À Paris, les visiteurs sont de plus en plus nombreux au Mémorial des martyrs de la Déportation
REPORTAGE - Au cœur du quartier historique de l’Ile de la Cité, ce Haut lieu de mémoire fait le plein de visiteurs en cet été 2023. Le site a enregistré 20 000 entrées en juillet et accueille déjà 12 000 personnes à la mi-août.
Par Marguerite Silve Dautremer.
À quelques pas du chantier de Notre-Dame de Paris, le square de l'Ile-de-France s'est transformé en havre de fraîcheur pour les touristes aoûtiens venus flâner dans ce quartier historique de la capitale. Devant eux, la pelouse verdoyante et les parterres de roses « Résurrection » dédiées « à toutes les victimes de la déportation » laissent deviner la portée symbolique du lieu.
L'entrée du Mémorial se fait un peu plus loin, en contre-bas du square triangulaire situé sur la pointe Est de l'île : « Le Mémorial pointe dans cette direction car c'est vers l'Est qu'étaient envoyés tous les convois de déportés » explique Célia Blasi, médiatrice culturelle des lieux. Sur le côté de l'édifice aux allures de bunker, un escalier abrupt aux parois rêches conduit au lieu de mémoire proprement dit, estompant peu à peu l'environnement urbain immédiat. Quelques marches plus bas, dans une cour triangulaire, les murs épais s'élèvent si hauts qu'il est impossible d'apercevoir les alentours. Seule une mince parcelle de ciel reste visible.
« L'espace a été conçu pour évoquer l'oppression et la violence des camps de concentration » souligne Mme.Blasi. Au fond, une sculpture métallique menaçante, « L'échappée, sinon par la mort », réalisée par Paul-Henri Pingusson et une ouverture fermée d'une herse donnant sur la Seine évoquent l'emprisonnement et l'impossible évasion des déportés. La médiatrice poursuit : « Le triangle, présent de manière récurrente dans le mémorial n'est pas un hasard, il représente le symbole de la déportation ». En effet, les détenus jadis arrêtés pour des motifs politiques se devaient de porter un triangle rouge, les témoins de Jehovas un violet, les « asociaux » un noir, les Tsiganes un marron, les homosexuels un rose, les apatrides un bleu, les « droits communs », un vert. Les Juifs étaient quant à eux identifiés avec le tristement célèbre triangle jaune, se superposant au précédent.
Un parcours du souvenir
La visite du Mémorial se conçoit comme un parcours : propice au recueillement et au souvenir. Dans la cour, deux blocs imposants symbolisent l'entrée d'une crypte hexagonale. À l'intérieur, une plaque circulaire est entourée d'une phrase, évocatrice : « Ils allèrent à l'autre bout de la Terre et ils n'en sont jamais revenus ».
Dans cet espace sans ornements, seules quelques inscriptions en lettres rouges habillent les parois dénudées : « Pour que vive le souvenir des 200 000 français tombés dans la nuit et le brouillard et exterminés dans les camps nazis » ou encore les noms des principaux camps de concentration : « Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Mauthausen… ». De part et d'autre de la crypte, quelques vers de poèmes de Robert Desnos, Louis Aragon, Paul Eluard et Antoine de Saint-Exupéry accompagnent 15 urnes inhumées là, chacune contenant de la terre et des cendres de ces camps. « Ces urnes sont un de lieu de recueillement pour toutes les familles dont les corps des proches n'ont jamais été retrouvés », indique la médiatrice.
Le visiteur est ensuite invité à se rendre dans les salles supérieures où se trouve la muséographie de 2016. Complétant l'exposition pédagogique de 1975 (conçue alors pour lutter contre la montée du négationnisme), cette installation révèle l'évolution des connaissances historiques : cartes des principaux camps en France entre 1940 et 1944, carte des itinéraires de convois depuis la France, carte des camps de concentration à l'Est et leurs nébuleuses de camps annexes… On y apprend notamment que le camp de concentration de Dachau ouvre dès l'accession au pouvoir d'Hitler en Allemagne, en 1933. Premier camp du genre mis en place par le régime nazi, il est d'abord réservé aux opposants politiques, essentiellement communistes, puis plus tard aux Juifs de Bavière, aux prisonniers de guerre soviétiques, aux homosexuels ainsi qu'aux Tsiganes.
Le camp-ghetto de Theresienstadt (ouvert en 1941 en République Tchèque) a quant à lui été le théâtre d'une vaste opération de propagande menée par les SS à l'automne 1943 : pour dissimiler à la Croix-Rouge danoise et au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) les conditions extrêmes dans lesquels sont enfermés, parmi d'autres prisonniers, 450 juifs du Danemark, les SS entament un travail d'embellissement (Verschönerung) en amont de la visite de l'association humanitaire : fausses écoles, faux magasins, nouveaux habits, rues nettoyées … En parallèle, plus de 7 000 personnes sont déportées à Auschwitz, principalement des gens malades, âgés ou handicapés, qui feraient mauvaise figure dans le tableau que les nazis veulent offrir de Theresienstadt en tant que « colonie juive exemplaire ».
Un peu plus loin, deux couloirs plongés dans le noir relèvent des alcôves lumineuses relatant l'enfer du monde concentrationnaire, où le processus de déshumanisation est largement évoqué : sélection des prisonniers, numéro de matricule, expériences pseudo-médicales … L'autre partie est dédiée à la survie dans les camps : s'évader, partager la nourriture, résister grâce à l'art ... où l'on apprend l'existence d'une opérette écrite par Germaine Tillon, résistante déportée à Ravensbrück et inhumée au Panthéon, pour soutenir le moral de ses camarades.
La visite se termine par un retour à la crypte, cœur du mémorial, où est inscrit au-dessus de la sortie « Pardonne, mais n'oublie pas ».
"Nuit et Brouillard"
« Nuit et Brouillard » (en allemand Nacht und Nebel, ou NN) est le nom de code d'un décret du 7 décembre 1941 ordonnant la déportation de tous les ennemis ou opposants du Troisième Reich. En application de ce décret, il était possible de transférer en Allemagne les ressortissants des pays occidentaux occupés représentant « un danger pour la sécurité de l'armée allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou réfractaires à la politique ou aux méthodes du Troisième Reich) et à terme, de les faire disparaître dans un secret absolu. C'est de là qu'est tiré le nom du film d'Alain Resnais, réalisé en 1956.
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