi sert le GAN ?
CV C : Un GAN est capable de frapper fort et loin, à terre ou en mer. Imaginez la force de frappe d’un coup de poing, la distance en plus. C’est d’ailleurs cette particularité qui le distingue d’une force navale sans porte-avions. Le GAN est un peu un boxeur qui montre ses muscles, sans être obligé de les utiliser pour avoir de l’influence. Afficher sa force suffit la plupart du temps. Le GAN est un formidable outil, exigeant certes, une série d’engrenages compliqués mais aux effets décuplés et d’une efficacité redoutable. C’est un jeu de cartes très complet. Si on suit une perspective historique, le GAN revient à sa fonction originelle, le combat en haute mer en vue d’obtenir la meilleure maîtrise de l’espace aéromaritime, après trois décennies focalisées sur la projection de puissance vers la terre.
CB : Existe-t-il encore des endroits dans le monde que l’on ne peut pas atteindre ?
CV C : Oui, mais ils se sont beaucoup réduits... Il reste peut-être encore quelques terres émergées… mais qui ont peu d’intérêt militairement. Le GAN permet une continuité terre-mer, ayant une capacité à franchir une étendue d’eau ou de terre de façon indifférente. L’avantage du GAN, c’est sa capacité à bouger quotidiennement. D’un point de vue tactique, cette mobilité permet d’attaquer localement du fort au faible, de faire peser par ubiquité une pression permanente sur l’ennemi, ou d’aller chercher les meilleures conditions météorologiques pour faire décoller la chasse.
CB : Le GAN n’est pas seulement un outil de combat ?
CV C : Non il est aussi un outil de contestation et de compétition. D’un point de vue stratégique, c’est-à-dire politique, le GAN constitue un outil employable dans des contextes divers et à des fins variées, avec une résonnance politique immédiatement palpable : de la gestion de crise à la guerre de haute intensité, du signalement stratégique à la mise en oeuvre de la dissuasion nucléaire. Il existe une gradation dont le 1er degré est la compétition (les États se battent pour des ressources, sans avoir recours à leurs bateaux de guerre), le 2e degré est la contestation et le 3e degré l’affrontement (conflit de haute intensité). Ce n’est pas tout blanc ou tout noir, la paix ou la guerre : on peut être des alliés militaires et des compétiteurs économiques, ou même l’inverse. Le GAN a un effet de découragement et de dissuasion envers nos compétiteurs, et en même temps, un effet stimulant car il rassure nos alliés. Il attire nos partenaires qui souhaitent s’intégrer aux déploiements du GAN français. Interagir avec le GAN ce n’est pas juste exister, mais se convaincre que si un jour un conflit éclate, on sera capable de travailler ensemble. L’interopérabilité avec des unités alliées est accentuée par sa grande flexibilité : une frégate étrangère s’intègre aisément dans le GAN, pour une durée et un mandat variable. Cela apporte à mon niveau un surcroît d’effets tactiques possibles.
CV Coralie, chef d'état-major du groupe aéronaval
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