La guerre dans le champ électromagnétique (GCEM)
De la tour Eiffel pendant la Grande guerre aux drones modernes, la guerre dans le champ électromagnétique (GCEM) occupe aujourd’hui une place centrale dans les conflits. Une table-ronde organisée par le Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) a exploré l'histoire et les enjeux actuels de la guerre électronique, tout mettant en lumière son rôle décisif dans le conflit ukrainien et les leçons à en tirer.
« Celui qui maîtrise les ondes, gagnera la guerre. » C’est par cette formule que général de corps d’armée Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense, a ouvert les débats en posant les bases d’une réalité opérationnelle implacable. Dans un environnement où tous les systèmes sont interconnectés (les systèmes d’armes, les systèmes d’information, les GPS, etc.), la domination du spectre électromagnétique est devenue un facteur déterminant de supériorité sur le terrain.
Définie comme l'exploitation de l'énergie électromagnétique pour acquérir un avantage comparatif sur le champ de bataille, la guerre électronique s’articule en trois volets :
- le renseignement,
- l’offensif (brouillage, désinformation)
- la défense contre les mêmes menaces.
La guerre électromagnétique : une histoire ancienne
L’histoire de la guerre électronique débute au début du XXe siècle avec la guerre russo-japonaise (1904-1905) et prend une dimension décisive pendant la Première Guerre mondiale. « La tour Eiffel était utilisée comme un gigantesque mat d’antennes » explique le commandant Anthony Namor, chercheur associé au Centre de recherche des écoles de Coëtquidan (Crec). « Elle a ainsi servi à suivre l'avancée des postes de commandement allemands selon la qualité d’émission de leur communication mais aussi elle a permis de dérouter, par deux fois, des zeppelins en mission pour bombarder le territoire français ».
La Seconde Guerre mondiale marque une montée en puissance de la discipline, avec des technologies plus compactes et mobiles.
Un virage technologique s’opère à partir de 1991 avec la guerre du Golfe. Avec l’avènement de systèmes d’armes connectés, la guerre électronique devient un enjeu global, transcendant les frontières classiques entre cyberdéfense, renseignement et opérations militaires.
Retour d'expériences sur l’utilisation du champ électromagnétique dans le conflit ukrainien
La guerre en Ukraine a révélé l’importance stratégique du spectre électromagnétique. Dès l’ouverture du conflit en 2014, les forces russes ont rapidement exploité ce champ invisible pour brouiller, intercepter et démoraliser l’ennemi, ciblant téléphones, drones et communications militaires. Les forces ukrainiennes étaient très peu préparées à ces attaques électroniques. Résilientes, elles ont su s’adapter. Et en 2022, elles ont su riposter avec ingéniosité. Des tactiques de leurre, des brouillages fratricides et des failles dans les communications civiles ont montré les limites russes.
« Aujourd’hui nous avons une culture de la multi connectivité. Nos armes et systèmes sont conçus en supposant que le spectre électromagnétique est toujours disponible, or il va falloir concevoir des systèmes non-dépendants des ondes. »
- Chercheur britannique au Royal United Services Institute (RUSI)
Drones, smartphones, brouilleurs portables : le champ de bataille ukrainien regorge de solutions dans les deux camps. Solutions à la fois artisanales et sophistiquées, prouvant que la guerre électronique est autant une guerre d’innovation qu’une guerre d’usure.
Une stratégie de montée en puissance
Le théâtre ukrainien redéfinit les fondements de la guerre moderne. « La guerre des drones est devenue une réalité », commente le capitaine de vaisseau Olivier, chargé de mission au COMCYBER. « On constate une symbiose croissante entre les drones et la guerre électromagnétique ». Le conflit montre aussi l’importance de la coordination et de la manœuvre interarmées pour éviter les brouillages fratricides, ainsi que l’intégration des technologies civiles, comme Starlink. L’exemple ukrainien illustre également combien la coopération entre armée et industrie permet de produire vite et bien, dans des cycles d’innovation de l’ordre de quelques semaines.
« La guerre dans le champ électromagnétique est l’illustration deux grands principes de la guerre : l’incertitude et la foudroyance. »
- Chargé de mission au COMCYBER
La France doit tirer des enseignements de ce conflit pour renforcer sa stratégie de guerre électronique afin de réduire l'attrition des forces armées, de gagner en vitesse, en masse et en adaptation face à l’adversaire. Une des priorités est de construire un écosystème industriel, intellectuel et militaire ayant la capacité d’innover, produire et s’adapter en temps réel. En 2023, la création de la Communauté cyber des armées, réunissant 22 unités de guerre électronique des armées qui intègrent une composante cyber, témoigne d’une volonté de structurer un écosystème agile et capable de répondre aux exigences de la guerre demain. Par ailleurs la création de workshops « Cyber – Guerre Electronique » réunissant militaires, industriels et chercheurs a pour vocation de favoriser d’innovation dans ce domaine.
Si la guerre en Ukraine a été riche en enseignements, il ne faut pas en tirer de conclusions hâtives. ‘L’effet loupe’ du conflit, avec sa guerre de drones intense et son environnement technologique spécifique, ne reflète pas forcément les conflits du futur. À ce titre l’exercice interarmées ORION, prévu pour le début de l’année 2026, testera la capacité des forces françaises à réagir dans des délais toujours plus courts et dans des conditions réalistes.
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