« Je jetai un regard par la vitre. Le long de cette passerelle quatre hommes s’avançaient. Je les regardai et me dis : voilà donc l’Empire allemand. Il s’est battu et vient demander la paix. Eh bien ! Puisque c’est à moi qu’il vient, je vais le traiter comme il le mérite. Je serai ferme et froid. Mais sans rancune ni brutalité¹. » Nous sommes au carrefour de Rethondes, dans la forêt de Compiègne (Oise). Ce matin très frisquet du 8 novembre 1918, le maréchal Foch, commandant en chef des forces alliées sur le front de l'Ouest, regarde le train situé juste en face du sien. Cent mètres à peine le séparent de la délégation ennemie.

Les plénipotentiaires² allemands, emmenés par Matthias Erzberger, ministre accompagné de généraux, mettent pied à terre et empruntent un passage vaguement aménagé pour l’occasion. Le petit groupe se dirige vers le wagon du maréchal, une voiture-restaurant de la Compagnie internationale des wagons-lits réaménagée en salle de travail. « Le maréchal Foch a choisi cet endroit pour au moins deux raisons. Le lieu devait être suffisamment discret pour éviter d’alerter les journalistes et les curieux, ni trop loin de Paris, d’où il était possible de télégraphier directement de l’autre côté du Rhin depuis la tour Eiffel », explique Bernard Letemps, président de l’association du Mémorial de l’Armistice, qui gère le musée du même nom.

Chute de l’Empire allemand

Après l’échec de leur contre-offensive estivale, les Allemands ont compris, dès le mois de juillet 1918, l’imminence de leur défaite. La déroute de leurs principaux alliés, l’Empire ottoman, l’Empire austro-hongrois et le royaume de Bulgarie, ne laisse bientôt plus de place au doute : l’armistice est inévitable. Pour ne rien arranger, l’Allemagne bascule dans l’anarchie et la guerre civile. L’Empereur Guillaume II se résout ainsi à abdiquer le 9 novembre 1918, tandis que la République de Weimar est proclamée le même jour. Ces événements ne facilitent pas la tâche de la délégation allemande, sommée de négocier à Compiègne dans cet environnement politique fluctuant. « Matthias Erzberger réussit à obtenir de petites concessions. Mais les Alliés, représentés par le maréchal Foch pour la France et par l'amiral Wemyss pour le Royaume-Uni, restent intransigeants sur l’essentiel », souligne Bernard Letemps.

Après quatre jours de discussion, un accord d’armistice est finalement obtenu le 11 novembre 1918, à 5 h 15 du matin. Le maréchal Foch choisit ensuite une heure symbolique pour entériner la fin des hostilités sur toute la ligne de front : ce sera à 11 heures, le 11^e jour du 11^e mois de l’année. Le soldat de première classe Augustin Trébuchon, agent de liaison pendant le conflit, est ainsi tué à 10 h 45 alors qu’il porte un ultime message à son capitaine. Soit 15 minutes avant le cessez-le-feu. Ce berger de Lozère avait pourtant survécu aux pires batailles. Il demeure à jamais la dernière victime française de la Première Guerre mondiale. Conclu pour 36 jours, l'Armistice sera renouvelé plusieurs fois jusqu’à la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919. Le terrible bilan de la Grande Guerre se chiffre à près de 10 millions de morts et disparus (1,4 million pour la France) et plus de 20 millions de blessés (quatre millions en France).

¹ Les pensées de Ferdinand Foch sont citées par François Gaquère dans Le maréchal Foch. Editions Alfred Mame (1931).

² Un plénipotentiaire est un diplomate qui a les pleins pouvoirs pour signer un traité.