Dans le gymnase du campus de Polytech Nancy, les cages d’handball ont cédé la place à des tentes militaires. Pendant 3 jours, dont 48 heures non-stop, 115 étudiants d’écoles et de formations différentes ont été plongés au cœur d’un des plus grands exercices de cybersécurité : Cyber Humanum Est. 

« Cet évènement de grande ampleur a nécessité plus d’un an de préparation », explique le capitaine Jean-Philippe, réserviste opérationnel au COMCYBER et co-fondateur de l’exercice. « Près de 90 personnes : réservistes opérationnels, enseignants chercheurs et industriels sont mobilisés pour le bon déroulement de l’évènement ». Pour cette 5e édition, les organisateurs du Cyber Humanum Est ont enrichi le scénario initial : deux pays, l'Anuméric et le Cryptanga s'affrontent dans une cyberguerre intense, pour conquérir les ressources d’un troisième pays Les Riverchelles. En parallèle un groupe d'hacktivistes dénommé APT54, prend part à cette guerre cyber. Répartis dans trois équipes, les étudiants ont pour missions d’identifier et d’exploiter les vulnérabilités des systèmes informatiques et se défendre dans un scénario mêlant lutte informatique offensive, défensive et lutte d'influence.

La frontière entre ces deux pays imaginaires est symbolisée par une chaine métallique blanche qui sépare le gymnase en deux. A l’intérieur des tentes militaires, derrière leurs ordinateurs les étudiants ont pris leurs marques. Mugs personnalisés, paquets de bonbons, ordinateurs personnels arborant différents stickers humoristiques, ils recréent leur environnement de travail chaleureux, pour pouvoir aborder sereinement ces trois jours d’exercice. « C’est un privilège de participer à cet évènement », témoigne Alexandre, étudiant à l’ENSISA. « J’ai l’habitude de participer à des Capture the Flag (CTF). Mais là c’est différent ! C’est un wargame, et c’est extrêmement très rare de pouvoir participer à ce type d’évènement. C’est une véritable opportunité qui me permet de mettre en pratique toutes les connaissances acquises pendant mes années d’études. De plus les situations sont très réalistes ce qui a rajoute du sel ». 

Gestion de crise

Une ambiance de QG quartier général d’état-major règne à l’intérieur des tentes. Les étudiants se sont regroupés autour des tables par domaines de luttes : la lutte informatique défensive, offensive et d’influence. Sur les écrans, des pages de code défilent, et les doigts pianotent sur les claviers. En retrait un étudiant supervise les différentes actions de son équipe. Il porte autour du cou le bandana bleu des capitaines d’équipe. « Je suis l’un des trois capitaines de mon équipe. Je suis autorisé à communiquer avec le staff de l’exercice pour valider chacune de nos attaques », explique Victor, étudiant à l’université de Lorraine. « C’est un exercice intéressant dans la mesure il nous permet de tester nos compétences et de mettre en pratique nos connaissances dans un cadre très réaliste, « Le premier jour on a découvert les infrastructures de notre pays : elles fonctionnent en réseau et ont donc des vulnérabilités. Le pays adverse a les mêmes vulnérabilités que nous. À nous d’imaginer les attaques et les parades pour se défendre ». 

Cet exercice ne forme pas seulement des techniciens, mais aussi des futurs leaders capables de coordonner des équipes face à des situations de crise. « Ce poste de capitaine est intéressant pour un étudiant ingénieur car il permet de pouvoir gérer un projet dans des conditions de stress et de manque de sommeil en étant réactif et structuré. En quelques jours on gagne en compétence et on ressort grandi de cette expérience, avec une vision plus claire de notre rôle ». 

Un esprit d’équipe indispensable dans la réussite d’une mission

Assis côte à côte, trois étudiants aux formations différentes échangent leurs points de vue et leurs stratégies avant de tomber d’accord. L’exercice met ainsi en lumière l’importance du travail d’équipe. « C’est une expérience humaine incroyable » témoigne Mathilde étudiante à Polytech Nancy. « On rencontre des personnes d’horizon différents : des étudiants, des industriels et des militaires. C’est très enrichissant. On se retrouve plongés dans un scénario ultra-réaliste où chacun doit compter sur ses coéquipiers pour réussir. C’est un challenge énorme de savoir gérer son temps, son équipe et sa fatigue aussi. Ça nous pousse à nous surpasser ».

Tous les coups sont permis

Dans les allées entre les tentes patrouillent des militaires, équipés d’armes factices. Ces derniers surveillent qu’aucun intrus ait pénétré un des deux territoires. Les espions rôdent, et justement un jeune cryptangais se cache derrière la tente des Anuméric. Immédiatement il est capturé. « J’ai tenté, j’ai franchi discrètement la frontière pour des informations mais les étudiants de mon école m’ont vite reconnu » explique Rémi en rigolant. Arrêté, il est conduit en prison où il patientera 15 minutes avant d’être libéré pour rejoindre son équipe. Désinformation, diffusion de virus, espionnage, tous les coups sont permis pour déstabiliser l’adversaire.

De l’Intelligence artificielle pour pimenter le jeu

Cette année, l’exercice intègre pour la première fois de l’intelligence artificielle. « En terme d’animation c’est un véritable atout, nous avons monté en gamme » explique le capitaine Jonathan dit « Bobard ». « Nous avons créé grâce à l’IA un réseau social tout spécialement pour l’exercice, avec plus de 10000 comptes fictifs ». L’IA crée des discussions, en temps réel. Certains comptes sont ironiques, d’autre plus agressifs. « Pour ceux qui font de la lutte informatique d’influence cela rajoute du piment au jeu ». 

L’apport de l’expérience des militaires dans le cyber

Dans les tentes au milieu des étudiants en polaire bleue, se trouvent quelques militaires. Chacun dans leur spécialité, ils sont là pour conseiller les étudiants et leur prêter main forte quand ils rencontrent une difficulté, à l’instar de l’adjudant-chef Philippe, formateur OSINT. Debout derrière l’équipe L2I du Cryptanga, il écoute attentivement Solenn qui détaille l’attaque qu’elle veut mener sur les réseaux sociaux pour déstabiliser l’équipe adverse. Après l’avoir laisser parler, il intervient : « attention, n’oublie pas l’effet final que tu veux obtenir. Là tu souhaites les saturer de commentaires sur leurs articles sur leur journal local. Mais est-ce la seule solution ? Réfléchis différemment… » « Ils sont très impulsifs et oublient de prendre du recul » commente l’adjudant-chef. « Je les recentre, leur rappelle aussi qu’une attaque efficace doit être coordonné et qu’il faut absolument qu’ils travaillent avec leurs camarades de la LIO et LID pour être efficace ». « L’adjudant est une véritable mine d’or pour nous ! » confie Solène, étudiante aux Mines de Nancy. « Il est très pédagogue et étoffe à chaque fois ses propos avec des exemples. C’est vraiment bien qu’il soit là avec nous pour partager son expérience ».

Le cybercombattant un métier d’avenir

Cyber Humanum Est est également l’occasion de faire découvrir aux étudiants l’univers des cybercombattants et de susciter des vocations dans le domaine de la cybersécurité. « À travers cet exercice, nous offrons à ces jeunes la possibilité de découvrir un métier qui a un sens profond, le sens de l’engagement et des missions opérationnelles qu’on ne pratique nulle part ailleurs » explique le contre-amiral Sébastien, adjoint au COMCYBER. « Nous avons un défi de recrutement : l’objectif est de recruter plus de 1000 cybercombattants d’ici 2030. Nous avons besoin d’hommes et de femmes qualifiés […] dans différents métiers : hackers éthiques, cyber combattants chargés de la protection et de la sécurisation des systèmes, linguistes ou encore psychologues ».

Un succès de participation

Pour cette 5^e édition, Cyber Humanum Est a rassemblé plus de 110 participants issus de formations de l'école des Mines de Nancy, de Télécom Nancy, de Polytech Nancy, de la Faculté de sciences et technologie avec son Master SIRAV, de l'UFR SHS avec le Master VSOC, de l’UFR MIM avec le Master SIS et de l'IUT Nancy-Brabois avec le parcours Cybersécurité du BUT Réseaux et Télécoms, et l’école invitée, l’ENSISA de Mulhouse.