Journées du patrimoine à Paris : les secrets de l’École militaire
REPORTAGE - École de formation des officiers créée il y a trois siècles, Napoléon Bonaparte et Charles de Gaulle y furent élèves, loterie pour financer sa construction, manèges équestres… l’École militaire renferme bien des secrets. Exceptionnellement fermée au public en 2024 en raison des Jeux de Paris, la prestigieuse institution est un emblème du patrimoine historique militaire.
Par Marguerite Silve Dautremer.
Entre le Champ-de-Mars et l’avenue de Lowendal, les douze hectares de l’École militaire ont traversé le temps. Les larges espaces de la plaine de Grenelle jadis environnante ont depuis longtemps cédé la place aux immeubles en pierre de taille et aux commerces. Autrefois situé en dehors de Paris (la capitale s'arrêtant alors à Montparnasse), l’ensemble monumental érigé en 1751, chef d’œuvre d’Ange-Jacques Gabriel, Premier architecte du Roi, auteur de la place Louis XV (aujourd'hui, la Concorde), de l'opéra royal du château de Versailles ou encore du Petit Trianon, ne passe pas inaperçu dans le paysage parisien.
Derrière ses murs se trouvent aujourd’hui plus d'une cinquantaine d'organismes du ministère des Armées, en charge de l’enseignement supérieur et de la stratégie. Parmi eux, l’École de Guerre, le Centre des hautes études militaires (CHEM) ou l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Tous préparent des officiers, mais aussi des cadres de la société civile, à exercer de hautes responsabilités, au ministère et à l’extérieur.
Faute d’argent, la construction de l’École royale militaire financée par une loterie
11 mai 1745 : en pleine guerre de succession d’Autriche (1740-1748), les troupes françaises de Louis XV remportent une victoire stratégique à Fontenoy, face à une armée coalisée anglo-austro-hollandaise. Au soir d’une rude bataille qui coûte la vie à plus de 7 000 soldats français, le maréchal de Saxe, qui combat aux côtés des armées françaises, constate le manque de préparation des officiers qu’il dirige. Il propose donc au roi Louis XV de fonder une école de formation des futurs officiers, prenant soin de faire appuyer son projet par la marquise de Pompadour, femme d’influence et illustre maîtresse du Souverain : « Il s’agit de créer une école de cadets gentilshommes, des jeunes garçons de 14 à 18 ans issus de la noblesse dont la formation aux armes est prise en charge par la Couronne. Madame de Pompadour a eu un rôle clé en persuadant le Roi de la nécessité de cette institution », précise Hubert Vandenberghe, guide-conférencier qui nous accompagne.
Le projet met six ans avant de débuter, du fait de l’impécuniosité de l’État. « Les finances du Royaume étaient dans un état déplorable. Il a donc été décidé de financer la construction de l’École grâce à la création de la Loterie royale, ancêtre directe de la Loterie nationale que nous connaissons aujourd’hui », poursuit l’historien. Derrière ce projet, deux frères italiens originaires de Livourne, les Calzabigi. Épaulés par le célèbre aventurier Giacomo Casanova, tout juste évadé de sa prison vénitienne et débarqué à Paris « sans le sou », ils convainquent la commission administrative du financier Joseph Pâris Duverney. La loterie est lancée en grandes pompes le 18 avril 1758 place de la Bastille, devant une foule de Parisiens en liesse venus tenter leur chance à la roue de la fortune. « Le jeune Casanova n’était pas sot et avait pris soin de prélever une commission sur la vente des billets. Il se réserve le marché de Paris, capitale de la France, première ville du Royaume », ajoute l’historien.
Détail du fronton du château
La chapelle de l’infirmerie : conçue pour ne pas mélanger les publics
Première chapelle construite à l’École royale militaire pour les cadets gentilshommes, cette chapelle de l’infirmerie, appelée de nos jours « Rotonde Gabriel », est devenue un réfectoire : « Ici nous sommes passés des nourritures spirituelles aux nourritures terrestres ; autrement dit : des messes au mess ! » s’amuse M. Vandenberghe. Sous les quatre voûtes en anse de panier jadis abritant les dortoirs des malades, deux anciennes sacristies rebaptisées « Salon Pompadour » et « Salon Bonaparte » laissent deviner le passé sacré du lieu. Construit par Ange-Jacques Gabriel, l’édifice au décor néo-classique prend une forme de croix grecque originale : « Cela permettait d’isoler des publics qui ne doivent pas se mélanger : les bien-portants et les malades, les professeurs et les élèves, les prêtres et les religieuses ». En sus d’être infirmières, ces dernières assuraient un rôle d’assistance liturgique auprès des prêtres.
Dans les jardins de la Rotonde, les murs de la cour réservent aussi leur lot de secrets. « L’École militaire a été construite sur l’expérience de l'Hôtel royal des Invalides, tout proche. À l’inverse de murs gigantesques et très épais, ne laissant ni percer le soleil ni circuler l’air, Gabriel a préféré des murs bas et des espaces dégagés. Le but était d’assurer aux cadets un espace de vie agréable, sans risque sanitaire », précise Hubert Vandenberghe.
La rotonde Gabriel, ancienne chapelle de l'infirmerie
L’École militaire à l’heure allemande
Non-loin de là, l’ancien manège du commandant Louis Bossut raconte une autre histoire. Celle d’un épisode, tragique, de la Seconde Guerre mondiale. Alors que Paris subit la répression allemande, la Wehrmacht occupe l’École militaire et en fait des casernements. Le 12 décembre 1941 au petit matin, 743 Français de confession juive de l’ouest parisien sont arrêtés et rassemblés dans le manège, avant d’être transférés dans la soirée au camp de Compiègne-Royallieu dans la perspective d’une déportation. Cette rafle, dite « Rafle des notables », compte des commerçants, ingénieurs, médecins, intellectuels, hauts fonctionnaires, avocats, bon nombre d'entre eux étant décorés de guerre 1914-1918… tous arrêtés à leur domicile. Parmi eux, Léonce Schwartz, grand-père paternel de la journaliste Anne Sinclair, René Blum (le frère de Léon Blum) ou Nachman Darty, entrepreneur français et l’un des fondateurs du groupe Darty. « L’École militaire, comme toute institution, a ses pages glorieuses et ses pages douloureuses », ajoute le guide-conférencier.
Au-delà d’une cour, un petit escalier nous conduit au manège équestre du Commandant du Peuty. C’est là, au cœur de Paris et dans des conditions uniques qu’a lieu une trentaine de reprises par semaine pour 500 cavaliers, dont 350 militaires et leurs familles.
La postérité d’Ange-Jacques Gabriel
Dans le Salon des maréchaux, jadis bureau du Gouverneur de l’École royale militaire, aujourd’hui bureau du général de corps d'armée Hervé de Courrèges, directeur de l'IHEDN, des tableaux représentant le siège de Tournai, la prise de Fribourg ou la bataille de Lauffeld, retracent les grandes victoires militaires de Louis XV. Un décor d’or et de bas-reliefs à la gloire du Souverain, sublimé par des portes coiffées d’une couronne royale fleurdelisée et de deux « L » entrelacés. « Il s’agit de la plus belle pièce de l’École militaire », souligne Hubert Vandenberghe. Et chargée d’histoire. C’est dans ce bureau qu’en 1795, le Premier Consul Bonaparte y établit son quartier général pour y exercer ses fonctions, après y avoir été élève dix ans plus tôt. En 1806, le maréchal Bessières y reçut tous les maréchaux de l’Empire à l’occasion d’un grand bal, d’où le nom de « Salon des maréchaux ». Le dernier maréchal qui occupa le bureau fut le maréchal Joffre ; il y écrivit ses mémoires.
Les portes du Salon des maréchaux
Le dôme quadrangulaire du salon est sans conteste le clou de la visite : « C’est rarissime. Les Français sont les premiers au monde à avoir inventé la notion de dôme quadrangulaire, les premiers de la sorte étant ceux du Louvre. La deuxième fois que l’on construit ces dômes, c’est Ange-Jacques Gabriel qui le fait à l’École militaire. Ce style « gabriélien » va connaître une grande postérité. On le retrouve au palais de Justice de l’île de la Cité, ou plus récemment, au Cercle national des Armées, construit juste après la Grande Guerre, place Saint-Augustin à Paris ». Point d’orgue de cette postérité, le palais royal de Bruxelles, copie confondante de l’École militaire de Paris. La façade et la toiture de l'édifice bruxellois furent fortement remaniées en 1909, sous le règne d’Albert Ier, afin de ressembler au modèle parisien : « Cela montre le rayonnement du style gabriélien et en particulier celui de l’École militaire » poursuit le guide-conférencier.
La chapelle royale Saint-Louis, « une chapelle politique »
Ici pas de voûtes romanes, pas d’ogives gothiques, pas de vitraux, pas de clocher. « Même en passant des centaines de fois sur le Champ-de-Mars, vous ne devineriez pas qu'ici se trouve une chapelle » sourit M. Vandenberghe. Et pour cause. Au cœur de l’édifice construit de 1767 à 1773, se joue un autre dessein pour les cadets gentilshommes que celui de leur éducation religieuse. Sur les murs, pas d’évocation de la Passion du Christ, mais d’immenses tableaux retraçant la vie de Louis IX de France (Saint Louis, ndlr).
« Ici, tout est fait pour imprimer dans l’esprit des jeunes cadets gentilshommes l’idée de l’aura extraordinaire de la France grâce à la monarchie capétienne. L’objectif est de capter le souvenir du glorieux héritage de Louis IX, ancêtre direct du Roi Louis XV qui fait construire cette chapelle et en pose lui-même la première pierre. Il s'agit d'imprimer dans l'esprit des jeunes cadets gentilshommes des notions très fortes, comme celle du prestige immense de la dynastie capétienne ou encore celle du rayonnement international du Royaume », explique le guide, pointant une toile où Saint Louis reçoit les ambassadeurs du roi de Tartarie. « C’est une instrumentalisation du religieux au profit du pouvoir royal. L'on inculque aux cadets, qui viennent ici prier tous les jours, la notion de respect immense dû à la personne du Roi, égal au respect immense dû à Dieu. La lecture que nous devons avoir de ce lieu est donc une lecture politique, qui peut se résumer en une formule : le Trône au même niveau que l’Autel ».
La chapelle Saint Louis
En mai 1785, le jeune Napoleone di Buonaparte, élève à l’École royale militaire, reçoit ici le sacrement de la confirmation avec ses camarades. Survient alors une scène qui marquera les esprits. Lorsqu’arrive le moment où le jeune adolescent se présente devant l'archevêque de Paris, ce dernier s'interroge fortement sur l'origine chrétienne de ce prénom à consonance étrangère : « Napoleone ? Je ne connais pas de Saint de ce nom-là... ». Vexé, le jeune Bonaparte lui rétorque aussitôt : « Monseigneur, il y a beaucoup plus de Saints au Paradis qu’il y a de prénoms dans un calendrier ! ». Plus récemment, le 2 juin 1980, le Pape Jean-Paul II effectuait son premier voyage en France. Avant de prononcer un discours à l’Unesco, il se recueillit dans la chapelle royale Saint-Louis. Plus de quarante plus tard, son prie-Dieu demeure là où le Souverain Pontife s’est agenouillé, comme une relique à part entière pieusement conservée dans cet édifice religieux.
L’École militaire rouvrira ses portes au public lors des prochaines Journées européennes du patrimoine, les 20 et 21 septembre 2025.
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