Économie de guerre, année 2 : quel bilan ?

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 01 janvier 2025

Carnets de commandes remplis, délais réduits, budgets augmentés… Deux ans et demi après le passage à l’économie de guerre, demandé par le Président de la République Emmanuel Macron à la suite de l’agression russe en Ukraine, l’industrie de défense française s’est réorganisée et renforcée pour « produire plus et plus vite ». Focus sur le bilan de l’accélération des cadences et de l’augmentation des volumes de production

Un spécialiste atelier navale finalise la conception d’une pièce, créée par une imprimante 3D. © PM Jeremy Vacelet/Marine nationale/Défense

Ces articles sont tirés du premier hors-série d’Esprit défense 2025

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Visibilité pour les industriels, simplification des normes, sécurisation des chaînes d’approvisionnement, recrutement, financement… Le passage à l’économie de guerre est un chantier titanesque. Un chantier piloté par la Direction générale de l’armement (DGA), ses multiples entités et les 4 000 entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Depuis deux ans, ces différents acteurs se coordonnent et s’adaptent pour permettre à la France de soutenir un effort de guerre dans la durée, en cas de nécessité pour ses forces armées ou au profit d’un partenaire tel que l’Ukraine.

Des carnets de commandes remplis

« Le but est que l’industrie puisse investir à long terme dans son outil de production », indiquait Alexandre Lahousse, chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la DGA, le 9 février 2023 à l’occasion du point presse du ministère des Armées. À ce titre, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 a offert aux industriels de la BITD une visibilité sur sept ans, avec un budget de 413,3 milliards d’euros. Ce budget représente 118 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la LPM précédente. Cette hausse budgétaire significative a eu pour principale conséquence d’augmenter le volume des commandes passées auprès des industriels. De 9,5 milliards d’euros annuels en moyenne entre 2012 et 2016, les commandes sont passées à 20 milliards d’euros de crédits pour 2023. Elles ont ainsi plus que doublé en neuf ans.

À titre d’exemple, les commandes en attente de livraison s’élevaient au 31 décembre 2023 à 6 milliards d’euros pour Thalès, 5 milliards d'euros pour Dassault aviation, 3 milliards d’euros pour MBDA et 1,5 milliard d’euros pour KNDS France.

Produire plus et plus vite

Pour répondre à l’impératif de « produire plus et plus vite », les entreprises de la BITD se sont réorganisées. Cela a été rendu possible grâce à l’introduction de nouvelles technologies dans les usines, à la renégociation des contrats de certains équipements, à l’accompagnement des entreprises de la BITD ainsi qu’à des mesures normatives, prises avec la LPM, relatives au niveau de priorité fixé pour chaque commande. Cette dynamique productiviste a eu pour mérite de renforcer les liens entre la DGA et la BITD autour de chantiers capitaux, tels que la simplification des normes ou la diversification des modes de passation de marché. De nombreux groupes de travail ont également été créés, afin de partager les méthodes de travail et d’identifier les éventuels points de blocage sur les lignes de production. 

Depuis deux ans, de nombreuses entreprises sont ainsi parvenues à accélérer significativement leurs cadences de production. C’est notamment le cas de KNDS France, qui a réduit de moitié les délais de production des canons Caesar tout en multipliant par trois le volume d’unités produites. Même son de cloche du côté de Thales, qui a réduit de 18 à 6 mois le temps de production de ses radars, ou encore chez Dassault Aviation, dont les usines étaient en situation de produire un Rafale par mois en 2022 (contre trois aujourd’hui).

L’avion de combat Rafale est équipé de bombes AASM (armement air-sol modulaire). © Richard Nicolas-Nelson/armée de l’Air et de l’Espace/Défense

Sécuriser nos approvisionnements

Dans le but d’être prêt en cas de conflit et d’améliorer les capacités de production, la DGA coordonne également la relocalisation de certaines productions critiques. En témoigne la production de poudre propulsive utilisée dans les charges modulaires de 155 mm et qui équipent les canons Caesar utilisés par l'Ukraine dans sa guerre contre la Russie. Depuis le début du conflit, la France a livré 30 000 obus de ce genre à Kiev. L’objectif pour 2025 : livrer 80 000 unités. Le 22 février 2023, l’entreprise Eurenco a annoncé la relocalisation d’une usine de poudre sur son site de Bergerac. Soutenue à hauteur de dix millions d’euros par le ministère des Armées, l’entreprise devrait disposer, à l’horizon 2025, d’une capacité souveraine de production sur ce segment critique. Au total, onze projets de relocalisation ont été lancés par la DGA et un douzième a été identifié en vue d’une concrétisation prochaine.

La France s’attelle à la production des obus nécessaires à l’équipement des canons Caesar. © ADC Cédric Borderes/armée de Terre/Défense

En parallèle, la LPM 2024-2030 prévoit des mesures de réquisition, de l'établissement de priorités et d’obligation de constitution de stocks. Celles-ci sont en cours de traduction dans la voie réglementaire et elles permettront la constitution de stocks stratégiques minimaux par les grands maîtres d’œuvre industriels de la défense. Dans ce cadre, la DGA a travaillé en étroite collaboration avec les entreprises à la définition de ces stocks, qui concernent aussi bien des matières, composants et produits semi-finis que des pièces de rechange nécessaires au maintien en condition opérationnelle de systèmes d’armes en service.

Difficultés à recruter

Autre enjeu : les ressources humaines. Malgré des embauches en hausse chez MBDA ou Thales, deux entreprises disposant d’importantes ressources, les sous-traitants sont aujourd’hui fragilisés par des difficultés à recruter. Ces entreprises, souvent des petites et moyennes entreprises (PME), et qui constituent le cœur de la BITD, sont accompagnées par la DGA afin d’éviter les « goulets d’étranglement » et le ralentissement de toute la chaîne de production. Parmi les mesures mises en place : la création d’un observatoire des métiers de la BITD et le lancement d’une enquête nationale des besoins en ressources humaines. Autre action en faveur de l’emploi : le déploiement de la réserve industrielle de défense (RID), sous statut militaire et pilotée par la DGA. Son rôle sera de renforcer, en cas d’engagement majeur, l’accélération des cadences et la réduction des délais avec un faible préavis. La RID représenterait alors un vivier de réservistes qualifiés. À titre d’exemple, plusieurs conventions de partenariat ont été signées avec les industriels : Naval Group, KNDS France, Arquus, SCANIA France, Verney-Carron, Geo4i.

Des discussions ont lieu actuellement avec l’ensemble des grands maîtres d’oeuvre industriels pour une entrée progressive au sein de ce dispositif dans les prochains mois. À terme, c’est un vivier de 3 000 réservistes industriels de défense qui pourra être déployé chez les industriels de la BITD ou chez les industriels étatiques (Service de la maintenance industrielle terrestre, Service logistique de la Marine, Service industrie de l’aéronautique, Service interarmées des munitions).

Par Kévin Savornin

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