La lutte contre les menaces informationnelles à l’Otan

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 01 mars 2025

À l’échelle internationale, l’Otan se dote d’outils pour analyser les attaques informationnelles et pouvoir riposter. Marie-Doha Besancenot, secrétaire générale adjointe de l’Otan pour la diplomatie publique, nous explique pourquoi elle a créé un groupe de travail (task force) dédié aux menaces informationnelles, en 2024.

Drapeau de l'Otan © Ministère des Armées

Article publié dans Esprit défense n° 14 (mars 2025), consacré à la désinformation.

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Qu’est-ce que la task force Countering Information Threats1 de l’Otan ?

Marie-Doha Besancenot : Ma division a pour mission de proposer des messages au secrétaire général de l’Otan. Pour cela, nous avions besoin d’une équipe capable de comprendre et d’analyser l’environnement informationnel. J’ai donc créé cette task force il y a un an et demi, trois semaines après mon arrivée, pour pouvoir analyser les narratifs hostiles que nous détectons et alerter en temps réel. Ses objectifs : détecter, traquer, signaler les menaces contre l’Otan dans le champ informationnel, et s’appuyer sur ces données pour proposer des réponses politiques.

Qui participe à ce groupe de travail ?

Une dizaine de personnes de différents services : des analystes et des communicants de la division diplomatie publique, mais aussi des collègues du renseignement, capables de nous alerter en cas d’attaque dans le cyberespace. Nous retrouvons aussi du personnel du Centre de crise de l’Otan, qui traque ce qui se passe dans le champ physique. Cette multiplicité des regards nous apporte une connaissance croisée de l’environnement de sécurité.

Comment fonctionne-t-il ?

Chaque semaine, cette task force se réunit pour mettre en lumière des points d’attention dans le champ informationnel. Nous regardons ce qu’il s’y passe grâce à nos outils, s’il y a des faits saillants. Nous décidons des thématiques que nous souhaitons garder sous surveillance et anticipons celles qui pourraient émerger. Nos collègues du renseignement peuvent nous aider à déterminer si l’amplification d’une thématique dans la sphère informationnelle se double d’incidents dans les sphères physique et cyber, ou s’il s’agit juste d’une excitation de la twittosphère, par exemple. Les regards croisés de tous ces analystes, avec leurs différents mandats et outils, nous permettent de prendre du recul par rapport à ce que nous analysons dans l’espace informationnel. Nous savons alors quel est le degré d’urgence pour alerter nos dirigeants politiques et les scénarios de réponse que nous privilégions.

« L’Otan a toujours investi dans la connaissance des publics de l’Alliance. Chaque année, au moins 10 % de mon budget y sont dédiés. »

Marie-Doha Besancenot

  • Secrétaire générale adjointe de l’Otan pour la diplomatie publique.

Quels outils utilisez-vous pour veiller le champ informationnel ?

Nous nous concentrons sur les mentions de l’Otan, c’est-à-dire les débats et discussions qui ont trait à l’Alliance. Pour cela, nous utilisons deux types d’outils. Les classiques : ceux de social listening2, utilisés notamment par les entreprises, avec lesquels nous procédons à une veille fondée sur des mots clés. Pour connaître la réputation de l’Otan, nous regardons le nombre de mentions, la langue employée et la teneur du message. Ce sont des éléments quantitatifs qui nous donnent des indications sur les questions suivantes : qui parle de nous ? Qui mène la conversation ? Nos éléments sont-ils dominants ? 

Nous disposons aussi d’outils de screening3 de l’environnement informationnel, intégrant de l’intelligence artificielle. Ces instruments reproduisent, de manière virtuelle, les conversations sur les réseaux sociaux. Ils proposent une cartographie des acteurs, regroupés en fonction de leurs interactions en temps réel. Nous observons qui produit des narratifs sur l’Otan, et la manière dont ces derniers voyagent d’un groupe à un autre. Ces outils de big data4 photographient en temps réel l’ensemble des réseaux sociaux, y compris Telegram, et 110 millions de sites internet chaque jour.

Quelles sont les nouveautés apportées avec ces outils ?

L’Otan a toujours investi dans la connaissance des publics de l’Alliance. Chaque année, au moins 10 % de mon budget y sont dédiés. Des enquêtes d’opinion sont réalisées annuellement depuis des décennies. Elles sont utiles pour suivre l’évolution de la perception de l’Otan, mais aussi pour comprendre les inquiétudes et attentes des publics de l’Alliance : ont-ils confiance en elle pour les défendre ? Ont-ils peur ? Sont-ils prêts à aller se battre pour une autre nation alliée ? Se sentent-ils protégés par la solidarité de l’article 5 ? Nos nouveaux outils permettent de nous adapter aux évolutions du champ informationnel. Nous continuons de réaliser des enquêtes d’opinion reposant sur un échantillonnage de la population. Mais en complément, en balayant l’environnement informationnel en ligne, nous prenons en compte les sentiments exprimés directement et accessibles en open source5.

Avec toutes ces données, comment caractérisez-vous une manœuvre de désinformation ?

Nous suivons les narratifs hostiles à l’Otan depuis leur émergence. Les plus courants consistent à représenter l’Otan comme une organisation agressive, à l’origine d’un marché d’armes. Ce narratif émerge quasiment à chaque conflit. Une campagne se manifeste par la coordination et la masse des narratifs similaires disséminés. Pour définir nos réponses, nous regardons s’ils restent localisés dans des sphères conspirationnistes, ce qui n’appellerait pas nécessairement une réaction. S’ils évoluent vers des groupes d’acteurs habituellement modérés et susceptibles d’avoir une influence sur l’opinion publique, nous pouvons choisir de prendre la parole pour rectifier le narratif hostile. Cette analyse nous permet de préparer des recommandations de communication pour le secrétaire général.

Avez-vous un exemple de campagne de rectification contre des narratifs hostiles ?

En nous fondant sur les enquêtes d’opinion, nous avons identifié l’an dernier qu’une partie de la population bulgare affichait une dégradation dans sa perception de l’Alliance. Nous avons donc souhaité réexpliquer les missions de l’Otan dans ce pays, réaffirmer sa mission défensive et mettre en avant les raisons d’être fier de son appartenance à l’Alliance. Nous avons produit un documentaire historique sur l’adhésion du pays à l’Otan, diffusé à la télévision. C’est un exemple de campagne sur le temps long, sur un média qui touche les séniors, plutôt que l’instantanéité des réseaux sociaux. Il est important de choisir les canaux de diffusion les plus appropriés.

Comment travaillez-vous avec les Alliés sur ces sujets ?

Nous encourageons les pays membres à procéder à un partage d’informations sur les menaces qu’ils ont identifiées dans le champ informationnel et à mobiliser l’Otan comme une plate-forme d’échanges de bonnes pratiques. Cette année, pour accélérer le processus, nous avons créé le Rapid Response Group, un mécanisme d’alerte entre Alliés sur les campagnes auxquelles ils font face.

Pouvez-vous nous dresser un panorama des pays proactifs dans la lutte contre la désinformation au sein de l’Otan ?

Les Alliés détiennent un niveau de maturité différent selon leur histoire et leur appréhension du risque. Certains n’ont jamais oublié la propagande russe – c’est le cas des États du flanc est de l’Alliance. L’expérience commune à tous, c’est d’être victimes de campagnes ciblées sur leurs publics nationaux, dans leur langue natale. Chacun a conscience d’être ciblé à des fins de déstabilisation politique, comme on l’a vu récemment en Roumanie et dans un pays partenaire, la Moldavie. Protéger sa population passe par des mécanismes de coordination interministériels à la fois agiles et durables. Les pays du Nord, non plus, n’ont jamais oublié la propagande soviétique et ils détiennent une tradition de résilience sociétale très forte. En Finlande et en Suède, le taux de confiance dans les médias traditionnels est plus élevé qu’ailleurs et, à l’inverse, les médias de propagande possèdent une faible audience. C’est le résultat d’une éducation à l’intégrité de l’information et d’une sensibilisation aux manipulations des émotions, qui commence dès le plus jeune âge. La Suède est, aussi, le seul pays européen à posséder une organisation au mandat similaire à celui de Viginum : l’Agence de défense psychologique.

Qu’en est-il de la France ?

La France a compris très tôt que ce qui se passait dans le champ informationnel était un sujet de sécurité nationale, car elle a été touchée sur son territoire par des attaques terroristes à répétition, assorties de campagnes hostiles. Nous avons une sensibilité éclairée aux campagnes de manipulation de l’information et à leurs conséquences dans le monde réel. Viginum a été créé en réaction à ces attaques. Ce dispositif unique permet de gagner du temps, c’est-à-dire d’analyser très vite les campagnes de désinformation, leurs tactiques, les acteurs, leurs cibles, pour faire partager les enjeux aux décideurs politiques. Cette rapidité entre l’analyse et la dénonciation politique est un véritable atout, qui permet aussi d’accroître la vigilance et la résilience du grand public.

Recueilli par Laura Garrigou

1Groupe de travail pour la lutte contre les menaces liées à l’information.

2Activité de collecte et d’analyse de données sur les réseaux sociaux.

3Logiciels de criblage.

4Mégadonnées.

5Sources ouvertes.

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