Le débarquement de Provence : La stratégie alliée, d’une rive à l’autre de la Méditerranée
Le 15 août 1944, les Alliés débarquent en Provence sur dix-huit plages situées entre Toulon et Cannes. Ce débarquement est conçu par les Alliés comme l’achèvement de leur dispositif en Europe de l’Ouest au terme de quatre années d’affrontement contre l’Axe en Méditerranée.
Des Balkans au Proche-Orient, des rivages libyens aux îles grecques, de Malte à la Corse, des villes tunisiennes aux montagnes italiennes, des combats décisifs s’y déroulent sans discontinuer depuis 1940. Même si Overlord retient depuis des décennies l’attention de la mémoire collective, la Méditerranée est sans nul doute un centre de gravité du second conflit mondial où se déroulent de nombreuses et importantes opérations amphibies.
L’opération Torch du 8 novembre 1942 constitue un important tournant dans cette perspective. Le débarquement de forces britanniques et américaines au Maroc et en Algérie, alors sous contrôle vichyste, ouvre la possibilité aux Alliés de bouleverser le rapport de force avec l’Axe dans la région. Dès lors, de novembre 1942 à mai 1943, les combats pour s’assurer le contrôle de la Tunisie obligent l’Axe à quitter le Maghreb. La stratégie des Alliés repose sur l’objectif de prendre pied sur la rive nord de la Méditerranée. Le débarquement allié en Sicile en juillet 1943, l’effondrement du régime fasciste qui en résulte et la libération de la Corse à l’automne ouvrent une voie vers l’Europe occupée. Lors de la conférence de Téhéran en novembre 1943, l’idée d’un débarquement simultané, en Normandie et en Provence, est validée. Ce sont les opérations Sledge (“Marteau”) - en Normandie - et Anvil (“Enclume”) - en Provence. L’objectif est de prendre l’armée allemande en tenaille.
Néanmoins, les difficultés rencontrées en Italie obligent les Alliés à repousser la date du débarquement de Provence à la mi-août. Malgré la réticence de Churchill qui souhaite que les divisions stationnées en Italie soient utilisées dans les Balkans, l’opération Anvil, qui devient Dragoon, est programmée pour le 15 août. Le choix de la Provence répond à plusieurs objectifs stratégiques.
- Premièrement, la proximité du site du débarquement permet d’atteindre rapidement l’axe majeur vers la vallée du Rhône.
- Deuxièmement, avec la tempête du 19 juin qui rend inutilisable l’un des deux ports artificiels de Normandie et les difficultés que rencontrent les Alliés dans leur progression vers le Havre et la vallée de la Seine, les ports en eaux profondes de Marseille et de Toulon - qui disposent de vastes infrastructures – constituent une logistique essentielle à une offensive victorieuse des Alliés vers le Reich.
Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, près de 5 000 parachutistes en majorité américains, britanniques et canadiens sont largués entre Le Muy et la Motte. Ils ont pour mission d’établir une tête de pont afin d’empêcher l’afflux de renforts allemands. Au matin du 15 août, 50 000 soldats sont débarqués sur trois fronts : Cavalaire, Saint-Tropez et Sainte-Maxime ; Fréjus ; Saint-Raphaël. Le lendemain, le 16 août, l’armée B du général de Lattre de Tassigny débarque et réalise une percée vers Toulon et Marseille. En parallèle, les troupes alliées remontent la vallée du Rhône et réalisent la jonction avec les troupes venues de Normandie en septembre 1944. Dragoon a rejoint Overlord, prenant l’armée allemande en tenaille.
Participation des troupes française au débarquement
L’opération Anvil-Dragoon mobilise près de 500 000 soldats alliés au sol, dans les airs et sur les 2 000 bâtiments de guerre au large des côtes provençales. Parmi eux, 250 000 soldats composent l’armée B sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny.
500 000
soldats alliés
2 000
bâtiments de guerre
250 000
soldats
Le rôle essentiel de l'armée africaine
Cette armée est constituée à la fois de volontaires de la France libre qui combattent depuis juin 1940 et de soldats de l’armée d’Afrique ayant rejoint les Alliés fin 1942 ; mais elle est aussi le produit d’une intense mobilisation de l’Empire colonial français. soldats d’Afrique du Nord et tirailleurs d’Afrique subsaharienne, résistants évadés de France par l’Espagne ayant rejoint le Maghreb et dissidents antillais, Français libres venus du Pacifique et jeunes « pieds-noirs » appelés sous les drapeaux… La diversité des visages, des langues, des origines et des religions montre bien que l’Empire colonial est au coeur de l’identité combattante de ces unités.
« Passant, ils sont tombés fraternellement unis, pour que tu restes français. »
Ayant livré de durs combats en Tunisie et en Italie, ayant participé à la libération de la Corse, ces troupes venues de l’Empire s’illustrent par leur bravoure en accomplissant le plan audacieux du général de Lattre : profiter pleinement de la désorganisation des Allemands, et prendre Toulon par surprise en lançant simultanément une attaque sur Marseille alors en pleine insurrection. Avec un mois d’avance sur les prévisions alliées, les deux préfectures sont libérées entre le 26 et le 28 août.
La masse de ces soldats venus des colonies a fait de cet “autre débarquement” le plus français des débarquements. L’armée B est essentielle à la crédibilité militaire de la France. Pour la première fois depuis la défaite de juin 1940, une armée française sous commandement français inflige de durs et rapides revers à la XIXe armée allemande, jusqu’à partir à sa poursuite dans la vallée du Rhône.
Cette contribution à la guerre comme à l’effort de guerre des peuples colonisés est demeurée longtemps ignorée ou minorée. En 2014, le président français François Hollande reconnaît pour la première fois que le pays a une “dette de sang” envers les anciens combattants africains. Le 80e anniversaire de la Libération met particulièrement en valeur la mémoire des combattants africains venus libérer le territoire national. De nombreux pays africains sont ainsi invités à participer à la cérémonie internationale à la nécropole de Boulouris.
L’action de la Résistance : un lien méconnu entre les deux débarquements
La Résistance provençale n’a pas attendu le 15 août 1944 pour agir, dans les traditions de défense républicaine si présentes dans le Midi. Massivement mobilisés dès l’annonce du débarquement de Normandie le 6 juin 1944, les résistants sont d’autant plus galvanisés par les promesses faites d’un débarquement simultané en Méditerranée qu’ils ont contribué par leurs actions de renseignement et de sabotage à donner corps à Anvil-Dragoon. Tout au long d’un sanglant été 1944, en attendant les troupes alliées, les Forces Françaises de l’Intérieur mènent des combats très durs et subissent en retour une terrible répression de la part des nazis.
De grandes figures du débarquement de Provence
Le débarquement de Provence, le 15 août 1944, a marqué un tournant décisif dans la libération de la France. Cette opération historique a révélé des figures héroïques, dont le courage et les actions audacieuses ont profondément influencé le cours de la guerre et l'histoire.
Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)
Dès son enfance, le jeune Antoine commence à développer une fascination pour les avions, ce qui le conduit à s’engager dans l’armée de l’Air en 1921. Il est cependant démobilisé en 1923 après avoir subi un accident d’avion au Bourget qui lui fracture le crâne.
Après avoir occupé des emplois qu’il trouve profondément ennuyeux, il est engagé dans l’Aéropostale en 1926, ce qui l’inspire pour écrire plusieurs nouvelles et romans. Son premier roman, Courrier Sud, est publié en 1929 et s’inspire largement de son expérience de pilote. Son deuxième roman, Vol de Nuit est publié en 1931, et lui aussi relate un récit d’aviateurs. Après la disparition de l’Aéropostale en 1932, il devient reporter et voyage au Vietnam, puis à Moscou. En 1936, il couvre la Guerre Civile Espagnole. Lors de sa convalescence après un crash au Guatemala, il écrit Terre des hommes en 1938.
Lors de la Bataille de France en mai 1940, Saint-Exupéry est capitaine dans l’armée de l’Air. L’armistice de juin 1940 lui causant d’être démobilisé, il s’exile à New York. Durant son exil, il écrit en 1942 le Petit Prince.
En 1943, il quitte les États-Unis et s’engage dans l’aviation des Forces Françaises Libres en Tunisie. Étant trop âgé pour être pilote de combat, il pilote un Lockheed F-5 Lightning. C’est dans cet avion qu’il trouve la mort le 31 juillet 1944 au large de Marseille, lors d’une mission de reconnaissance photographique en vue de préparer le débarquement de Provence prévu le 15 août. Ce n’est qu’en 2003 que des débris de l’épave furent retrouvés, alors qu’il est déclaré Mort pour la France en 1948.
Alain Mimoun (1921 – 2013)
Le débarquement de Provence est pour Alain Mimoun une revanche sur les blessures qui auraient pu empêcher sa carrière sportive et ses succès olympiques.
Né à Maïder (Algérie), Alain Mimoun s’engage à 18 ans et découvre pour la première fois la France en rejoignant le 19e régiment du Génie à Besançon en 1942. C’est à l’armée qu’il découvre la course à pied et, en 1943, il devient champion d’Afrique du Nord. Démineur pendant la campagne de Tunisie, il sert en Italie dans la 3e division d’infanterie algérienne . Là, il manque d’être amputé lors de la bataille de Monte Cassino après avoir reçu trois éclats d’obus à la jambe gauche.
Après une convalescence de cinq mois à Naples, c’est sur la plage de Saint-Tropez mi- août 1944 qu’il revient au combat. Il combat dans les rangs de la 1re armée jusqu’en Allemagne.
Il se consacre à sa carrière sportive à partir de 1946. S’entraînant sans faillir, il participe à ses premiers Jeux olympiques à Londres en 1948. Sur 10 000 m, il remporte une médaille d’argent derrière celui qui est indissociable de la légende Mimoun, Emil Zatopek. Il se fait de nouveau supplanter par « la locomotive tchèque » en 1952 aux JO d’Helsinki. Mais à Melbourne, en 1956, à 36 ans, Alain Mimoun s’impose sous une chaleur accablante. Après 29 titres de champion de France, il prend sa retraite sportive à 44 ans.
Yorgui Koli (1896 – 1970)
Le débarquement de Provence est pour Yorgui Koli le moment où il arrive pour la première fois en France, ce pays pour la liberté duquel il se bat au sein des Forces Françaises libres.
Né à Bendi Tamaba (Tchad), Yorgui Koli, sous-officier du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad participe au ralliement du Moyen-Congo à la France Libre le 28 août 1940. Affecté au bataillon de marche n° 1 (BM 1), il combat au Gabon puis en Syrie. Malgré ses blessures qui lui valent un rapatriement au Tchad en novembre 1942, il repart immédiatement au combat dans les campagnes du Fezzan et de Tunisie. Muté au bataillon de marche n° 21 de la 1re division française libre (DFL) en juin 1943, il participe aux combats d’Italie, débarque en Provence et participe à la campagne de France jusqu’en novembre 1944. Il est fait Compagnon de la Libération le 7 juillet 1945 par décret du général de Gaulle.
Gabriel Brunet de Sairigné (1913 – 1948)
Le débarquement de Provence constitue pour le commandant Gabriel Brunet de Sairigné un retour en France en vainqueur après quatre années d’exil et de combats.
En 1939, ce jeune aristocrate vendéen, tout juste devenu officier, demande à servir dans la Légion étrangère. C’est en Norvège qu’il prend la tête d’une section de la 13e demi-brigade de Légion étrangère en mai 1940. Refusant la défaite, il décide en juin 1940 de rester en Angleterre pour continuer la lutte ; la 13e DBLE devenant l’une des unités autour desquelles se construisent les Forces Françaises Libres naissantes. Soldat à la Croix de Lorraine, il combat avec ses légionnaires venus des quatre coins du monde en Afrique et au Proche-Orient. Il se montre héroïque à Bir Hakeim où, dans le désert libyen en mai-juin 1942, son unité contribue contre toute attente à ralentir l’offensive des forces de l’Axe dirigées par le général Rommel. Après s’être illustré en Italie, il débarque avec la 1ère division française libre en Provence. Le commandant de Sairigné et ses hommes tiennent la promesse lancée le 18 juin 1940 par le général de Gaulle : celle de retrouver une France libérée et victorieuse malgré la défaite de 1940.
Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952)
Le débarquement de Provence fait du général de Lattre de Tassigny, un des chefs militaires qui restaurent la crédibilité militaire de la France en 1944-1945.
Jeune officier de cavalerie s’accommodant mal du dogmatisme des écoles militaires, Jean de Lattre de Tassigny connaît l’épreuve du feu en étant plusieurs fois blessé durant la Première Guerre mondiale. Officier d’état-major brillant, il est l’un des plus jeune des généraux de brigade qui se distinguent lors des combats de 1939-1940. Loyal au maréchal Pétain suite à la défaite de 1940, il s’attache particulièrement à la formation de la jeunesse en créant des écoles de cadres où les jeunes chefs font l’apprentissage de leur métier au contact de la nature. Lorsque la Wehrmacht envahit la zone libre, à partir du 11 novembre 1942, de Lattre est le seul général qui refuse de désarmer ses troupes. Arrêté par Vichy, il s’évade et rejoint Londres en septembre 1943. Le général de Gaulle a, en effet, des projets pour de Lattre : il souhaite lui confier le commandement de la future armée qui, aux côtés des Alliés, débarquerait sur le sol de France et participerait à la libération du territoire. Depuis Alger et désormais général d’armée, de Lattre prend le commandement de l’armée B, composée en grande partie d’unités de l’armée d’Afrique et fidèle à Vichy jusqu’au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord en 1942. Il débarque en Provence le 16 août 1944 et libère Toulon et Marseille quelques semaines en avance sur la planification
Jacques Trolley de Prévaux (1888-1944) et Lotka Leitner (1907-1944)
Jacques Trolley de Prévaux et Lotka Leitner, le débarquement de Provence signe à la fois la réussite de leur action clandestine mais aussi la fin tragique d’une histoire d’amour.
Le couple qu’ils forment est un défi lancé à la face des préjugés et des pesanteurs sociales.
Le brillant aristocrate, valeureux officier de marine entre 1914 et 1918, figure montante de l’aéronavale, cumulant commandements prometteurs et postes prestigieux n’aurait jamais dû croiser la route de la jeune new-yorkaise, née dans une famille d’immigrés polonais qui ont été contraints dans les années 1900 de fuir la pauvreté et l’antisémitisme dans leur pays d’origine. Pourtant, c’est pour cette jeune mannequin désargentée que le commandant du croiseur Duguay-Trouin rompt avec son milieu conservateur et catholique intransigeant et l’épouse en 1940. Cette union a suscité la réprobation de tous ses camarades officiers de marine.
Immobilisé sur son navire à Alexandrie (Egypte) suite à la défaite de juin 1940, Jacques Trolley de Préveaux rejoint Toulon en novembre 1940. Un an plus tard, sous les pseudonymes de Vox et Kalo, Jacques et Lotka Trolley de Prévaux deviennent informateurs pour le réseau de résistance franco-polonais F1 qui espionne notamment la Kriegsmarine et le dispositif allemand sur le littoral méditerranéen. Ils prennent en avril 1943 la tête du sous-réseau Anne (qui couvre les secteurs de Toulon, Nice et Marseille). Les renseignements récoltés par l’organisation de Jacques et Lotka Trolley de Prévaux sont très précieux pour les Alliés qui préparent l’opération Anvil-Dragoon (le débarquement dans le Sud de la France). L’intensification de l’activité du réseau le rend aussi plus vulnérable. Le 29 mars 1944, le couple de résistants est reconnu et arrêté à Marseille. Torturés, transférés à Lyon, Jacques Trolley de Prévaux et Lotka Leitner meurent fusillés dans la forêt de Bron (Rhône), la main dans la main, quatre jours après que les Alliés aient débarqué en Provence.
Charles Porcheron (1917-1944) et Willie Porcheron (1918-1980)
Suite au ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France libre, les frères Porcheron s’engagent tous les deux dans ce qui devient le Bataillon du Pacifique. Ils combattent au Proche-Orient puis à Bir Hakeim dans le « bataillon des guitaristes ». Les pertes sont telles dans ces combats du désert que le Bataillon du Pacifique fusionne avec le bataillon d’infanterie de marine. C’est donc dans les rangs du bataillon de marine et du Pacifique (BIMP), désormais intégré à la 1ère division française libre, que les frères Porcheron participent aux combats d’Italie, s’illustrant notamment dans les prises de Rome et de Sienne. Après avoir débarqué à Cavalaire, le BIMP est engagé dans les très durs combats entre Hyères et Toulon. Charles Porcheron est blessé le 27 août 1944 dans un assaut contre les positions allemandes de la Maurane, son frère Willie est grièvement blessé au même moment.
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