La difficile ratification de la convention de Montego Bay
Succès du multilatéralisme*, la convention de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994, a redéfini le droit de la mer et, avec lui, la protection des ressources maritimes. Pourtant, sa large interprétation, qui lui a permis de rallier de nombreuses signatures, est aujourd’hui à l’origine de tensions autour des espaces maritimes.
* Le multilatéralisme se définit comme un mode d'organisation des relations inter-étatiques dans le but d'instaurer des règles communes.
Le 16 novembre 1994, des « frontières » se dessinent dans l’immensité des mers et des océans. Ce qui était jusqu’alors un bien commun essentiellement exploité par les puissances maritimes est désormais régulé. Ce jour-là, la convention des Nations unies sur le droit de la mer entre en vigueur : une révolution pour les règles de navigation, d’exploitation des ressources maritimes et de souveraineté des États côtiers.
Premier arrivé, premier servi
Au milieu du XXᵉ siècle, les pays aux flottes puissantes ont imposé leur supériorité sur les océans. « Avant la décolonisation, le nombre d’États était limité », contextualise Jean-François Pelliard, chercheur à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques1. « La liberté de navigation est alors totale, essentielle à leur domination des mers », poursuit-il. Les États côtiers sont tout de même souverains sur une zone étroite de trois milles marins (5 km) – la portée maximale des canons – pour se protéger des potentielles attaques venant de la mer.
Mais l’augmentation de la portée des armes et la capacité grandissante à exploiter les ressources des océans – halieutiques, en hydrocarbures et en minerais – poussent les États côtiers à s’approprier des espaces de plus en plus lointains. « Des protestations émergent, notamment sur le partage du sous-sol océanique. De même, les petits États côtiers voient la pêche industrielle se développer à leurs portes », explique Jean-François Pelliard. Les Nations unies se réunissent alors en 1956 pour tenter de réguler ces espaces. Un premier accord est trouvé : le document définit la mer territoriale2 où l’État est entièrement souverain et, plus loin, la zone contiguë3 dans laquelle il peut prévenir et réprimer toute infraction en matière douanière, sanitaire ou migratoire. Au-delà, la haute mer reste hors de la juridiction des États. Ces délimitations sont cependant jugées peu protectrices par les États venant d’acquérir leur indépendance. Ces derniers craignent de voir leurs fonds marins proches exploités par des pays détenteurs de technologies d’extraction plus avancées que les leurs. Ils décident alors d’unir leurs efforts pour faire évoluer la législation et ainsi sanctuariser leurs ressources maritimes.
1 Il est également capitaine de vaisseau de réserve.
2 Elle s’étend sur 12 milles marins (19 km).
3 Entre 12 et 24 milles (19 km et 39 km).
L’avènement d’un nouveau droit de la mer
Dès 1973, les Nations unies se retrouvent pour se pencher sur un nouveau texte. Les négociations sont ardues, « c’est une confrontation entre grands et émergents sur fond de Guerre froide », indique Jean-François Pelliard. Pour que le texte obtienne une forte légitimité et perdure, les Nations unies cherchent à recueillir le plus de signatures possible. « Pour y parvenir, le texte maintient des zones de flou, des passages laissant entrevoir différentes interprétations possibles », ajoute le chercheur.
Neuf ans plus tard, à Montego Bay, en Jamaïque, 119 pays signent la convention des Nations unies sur le droit de la mer. Sa portée est extraordinaire. Le texte crée, en effet, un nouvel espace : la zone économique exclusive (ZEE). L’État côtier détient dès lors des droits d’exploitation sur les ressources présentes depuis sa ligne de base jusqu’à 200 milles marins (370 km), voir schéma ci-dessous.
La délimitation des zones maritimes
Schéma des zones maritimes.
- terre
- ligne de base délimitant les eaux intérieures près de la terre
- mer territoriale d'une distance de 12 milles (22km)
- zone économique exclusive d'une distance de 200 milles (370 km)
- haute mer
Lui revient également des devoirs comme la préservation de l’environnement, les opérations de recherche et de secours en mer. La liberté de naviguer est conservée pour tous les bateaux, avec certaines conditions pour les navires de guerre dans la mer territoriale. À partir de ces principes, les États sont libres de définir les limites de leurs espaces maritimes. En cas de revendications concurrentes, les délimitations doivent être convenues entre les États concernés.
Pour qu’une convention contraigne juridiquement un État, celui-ci doit la ratifier. Douze ans seront alors nécessaires pour que 60 pays ratifient l’accord trouvé à Montego Bay et qu’il entre en vigueur. « Un temps inévitable face aux défis du texte et aux tensions qu’ils en résultent », explique le chercheur. La convention ouvre alors une nouvelle ère pour le droit de la mer avec 40 % des mers et des océans couverts par les ZEE.
Territorialisation de la mer
Face aux enjeux économiques et de puissance, certains États sont tentés de projeter leur pleine souveraineté terrestre sur leur ZEE. Une course à la délimitation des espaces maritimes se met en œuvre, entraînant un phénomène de territorialisation. Les revendications frontalières des États se transposent alors à ces étendues d’eau. Pour Jean-François Pelliard : « Finalement, c’est le flou qui avait permis à la convention de Montego Bay d’être largement signée qui sert désormais d’arguments parfois litigieux aux États désireux de s’approprier des espaces maritimes. »
Par Laura Garrigou
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