Contrôler l’espace informationnel : la doctrine russe

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 01 mars 2025

À quand remontent les premières tentatives d’appropriation de l’espace informationnel par les autorités russes ? Comment ont-elles déployé cette stratégie à l’extérieur de leurs frontières ? Réponses avec Kevin Limonier, maître de conférences à l’Institut français de géopolitique (Université Paris 8).

Kevin Limonier, maître de conférences à l’Université Paris 8 © KL

Article publié dans Esprit défense n° 14 (mars 2025), consacré à la désinformation.

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En 2011, la Russie est secouée par des manifestations contre le retour au pouvoir de Vladimir Poutine, alors Premier ministre. Il s’agit des plus importantes contestations depuis la fin de l’Union soviétique. « Les services de sécurité russes sont complètement paniqués, car tout un espace de circulation de l’information, sur lequel ils souhaitent agir de manière urgente, leur échappe, explique Kevin Limonier. La situation est d’autant plus inquiétante qu’elle se produit sur fond de Printemps arabe de 2011. Les populations se sont, en effet, débarrassées de leur dictateur au moyen de mouvements politiques et insurrectionnels coordonnés en ligne. »

Rapidement, les premiers bots apparaissent sur les réseaux sociaux russes pour discréditer les meneurs des manifestations, dont fait partie Alexeï Navalny. « Le Kremlin tente pour la première fois de contrôler l’espace informationnel », poursuit le chercheur. Dès l’année suivante, cet effort de contrôle est diffusé à l’étranger, notamment en France. Le média La Voix de la Russie se radicalise pour produire un discours conspirationniste. « Ces premières tentatives sont grossières, le pouvoir russe se rend compte qu’il est allé trop loin. La question est alors la suivante : comment construire un média d’apparence professionnelle pour occuper le champ informationnel ? », abonde Kevin Limonier. Ces réflexions aboutissent à la création de Sputnik News1, en 2014. La stratégie : faire le buzz (du bruit) sur le réseau social de l’époque, Facebook.

Cette approche va s’avérer payante, et ce de manière fortuite, en Afrique francophone. Entre 2014 et 2016, l’Afrique de l’Ouest se connecte massivement à internet, par le déploiement d’un réseau 3G et la baisse structurelle des prix des téléphones portables. « Quand ces populations débarquent sur internet, où vont-elles ? Sur Facebook, afin de trouver une offre d’information différente de celles des médias traditionnels nationaux », indique le chercheur. Sputnik News est visible, car c’est le seul média francophone à suivre cette stratégie de retentissement médiatique et à utiliser des techniques de piège à clics2. À la surprise des pouvoirs russes, qui bénéficient de l’image d’une puissance anticoloniale, une audience située en Afrique adhère rapidement aux contenus. Sputnik News est dès lors implanté. Il forge alors de nombreux récits sur l’impérialisme occidental, qui plaisent à une frange du lectorat africain opposée à la présence française en Afrique, et alimentent ainsi le ressentiment de la population.

Laura Garrigou

1Agence de presse multimédia internationale, lancée officiellement par le gouvernement russe le 10 novembre 2014.

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