Lieutenant-colonel Cadeau : « l’histoire militaire explique et analyse les faits autrement, parfois à rebours de l’histoire politique et diplomatique »
ENTRETIEN - Docteur en histoire, chef du bureau doctrine, opérations et renseignements au Service historique de la Défense, le Lieutenant-colonel Ivan Cadeau publie « Une histoire du camouflage militaire », coédité par le ministère des Armées, paru dernièrement aux éditions du Nouveau monde. Pour l’auteur, l’histoire militaire met en lumière des aspects de l’histoire de la guerre parfois délaissés, nécessaires à la compréhension des faits.
Propos recueillis par Marguerite Silve Dautremer
Colonel Cadeau, vous venez de publier votre livre « Une histoire du camouflage », coédité par le ministère des Armées, aux éditions du Nouveau monde. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Lieutenant-colonel Cadeau : L’ouvrage présente une synthèse de l’histoire du camouflage rapportée au domaine militaire. Il montre comment l’utilisation d’artifices visant à dissimuler les combattants, les matériels ou les positions apparaît tardivement dans l’histoire de la guerre. Dans cette perspective, la Première Guerre mondiale constitue une rupture en raison du changement de nature des conflits : ceux-ci sont désormais marqués par l’ère industrielle, matérialisée sur le champ de bataille par l’accroissement du nombre d’armes à feu, de leur portée et leur létalité. Pour les armées qui cherchent à épargner la vie de leurs combattants tout en préservant leurs capacités opérationnelles, le camouflage militaire apparaît comme une solution.
Parmi la somme de productions sur le monde militaire, votre ouvrage était-il nécessaire ?
LCL. Cadeau : Comme tout ouvrage, il entend apporter sa contribution à la compréhension des faits. Les synthèses sur le sujet restent rares, et le camouflage militaire, lorsqu’il est abordé l’est souvent uniquement à travers le prisme de la Grande Guerre. Le rôle des peintres – cubistes notamment – et leurs réalisations entre 1915 et 1918 ont quelque peu été surestimés et représentés dans l’historiographie au détriment d’autres aspects et d’autres époques. Aussi, j’espère à travers ce petit ouvrage illustré apporter un éclairage sur des thématiques peu connues (par exemple le camouflage des usines de la côte californienne à partir de 1942[1]) et, au-delà, sur l’histoire de la façon dont a évolué la guerre elle-même (comme en témoigne le développement des opérations de déception[2] dont le camouflage constitue l’un des volets.)
La Une de "Une histoire du camouflage militaire, XIXe-XXIe siècles", du LCL Cadeau
Vous êtes historien militaire. En quoi cela vous différencie-t-il d’un historien « classique » ?
LCL. Cadeau : La méthodologie utilisée est la même et l’exigence scientifique semblable. L’historien militaire – et dans mon cas l’officier historien, vise à rendre intelligible autrement l’histoire de la guerre en s’intéressant à des aspects parfois délaissés : la stratégie opérationnelle, le fonctionnement d’un état-major, celui d’une unité, les relations de commandement, le processus décisionnel à l’échelon du militaire, etc. Les éléments apportés viennent en complément et parfois éclairent d’un jour nouveau l’histoire « classique » que vous évoquez. Longtemps « parent pauvre » de cette histoire en raison du discrédit dans lequel « l’histoire-bataille » l’avait jetée, l’histoire militaire renouvelée connaît – et c’est heureux, un engouement qui ne fait que s’accroître depuis quelques années.
Concrètement, comment travaillez-vous ?
LCL. Cadeau : Comme tout historien, le matériau de base reste la source primaire, c’est-à-dire pour schématiser : l’archive. Seul ce travail sur les documents originaux permet la révision de l’histoire, qui est la base du métier d’historien. Les recherches effectuées sont ensuite complétées par les sources secondaires : ouvrages académiques, articles, témoignages, etc., qui viennent enrichir le propos. Le croisement de l’ensemble des données recueillies permet, in fine, de produire une synthèse du sujet étudié. Dans le cadre de l’historien militaire travaillant sur l’armée française, les différents établissements du Service historique de la Défense fournissent un corpus particulièrement riche, de l’Ancien régime à nos jours.
En ces temps troublés où l’on assiste à une recrudescence des conflits à travers le monde, quel rôle l’historien militaire peut-il avoir, notamment auprès du grand public ?
LCL. Cadeau : Contrairement à ce que l’on entend encore trop souvent, l’histoire ne se répète pas et ne fournit pas de « leçons ». En revanche, elle expose les « grands invariants » qui peuvent exister dans le domaine de la guerre et peut proposer des clés de compréhension, de comparaison aussi. Au-delà – et parfois à rebours, de l’histoire politique et diplomatique, l’histoire militaire explique et analyse les faits autrement en s’appuyant sur les réalités propres aux armées, à leur fonctionnement ou encore à leurs moyens. Pour le « pratiquant » enfin, c’est-à-dire le militaire lui-même, l’histoire militaire est nécessaire au développement de sa culture et de sa formation et agit, pour paraphraser le général de Gaulle, comme une « véritable école du commandement » pour le chef.
Retrouvez le Lieutenant-colonel Cadeau lors d’une séance dédicace le 11 octobre 2024 aux Rencontres de Blois, de 15h à 17h
[1] Les immenses superficies des toits des bâtiments accueillent ainsi de « véritables » faux quartiers d’habitation, avec leurs maisons, leurs jardins et, parfois même, leurs centres commerciaux et leurs stations-services factices.
[2] Dans le domaine militaire, le mot « déception » désigne les principes et les manœuvres stratégiques et tactiques, et les moyens techniques destinés à tromper l'adversaire. La déception englobe l’ensemble des moyens visant à tromper l’adversaire sur ses intentions.
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